Misogynes, ces séries qu’on aime ?

Qualifiées de féministes, beaucoup de séries phares pèchent par des raccourcis plutôt sexistes. En passant cinq d’entre elles au microscope, on a eu de drôles de surprises.

Pour peu qu’ils nous parlent et présentent des similitudes avec nos vies, tous ces shows rendent très vite accro. La Mère courage, la débutante divorcée, la working girl débrouillarde, l’étudiante au chômage. Autant de situations auxquelles il est aisé de s’identifier. Pourtant, quelque chose dans la toile de fond pose problème : les codes véhiculés par bon nombre de ces productions. Entre répliques douteuses et personnages ambigus, nos sitcoms cultes sont tout sauf progressistes. Pire, au summum de leur engagement “women friendly”, les messages envoyés par Hollywood sont dangereusement rétrogrades. Laissons de côté la fameuse pin-up blonde dont la plastique irréprochable fait oublier la vacuité du script et penchons-nous un peu sur les leadeuses new age qui ont décidé de prendre leur destin en main. Elles sont brunes ou rousses (pour faire plus sérieuses), elles sont parfois rondes (parce qu’il n’y a pas que des mannequins dans la vie), elles en veulent (normal, elles ont fait des études) et n’ont pas peur d’afficher une libido carnassière, à l’instar de leurs pendants masculins. Mais en réalité, qu’est-ce qui a changé ? Pas grand-chose ! Il suffit de décortiquer quelques titres pour s’en rendre compte.

Girls

Deux personnages retiennent l’attention, celui d’Hannah (Lena Dunham) et celui de Jessa (Jemima Kirke). Deux jeunes femmes aux antipodes l’une de l’autre. Hannah a un physique ingrat (mais un diplôme), est attaché à un type qui le lui rend plutôt mal et n’arrive pas à décrocher un job viable. En face, sa meilleure amie, belle, libre et assumée, a passé les deux dernières années à voyager cheveux au vent sans se soucier de payer ses factures. La série a eu beaucoup de succès grâce à sa liberté de ton, sa fraîcheur new-yorkaise mâtinée d’un peu de crasse socio-sexuelle. Pourtant, dès le début, on est assez troublé par le comportement affectivement résigné de l’héroïne principale. Hannah est prête à tout accepter pour avoir un homme dans sa vie. Pas n’importe lequel évidemment. Celui qu’elle veut dans la première saison, c’est Adam. Un éphèbe rebelle qui passe son temps à la dégrader et à pointer du doigt sa cellulite. De plus, elle n’a aucune garantie dans cette relation puisque son partenaire n’est adepte ni de l’engagement ni du rapport sexuel protégé.

décryptage qui fend le cœur : quand on n’a pas beaucoup d’atouts en main, on ne fait pas la difficile et on prend ce que l’autre veut bien nous donner. Jessa n’a pas vraiment ce problème. On sait désormais à quoi ressemble une femme libérée qui vit pour ses choix tout en étant l’objet de toutes les convoitises. Seulement voilà, pour avoir cette vie (rêvée), Jessa n’hésite pas à trahir des amitiés, à ne pas tenir ses promesses, à aller et venir dans la vie de ses proches comme on entre et sort de Marjane.

décryptage : sans éthique et sans substance, la femme libérée est légère, fragile et plus encline à causer des problèmes à son entourage qu’une autre. Évidemment, la dynamique change d’une saison à l’autre, mais les messages envoyés sont toujours aussi tendancieux.

Homeland

Carrie Mathison, agent très compétent de la CIA, bipolaire et dotée d’un bon flair, tente de contrer d’éventuelles attaques terroristes sur le sol américain. Lorsque ses soupçons se portent sur un Marine converti à l’Islam après une captivité de huit ans au Moyen-Orient, notre adrénaline commence à grimper. Une femme va sauver l’Amérique. Une femme, comme nous, avec un cycle menstruel, des talons, des fringales après minuit mais pourvue d’instinct et d’ une bonne paire de cojones. Dieu merci, il y a une justice (audiovisuelle) ! Malheureusement, elle finit par coucher avec le suspect. “No zob in job.” Carrie Mathison ne connaît pas. Ça devient impulsif, obsessionnel, elle s’emmêle les pinceaux, doute, ne sait plus trop où elle met les pieds, tombe même enceinte de lui (à la bonne heure !), pique des crises de nerfs à tout va, se fait clouer par ses supérieurs qui mettent même la main sur son dossier médical et ainsi de suite. Questions logiques que le public est en droit de se poser après avoir assisté à tout ce raffut : les femmes sont-elles faites pour ce genre de métier ? Arrivent-elles à dissocier devoir et affect ? Qu’est-ce qui se passerait s’il y en avait juste cinq comme elle dans les services secrets ? Hollywood, merci pour ce moment…

