“Good vibes only” ou la tyrannie du bonheur

“Soyez heureux”, “arrêtez de faire la tête”, “mangez sain”, “bougez”... nous assènent sans cesse les magazines, les coachs en développement personnel, les instagrammeurs et les mannequins, tout sourire dans les publicités. Derrière ce matraquage émotionnel se cache une pression sociale et une “obligation”à être heureux qui, paradoxalement, a des effets préjudiciables sur notre bien-être physique et mental.

Être bien sans sa tête et son corps, c’est quelque chose qui nous fait tous rêver. Le bonheur n’est-il pas la quête absolue, le graal auquel aspire chaque être humain ? La question n’est pas nouvelle, les philosophes grecs en parlaient. Tout au long de l’histoire de la philosophie, les penseurs et sociologues ont passé l’être humain au peigne fin pour tenter de comprendre ce qui le rend heureux. “Dans l’histoire récente, le mouvement de mai 68 est venu ébranler les schémas traditionnels qui régissaient notre vie : travail, famille, patrimoine, position sociale…”, explique Abdelilah Jarmouni Idrissi, psychologue et psychothérapeute. Selon le spécialiste, c’est à partir de ce moment-là que la question du bien-être et l’injonction à être heureux en permanence commençait doucement à faire son nid dans notre quotidien. “Durant cette période de plein emploi et de croissance où les inquiétudes d’ordre matériel n’avaient plus lieu d’être, une sensation de vacuité est apparue, un “temps de cerveau” est devenu disponible, et s’en s’ont suivis des questions et besoins autour du sens profond de la vie. C’est probablement depuis lors que le sujet du bonheur s’est installé ; des livres sur le bien-être sont apparus, avant qu’internet, la mondialisation et les réseaux sociaux n’en fassent une intrusion quotidienne”, poursuit-il. 

Ensuite il y a eu la période du confinement imposée par le Coronavirus qui a déclenché un véritable boom du bien-être. Bien que la pandémie soit aujourd’hui derrière nous, elle n’est pas près de se faire oublier. Après une baisse généralisée dans quasi tous les secteurs, l’économie du bien-être atteindra 7000 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2025, selon le dernier Global Wellness Report. “L’épidémie de COVID-19, sa mortalité, les incertitudes qui persistent sur son origine, son évolution, la période de confinement et ses suites ont entraîné des situations d’inquiétude voire d’angoisse jusqu’au traumatisme pour certains…. La pandémie a ainsi accéléré la tendance mondiale du bien-être et des modes de vie plus sains. Santé mentale, gestion du stress, immunité, cures… le secteur du bien-être ne s’est jamais aussi bien porté”, nous apprend le sociologue Mohssine Benzakour.

Quand la quête du bonheur tourne à l’obsession

Une étude parue en 2022 notait que les personnes qui ressentent une insistance constante pour être heureuses et éviter la tristesse ont tendance à souffrir de problèmes de santé mentale. Pour la réalisation de cette étude, les chercheurs Brock Bastian de l’université de Melbourne et Egon Dejonckheere de l’Université de Louvain ont interrogé 7.500 personnes issues de 40 pays sur leur satisfaction dans la vie et leurs troubles de l’humeur. Les résultats montrent que la pression sociale à être heureux nous déprime plus qu’autre chose. En cherchant le bonheur et en mettant en sourdine nos souffrances, c’est l’effet contraire qui se produit, parce qu’il devient une source d’angoisse. “On peut se faire beaucoup de mal en occultant ce qui nous fait mal”, explique Abdelilah Jarmouni Idrissi. “Positiver en choisissant d’ignorer cette souffrance, c’est l’introjecter, la couver, et dès lors, elle ne peut que s’installer en nous plus profondément, fonctionner comme un arrière-plan qui finira un jour par passer au-devant de la scène, et peut-être nous paralyser”, ajoute-t-il.  

Même son de cloche chez Mohssine Benzakour, pour qui il ne s’agit pas de remettre en cause l’intérêt de prendre soin de soi et de sa santé, mais de dénoncer cette injonction permanente au bonheur. “Cette obsession du bien-être, du bonheur et de la santé parfaite est devenue un phénomène mondial. La publicité, les entreprises, les pouvoirs publics, tout pousse les gens à être minces, sportifs, optimistes… comme si tout dépendait d’eux ! Aussi, quand ils n’y arrivent pas – et on ne peut y parvenir en permanence malgré tous les efforts fournis-, ils se sentent coupables et nuls”, précise-t-il.

