Les défis de la reconstruction

Après les opérations de sauvetage et le déploiement des mesures d’urgence dans les provinces durement frappées par le séisme, les autorités s’attellent à poser les fondations de la reconstruction des zones sinistrées, en application des Hautes Instructions du Roi Mohammed VI, et ce, dans les meilleurs délais. Un défi complexe.

Des milliers de douars sinistrés, dévastés, démolis. Le puissant séisme qui a secoué le Maroc le 8 septembre dernier a détruit des villages entiers dans les provinces d’Al Haouz, de Taroudant et de Chichaoua. Après la mise en place d’un dispositif exceptionnel d’aide rapide aux victimes et à la recherche de survivants, supervisé personnellement par le Roi Mohammed VI, la Commission interministérielle chargée du déploiement d’un programme d’urgence de réhabilitation et d’aide à la reconstruction des logements détruits, présidée par le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch, s’emploie à l’opération de reconstruction, en application des Hautes Instructions royales. Un vaste plan qui sera mené sur la base d’un cahier des charges, insérant une supervision technique et architecturale en harmonie avec le patrimoine de la région, comme le dévoilent les autorités. “Le cahier des charges est en cours d’élaboration, conjointement avec le ministère de l’Habitat et de la Politique de la ville et l’Ordre des architectes”, fait savoir Chakib Benabdellah, président du conseil national de l’Ordre des architectes du Maroc. “Nous sommes sur le terrain afin d’évaluer quels types de constructions sont véritablement possibles.” En effet, de nombreux facteurs sont à prendre en compte comme les spécificités architecturales locales ou encore le climat montagnard. “Les ruraux ont un mode de vie qui leur est propre. Les logements étant aussi des unités de production d’artisanat ou de traitement d’agricultures vivrières (noix, amandes, safran…)”, rappelle l’architecte et urbaniste Rachid Boufous. “On parle beaucoup plus d’unité économique qu’uniquement d’habitat.” Et d’enchaîner : “La meilleure solution serait de regrouper les populations dans des zones non sismiques par grappes de 1.000 à 2.000 familles dans des villages équipés de logements sûrs et dotés de toutes les commodités avec une architecture locale d’apparence. On pourrait plus facilement équiper ces villages d’écoles, de collèges, de centres de santé, etc. Et on donnerait aux gens la propriété foncière des terres qu’ils cultiveraient pour 1 dirham symbolique, afin qu’ils continuent à la travailler même s’ils habitent loin de leurs terres.”

Antisismique

Le Maroc dispose de deux dispositifs légaux en matière de construction parasismique : le RPS 2000 version 2011 et la réglementation spécifique à la construction en terre RPC Terre 2011. Problème : “Ces deux normes ne prennent pas en compte les bâtiments construits selon les techniques locales traditionnelles et dont les structures portantes utilisent la terre, la paille, le bois, le palmier, ou les roseaux, ainsi que des bâtiments d’un ou deux niveaux dont la surface est inférieure ou égale à 50m2”, interpelle Rachid Boufous. “Les logements à reconstruire auront une structure aux normes parasismiques, dépendamment du sol sur lequel elles seront construites”, détaille Chakib Benabdellah. “Notre préoccupation se concentre sur les habitations légèrement endommagées. Que fait-on d’elles ? Les détruisons-nous pour en reconstruire de nouvelles ? À mes yeux, détruire une maison ancestrale pour la remplacer par un logement en béton serait un acte criminel…”

Des financements, des décisions et des interrogations

Dans le cadre du programme de reconstruction et de mise à niveau général des régions sinistrées, 120 milliards de dirhams, sur une période de cinq ans, seront dédiés au relogement des personnes sinistrées, à la reconstruction des logements, à la réhabilitation des infrastructures, au désenclavement et à la mise à niveau des territoires, à la résorption des déficits sociaux, surtout dans les régions montagneuses affectées, à l’encouragement de l’activité économique, de l’emploi et la valorisation des initiatives locales. Concernant l’opération de reconstruction, une aide financière directe de 140.000 DH sera octroyée pour les logements totalement effondrés et de 80.000 DH pour couvrir les travaux de réhabilitation des habitations partiellement effondrées. Des montants à la hauteur des travaux à mener pour Chakib Benabdellah. “Le respect des normes parasismiques ne demande pas un coût onéreux”, assure-t-il. “Le souci à mon sens réside dans l’enveloppe allouée aux logements en partie détruits.” En effet, ayant différents niveaux d’habitations endommagées, les travaux pourraient être plus chers que prévus. Pour Rachid Boufous, l’aide relative à la reconstruction pourrait se révéler “faible”. “À moins de prévoir un habitat embryonnaire ou semi-fini”, enchérit-il. “Car il y a eu un doublement du coût du logement en 20 ans, suite à une multiplication de hausses successives des intrants, de l’énergie, du carburant ainsi que du coût de la vie et de l’inflation. Pour vous donner une idée, en 2003, nous construisions des logements parasismiques de 60m2 de surface pour 120.000 DH, finis en toutes prestations…” Autre questionnement : le mode d’intervention de la reconstruction. “Sera-t-elle opérée par les habitants, eux-mêmes ou par un organisme étatique ou privé dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP) ?”, s’interroge-t-il. “Cette question est primordiale car elle déterminera la cadence de réalisation.” Nombreuses sont les interrogations. Conscient de l’enjeu et du défi, le gouvernement avance. Comme l’a affirmé , le ministre délégué en charge du Budget Fouzi Lekjaa, une agence nationale sera créée très prochainement pour l’application et le suivi de la reconstruction et de la mise à niveau des provinces touchées par le séisme.

Quelle est votre perspective d’architecte concernant les dégâts engendrés par le séisme ?    

Malgré l’urgence lancinante, il faudra envisager la reconstruction comme un processus d’urbanisme et d’aménagement contextuel et participatif en lien avec les populations touchées. Par sa spécificité géographique, topographique et climatique, le territoire du Haut Atlas est à considérer comme une bio-région: un écosystème et lieu de vie unique à l’identité culturelle, architecturale, paysagère et agricole remarquable qu’il faudra impérativement protéger et préserver lors de cette éco-reconstruction. 

Les constructions en terre peuvent-elles résister aux séismes si elles sont bien réalisées et bien entretenues ?

Ce qui est à déplorer, c’est l’ajout massif du béton ou ciment dans les systèmes constructifs modifiant l’homogénéité de la résistante mécanique des murs au profit d’alliages d’autres matériaux plus pertinents. 

Le matériau terre est doté de caractéristiques de déformabilité en compression et cisaillement, le rendant très intéressant dans un contexte parasismique. Ce drame peut être l’opportunité de repenser la construction par une approche systémique et intégrée en préconisant les matériaux adaptés, prenant en compte les coûts constructifs et budgets inhérents à l’entretien sur le long terme.

À votre avis, comment reconstruire les douars démolis avec les règles parasismiques actuelles ?

Cette région sera un territoire apprenant. D’un point de vue technique et architectural, nous devons nous atteler à co-construire collectivement une nouvelle culture sismique locale. Sans dénaturer l’identité locale, nous pouvons nous baser sur la réglementation parasismique marocaine en vigueur et l’adapter au territoire du Haut Atlas en introduisant à l’instar de nos confrères japonais de nouvelles préconisations et mesures strictes (épaisseur des ossatures, isolation de la structure du bâti du sol etc.). 

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