Scandal

Olivia Pope est une femme noire comme l’Amérique blanche en rêve. Belle, éduquée, audacieuse et loin, très loin du ghetto. Voilà une femme qui ne compte pas sur la sécurité sociale pour payer son loyer et qui ne grossira ni les rangs des prisons fédérales, ni ceux des centres de réinsertion. Experte en relations publiques, Olivia sait ce qu’elle fait et sort victorieuse de toutes les situations. Revanche du black power ? Non ! Miss Pope est un leurre. De la poudre de perlimpinpin à une époque où des membres de la communauté afro-américaine tombent encore sous les balles du système. Personnage fictif, Olivia Pope est une goutte d’eau dans un océan d’hypocrisie à la sauce WASP. Mais bon, il faut bien vendre et attirer le public. Ce qui dérange aussi chez le personnage, c’est toute cette perfection : professionnelle, esthétique, vestimentaire, ses réparties cinglantes et surfaites.

décryptage : pour être acceptée au pays de l’Oncle Sam (c’est valable ailleurs), la femme noire a deux options : jouer les mamas affables et hautement biblisées ou se muer en une Olivia Pope sans faille, brillante et habillée à la dernière mode. Et entre les deux, il y a les chanteuses de hip hop.

Ally McBeal

Avocate talentueuse sortie d’une grande université et aux revenus mirobolants cherche à trouver le bonheur en dépassant ses névroses, ses hallucinations et les appels du pied de son horloge biologique. Ally McBeal est l’idée que l’homme alpha se fait de ses collaboratrices alpha. Peu rassuré de les voir investir ses terrains de jeu (barreau, finances, médecine de haut niveau), il les observe avec attention et cherche la faille. Elle est forcément psychologique ! Une femme qui a tout sacrifié pour arriver au sommet ne peut pas être normale. Inévitablement célibataire, killeuse au boulot mais inapte à gérer les relations humaines, un peu aigrie sur les bords, le sac plein d’antidépresseurs et les ovaires en pétard. Au fil des saisons, la production force sur les effets spéciaux pour accentuer le côté fou de cette cadre sup qui a tout pour nager dans le bonheur sauf peut-être un mari et des enfants.

décryptage : en faut-il vraiment un ?

Devious Maids

Une fois sortie du combo  fun, sex & salsa en zone suburbaine, il reste les indécences et le “politiquement incorrect”. Les Mexicaines seront toujours vues comme des domestiques hautes en couleurs ou des apprentis chanteuses pour devenir comme J-Lo, leur idole. Petite consolation, elles peuvent dans “Devious Maids” jouer les Sherlock Holmes en passant l’aspirateur ou accessoirement, faire mumuse avec le mari de la patronne. Les dialogues sont stupides et les intéressées caricaturales comme il n’est pas permis de l’être. Pour l’évolution des mentalités, vous pouvez repasser… 

Trois questions à Camélia Zakaria, psychologue clinicienne.

Qu’est-ce qui fait qu’on s’obstine à présenter les choses de la sorte à l’écran ?

Les femmes et leur statut ont toujours fait l’objet de polémiques et les séries ont tendance à présenter ces paradoxes. Elles sont tantôt représentées comme femmes politiques combattives à succès, héroïnes émancipées et complexes ou comme ménagères quarantenaires désespérées dans des banlieues chics.

La faute aux réalisateurs ou au public encore trop conservateur pour taper du poing sur la table ?

Ni à l’un ni à l’autre. Les téléspectateurs sont avides de séries “soap” dans lesquelles tantôt on dynamite les stéréotypes, tantôt on s’y conforme. Finalement, des réalisateurs aux téléspectateurs, tout le monde y trouve son compte.

Jusqu’à quel point ces discours peuvent-ils influencer nos réalités ?

Pour comprendre l’influence et l’identification des téléspectateurs aux séries tv, il faut remonter aux “soaps” des années 80-90, “Dallas”, “Santa Barbara”, “Amour, gloire et beauté”. L’identification y était facilitée par une narration construite autour d’une série d’énigmes dont seuls les spectateurs connaissaient les secrets. Ceci leur conférait l’impression et le plaisir ultime de pouvoir prédire le dénouement de l’histoire. Ces  séries ont, entre autres, révélé une avidité pour un voyeurisme inconnu jusque-là. Les spectateurs se retrouvent  dans ces histoires, dans ces intrigues et commérages. Ils prennent partie pour l’un comme pour  l’autre, tout comme dans la vie réelle, apportent des solutions ou portent des jugements. Alors oui, il y a forcément une influence, aussi minime soit-elle. 

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