C’est qu’il y a une sorte de tabou autour des émotions négatives, appuie pour sa part la psychologue Ghita Alami. “Parfois nous sommes face à des personnes qui pensent que la tristesse est contagieuse. Ils vous parlent d’énergie négative comme si la tristesse avait le pouvoir de contaminer les autres”, souligne-t-elle. Ce qui empire les choses, selon l’experte. “On se sent mal et on culpabilise de ne pas pouvoir se sentir bien. Ceci est d’autant problématique quand on est en phase de dépression, de burn-out ou d’anxiété. On en arrive à croire que les autres sont meilleurs car on les pense plus aptes à être heureux. Ce qui n’est encore une fois qu’une image et non la réalité”.

Hashtag ondes positives

Les réseaux sociaux avec leurs images de vies parfaites et de bonheur ininterrompu ont amplifié le phénomène. Nous vivons dans une société où nous sommes constamment bombardés de photos, retouchées ou non, et de messages nous disant à quoi nous devrions ressembler, ce que nous devrions manger, porter et comment nous devons nous comporter. Sur la Toile, il y a rarement une place pour les émotions négatives. “Beaucoup de personnes souffrent aujourd’hui parce qu’elles pensent que la vie des autres est meilleure. Certains bloggeurs relatent une vie en apparence parfaite avec un mode de vie super healthy, se filment durant leurs cours de yoga et font croire à leurs abonnés que leur vie se résume à cela. Par identification, les abonnés qui les suivent finissent de manière inconsciente par se trouver inférieurs et à se sentir mal”, précise Ghita Alami.

La raison d’être des réseaux sociaux était pourtant noble au départ. “L’injonction a d’abord été celle d’exister en tant que personne unique, dans le respect de nos choix, de ne plus être un numéro dans une société qui nous désigne une place étroite dans laquelle nous disparaissons en tant qu’individu. Cela est positif”, détaille Abdelilah Jarmouni Idrissi. Cela devient problématique lorsque le bien-être s’apparente à un impératif pour avoir de la valeur aux yeux des autres. “Afficher le bien-être pour une hypothétique valeur aux yeux des autres revient à emprunter une voie de garage, on ne peut être bien dans la superficialité. On se perd à adopter les attitudes en vogue, lesquelles sont éphémères, et c’est une course sans fin après un leurre. On s’épuise. Un peu comme lorsqu’on suit la fast fashion, autre moyen d’être in”, poursuit le psychologue.

Pour le sociologue Mohssine Benzakour, la recherche de la validation sociale devenue de plus en plus importante dans le monde d’aujourd’hui, nous empêche de vivre. Beaucoup d’entre nous se retrouvent à chercher à vouloir afficher un bien-être mental et physique impeccables uniquement dans le but d’avoir de la valeur aux yeux des autres. “On ne vit plus dans la réalité mais dans une sorte d’immense fake news, qui voudrait nous faire croire que ce qui est exposé représente la normalité, mais à vrai dire nous pousse dans une recherche de bonheur sans fin dans le but d’obtenir l’approbation de l’autre”. 

Des effets pervers

L’injonction au bonheur peut avoir des effets néfastes sur la santé mentale et le bien-être des individus en créant des attentes irréalistes, en décourageant l’expression des émotions authentiques et en favorisant des comportements malsains de comparaison et de consommation excessive.

En effet, pour beaucoup, la quête permanente du bien-être peut encourager une mentalité de consommation excessive de biens matériels, de médicaments ou encore de livres de développement personnel. Elle est également à l’origine de la multiplication des coachs et applications en lignes autour du bien-être… “Un effet de mode”, selon Ghita Alami qui reconnait “les bienfaits” de ces outils mais insiste sur le fait qu’ils “ne soignent pas”. “On ne traite pas par exemple une dépression par de l’hypnose, de la méditation ou du yoga”, alerte-elle.

Ces méthodes et outils autour du bien-être constituent un marché juteux, selon le psychologue Abdelilah Jarmouni Idrissi. “Beaucoup de marchands de bonheur profitent du désarroi dans lequel on se trouve quand il faut naviguer, avec peu de moyens et surtout peu de temps, entre perte d’identité et impératifs sociaux, professionnels ou financiers”. Mohssine Benzakour est du même avis. “Les fabricants tentent de nous convaincre à l’aide de messages publicitaires que nous nous sentirons plus heureux en achetant leur marchandise. Mais une personne en souffrance doit être rapidement aidée par une thérapie ou un traitement”, explique le sociologue.  

