Quartier Laâyoune. Casablanca. Dans une toute petite salle de l’INDH baptisée “Moroccan Center for Media and Human Rights Studies & Researches”, six jeunes, trois filles et trois garçons, âgés de 15 et 17 ans, se questionnent sur le rôle et la place des hommes dans la société marocaine. Un sujet, vaste et lourd, mais essentiel à décortiquer afin d’“établir les jalons des générations futures à entrevoir les relations hommes femmes sous un autre prisme que celui de la domination et du patriarcat”, comme le soutient avec justesse Abdelmajid Moudni, directeur exécutif de l’Association Médias et Cultures, une ONG marocaine dédiée à la vulgarisation des enjeux des droits humains et au dialogue entre la jeunesse marocaine notamment sur la masculinité positive. Pour animer ces sessions, cette structure forme des jeunes issus d’associations locales qui travaillent à leur tour avec la nouvelle génération sur la notion d’égalité et de justice de genre. Une sensibilisation par les pairs pour faciliter les échanges et interroger en toute efficacité sur le rapport hommes femmes au Maroc. “Qu’est-ce qu’être un homme ?”, interrogent d’emblée Bousslam et Ichrak, les deux animateurs du jour de l’association locale Chouala pour l’éducation et la culture. Face à eux, des adolescents inscrits dans leur structure, venus volontairement à l’atelier. “Les participants n’ont pas la même vision sur la masculinité, me glisse Abdelmajid Moudni. Car cela ne sert à rien d’avoir des jeunes du même avis pour mieux avancer.” “Un homme, c’est la virilité, lâche Omar, l’un des adolescents. Un homme et une femme n’ont pas la même force, ni les mêmes capacités.” Une affirmation rejetée en bloc par les trois filles présentes qui refusent l’idée, à juste titre, d’une supériorité masculine. Pour elles, l’égalité et le respect doivent être la norme !
Bousculer les idées préconçues !
Pour questionner la masculinité et ses stéréotypes, Bousslam et Ichrak proposent aux jeunes de choisir trois phrases parmi les seize écrites sur un bout de papier, qui reflètent au mieux l’image qu’ils ont de l’homme dans la société. Pour Omar, un homme a l’obligation de montrer sa force et de se battre pour éviter de se sentir faible… “Un garçon doit traverser une série d’épreuves pour devenir un homme. Ce sont les difficultés qui construisent sa personnalité”, justifie-t-il, avant d’énoncer son deuxième choix de phrase : “Un homme ressent l’obligation de prouver aux autres sa virilité et sa masculinité.” “Il doit montrer qu’il est le plus fort en sa battant s’il le faut”, argumente-t-il. “N’y-t-il pas une alternative à la violence ?”, demande Bousslam. “La communication”, répond l’auditoire. “Mais parfois cela ne suffit pas”, assure Omar. “Si on emploie les bons mots, oui !”, rétorque Leila, une participante. “Pensez-vous qu’un homme doit montrer ses sentiments ?”, enchaîne Ichrak. “Seulement s’il est seul et à l’abri des regards dans une pièce isolée”, soutient Omar. Dans sa tête, et dans celles de bien d’autres, montrer ses émotions reste une faiblesse, un cliché éreintant fabriqué et ancré par les normes patriarcales. “Ces injonctions sociales, économiques et culturelles qui sont aussi nombreuses que pesantes, nous emprisonnent dans le cercle infernal de la violence au lieu de nous élever dans la paix et la solidarité”, appuie Abdelmajid Moudni. “Pleurer ne signifie pas qu’on est moins viril”, rétablit à son tour Bousslam, avant d’interroger sur le partage des tâches domestiques et l’éducation des enfants : “Est-ce le rôle des deux parents en toute équité ?”. Les avis divergent une nouvelle fois. “Si les deux travaillent, il doit y avoir un partage de tâche. Mais si ce n’est que le mari, l’épouse doit s’occuper du foyer, est convaincu Omar. De toute façon, les femmes ont un instinct maternel plus développé. Aussi, elles sont les meilleures pour élever les enfants.” “J’ai grandi dans une famille où le partage de tâches est une évidence, confie Marouane, lui aussi participant. Comme ça, personne n’est lésé et tout le monde est heureux. Moi, je suivrai le même exemple plus tard !”
Perdant / gagnant ?
“Au début de notre création, nous avons lancé des campagnes sur les réseaux sociaux, plaidant pour une masculinité positive et plurielle, explique Abdelmajid Moudni. Mais nous avons vite compris que ce n’était pas mobilisateur et transformateur…” À ses yeux, le combat pour l’égalité des sexes est perdu sur le net. “Les conservateurs ont gagné…”, souffle-t-il. Pour autant, l’Association Médias et Cultures n’a pas baissé les bras. En parallèle, elle a décidé d’investir le terrain auprès des jeunes avec, sous la main, une boîte à outils percutante qu’elle a elle-même élaborée. Parmi les instruments montés, le masculinomètre mesurant la masculinité positive et toxique d’un comportement ou encore le “guide pratique des masculinités positives ou comment devenir un allié du féminisme en 30 jours”* composé notamment d’illustrations conçues par le dessinateur de presse Ali Ghamir, mettant en scène un regard critique sur les causes et les conséquences des inégalités de genre et en particulier du point de vue des hommes. Depuis le lancement de son initiative mi-2021, l’association a touché voire impacté 1500 jeunes à travers 34 ateliers répartis entre Casablanca, Fès, Meknès, Khemisset, Mohammedia et Zagora. Dans cette dernière localité, “nous avons été sollicités par des associations de la ville pour réitérer et multiplier nos initiatives au vu du harcèlement omniprésent que vivent les jeunes filles !”, indique Abdelmajid Moudni. D’après une étude, pas encore publiée et réalisée par l’Association Medias et Cultures auprès de 500 jeunes âgés de 16 à 26 ans ayant suivi ses ateliers, 65% d’entre eux dont 61% d’hommes et 69% de femmes, affirment que le combat pour l’égalité entre les sexes profite également aux hommes. “Nous avons remarqué que les étudiants participant à nos actions ont toutefois le sentiment de perdre quelque chose dans ce combat pour l’égalité, et ce, au détriment des femmes, nuance le directeur exécutif de l’Association. Ils sont prêts aux partages des tâches domestiques et à s’investir davantage dans l’éducation de leurs enfants. Mais, ils n’acceptent pas l’idée que leur épouse pourrait gagner plus qu’eux ou encore l’égalité dans l’héritage… En revanche, les adolescents étant des jeunes en construction, écoutent et se questionnent sur leurs comportements dans la société.” En d’autres termes, il faut miser sur la nouvelle génération en l’éduquant à la notion d’égalité, tout en abrogeant tous les articles de lois liberticides et sexistes pour être (enfin) conforme à la Constitution de 2011. Consciente du chantier gigantesque et essentiel pour destituer la masculinité hégémonique, l’Association Médias et Cultures compte accentuer ses actions, en travaillant voire en s’alliant à plusieurs associations dont le mouvement kifmamakifbaba qui se transforme en janvier 2023 en association. Car, comme le clame si bien Abdelmajid Moudni, “seuls nos actes nous diront quel type d’homme nous serons !”.