Procureurs de rue, quelle est la nature du crime commis ? Eh bien, sur une jupe jugée trop courte, un habillement considéré comme aguichant, un maillot échancré réveillant la testostérone qui déborde, la meute peut se déchaîner et déraper de manière gravissime. Pire : le seul critère d’appartenance au sexe féminin peut faire d’une simple promeneuse, une friandise convoitée par des jeunes gens qui lui chuchotent des insanités et/ou la harcèlent, lui collant au train. Et qu’on soit enceinte jusqu’aux dents, handicapée, veuve éplorée ou d’un âge certain n’y change rien ; on peut subir de la même façon le feu roulé des quolibets flatteurs ou des insultes.
Nos propres gènes d’autocensure
En réalité, nous sommes déjà conditionnées depuis notre plus jeune âge par l’éducation parentale. Toutes ces fameuses phrases à destination exclusive des jeunes filles : « attention aux mauvaises rencontres ; si on te parle, passe ton chemin ; ne sors pas la nuit toute seule, c’est trop dangereux, etc. », entretiennent notre paranoïa et nous apprennent que nous sommes une espèce tout juste tolérée en extérieur. Décryptage express : dès qu’il s’agit d’aller y traîner nos courbes séduisantes, la rue est anxiogène pour une femme. Et l’homme serait un loup qui pratique la drague lourde, soit le sport national le plus prisé après le foot!
Espace public : nature et culture
Comme le souligne Fouad Benmir, sociologue: « l’espace public a une portée sociologique importante, puisqu’il s’agit du lieu physique où un individu rencontre la société et est en interaction avec ses membres. Sa structuration dépend de la culture de ladite société, de ses normes, us et coutumes, et de la vision du rôle attribué à chaque sexe« . Or, dans notre culture à dominante machiste, par effet de calque, les mêmes comportements nous rattrapent à l’extérieur. « En dépit de l’ouverture observée au cours des deux dernières décennies, le masculin considère toujours « le dehors » comme son territoire de chasse, où la femme, maillon faible de la chaîne est épinglée, stigmatisée en tant qu’objet de désir, de fascination, ou proie potentielle« , explique le spécialiste. Entendez par là : un fantasme sur talons pour les frustrés de tous poils, et une tentatrice pour les barbus surdosés en poils !
L’endroit où on vit, le lieu choisi pour sortir, l’heure et le prétexte pour prendre l’air, le degré de misogynie ambiant, le « déguisement » pour échapper aux radars du tberguig et du jugement, voilà autant de paramètres qui régulent l’approche de l’espace public pour les femmes. Ces dernières, après avoir checké toutes ces données, s’adaptent au contexte, en prenant les précautions qui s’imposent ou en se réfugiant parfois dans des stratégies d’évitement.