Ces aspirations contemporaines, sont en outre le lit de bien des souffrances. L’accent mis sur le bonheur peut également conduire à des comparaisons sociales constantes. Les individus peuvent se sentir malheureux en comparant leur propre vie à celle des autres, ce qui peut entraîner des sentiments d’insatisfaction. “Cette pression installe la comparaison à l’autre, et c’est la façon la plus puissante de ne jamais être content de soi”, détaille Abdelilah Jarmouni Idrissi. Or, estime-t-il, la principale source de bien être est “ce que l’on trouve en soi, quand on prend le temps de se questionner et de s’entendre répondre.” Selon l’expert, il est important d’avoir cette aptitude à agir selon ses propres choix et pensées. “Nous devons avoir, et ce n’est pas le cas de tout le monde, notre libre-arbitre, nos propres souhaits à concrétiser avec les capacités qui sont les nôtres”, préconise le spécialiste. “Les suggestions de l’autre peuvent être bonnes, mais en décalage avec la personne que nous sommes ou avec nos capacités”. “Le respect de soi devrait être notre seul guide. C’est le manque de confiance en nous-mêmes qui donne à l’autre le pouvoir de nous faire sentir mal sous sa pression”, conclut le le psychologue.

Le baromètre mondial du bonheur

Célébrée le 20 mars, la Journée mondiale du bonheur donne lieu chaque année à la publication d’un rapport sur le bonheur qui vise à “mesurer et de comprendre le bien-être subjectivement”. Dans ce classement réalisé par le Réseau des solutions pour le développement durable des Nations Unies en collaboration avec Gallup et l’Oxford Center for Well-Being Research, le Maroc arrive 107ème sur une liste de plus de 143 pays. Le Royaume a ainsi perdu sept places par rapport au précédent classement avec un score de 4,795. Dans la région MENA, le Maroc occupe la 9ème position. À noter que ce rapport s’appuie sur six facteurs clés pour expliquer les variations des niveaux de bonheur déclarés dans le monde, à savoir : le soutien social, le revenu, la santé, la liberté, la générosité et l’absence de corruption. À l’échelle mondiale, la Finlande arrive en tête du classement général pour la septième année consécutive. Le Danemark décroche le 2ème rang, suivi par l’Islande et la Suède. L’Afghanistan reste en bas du classement général en tant que nation “la plus malheureuse” du monde.

Selon la psychologie positive, le bien-être n’est qu’une question de choix personnel et donc la souffrance l’est tout autant. Est-ce aussi simple et facile que cela ?

Il est bien entendu caricatural de dire que le bien-être n’est qu’une question de choix, on ne peut se sentir bien quand on cumule des raisons objectives d’être en souffrance. D’où la fréquente inefficacité des techniques proposées. Néanmoins on peut moduler son investissement dans les différents aspects de notre vie, tracer ses propres chemins vers ce qui est important. Sans oublier ce à quoi il faut renoncer.

Qu’est ce qui dérange l’autre dans le fait de se sentir triste et de l’exprimer ?

L’autre, comme soi-même, est un animal social et, en tant que tel, il peut être impacté par notre mal être et souhaiter, pour lui, autant ou davantage que pour nous, nous voir plus heureux. Ne pas se sentir bien, voire être dépressif, est un droit à défendre. L’autre peut également, en compensation de sa propre fragilité, développer une personnalité envahissante, et le besoin, dans le cadre d’une affirmation de lui-même, apaisante pour lui, d’agir sur 

la vie des autres, de façon souvent maladroite.

Qu’en est-il de l’obligation d’être bien dans son corps avec notamment la multiplication des coachs, des modes de vie healthy, des applis, etc. Quels sont les effets d’une telle culture ?

Ces modes de vie assurent plus de bien-être, c’est indiscutable. Encore faut-il que nous les adoptions du fait de notre désir et non pour être ce que l’on pense devoir être aux yeux des autres, auquel cas on sacrifie notre identité pour devenir une coquille vide.

Quel lien existe-t-il entre le bien-être physique et mental ?

Le lien est évident, une simple grippe atteint notre moral. Notre vie est partiellement régie par notre rationalité, notre intelligence, mais sans nos émotions nous ne sommes que des robots, dans une forme de non-vie, et le tout se passe dans un seul lieu : notre corps. Il a été démontré depuis longtemps que nos émotions agissent sur notre corps, notamment sur le plan hormonal, et l’inverse est vrai: mieux vaut donc être dans un habitat correct que dans une cabane délabrée.

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