Mariage : Le mariage entre droits et non-dits

Depuis l’annonce de la révision du Code de la famille en 2022, le Maroc semble prêt à franchir un tournant historique pour améliorer les droits des femmes. Mariages précoces et polygamie restent pourtant des réalités difficiles à éradiquer. Derrière les réformes légales, nombre de femmes continuent de se heurter à des pratiques ancrées dans les mentalités, mettant à l’épreuve la portée réelle des changements envisagés. Détails.

Depuis le discours du Trône de juillet 2022, un chantier de révision majeur a été lancé. Une commission, placée sous l’égide du Chef du gouvernement, a examiné dès septembre 2023 plus de cent propositions d’amendements. Le projet dévoilé en décembre 2024 inclut des mesures importantes : l’augmentation de l’âge minimal du mariage, la mise en place d’une tutelle légale partagée entre les époux pendant et après le mariage ainsi que la reconnaissance de la contribution économique des femmes au patrimoine commun. Bien que le texte soit toujours à l’état de projet, cette dynamique ravive l’espoir d’un véritable changement.

Sur le terrain, la vie quotidienne de nombreuses jeunes marocaines reste marquée par des réalités immuables. “J’avais 15 ans quand mes parents ont décidé pour moi”, raconte Halima, la voix basse. Mariée à un homme de trente ans son aîné, elle n’a jamais choisi ni son époux, ni le moment de quitter l’école. “Ce jour-là, j’ai compris que mon avenir ne m’appartenait plus.” 

Chaque année, malgré l’âge légal fixé pour les mariages, des milliers de mineures voient leur destin scellé par les articles 20, 21 et 22 du Code de la famille, qui autorisent encore les dérogations. En 2022, on dénombrait 12.940 mariages de mineures. Derrière ces chiffres, arrêt de la scolarité, maternités précoces, violences conjugales, précarité… “Sous prétexte de protéger l’honneur familial, c’est l’avenir des filles que l’on sacrifie”, dénonce Bouchra Abdou, militante féministe et présidente de l’association Tahadi. Pour elle, seule une refonte courageuse de la Moudawana, accompagnée d’un travail en profondeur sur les mentalités, permettra de briser ce cycle. Le problème ne se limite pas à la légalité: “Il ne faut pas se laisser piéger par les discours sur la culture ou les mentalités”, rappelle Stéphanie Willman Bordat, militante féministe et Associée fondatrice de MRA Mobilising for Rights Associates. “Les véritables résistances sont d’ordre économique : maintenir le contrôle sur le corps et les ressources des femmes.” Résultat : chaque proposition de réforme bute sur des intérêts solidement établis.

Selon les dernières données du Ministère de la Justice, 85% des demandes de mariages se sont soldées par une autorisation entre 2011 et 2018. Les dérogations à la loi font que les mariages des mineures existent toujours. Toujours selon la même source, 88% des tribunaux n’ordonnent aucune enquête sociale. “Un simple certificat médical suffit souvent à valider l’irréversible”, déplore Bouchra Abdou. 

Une exception qui perdure

Après les mariages précoces, un autre pan de la Moudawana cristallise les inégalités persistantes: la polygamie. En 2004, le législateur avait tenté d’en limiter la possibilité en l’assortissant de conditions strictes : existence d’un motif objectif exceptionnel, consentement de la première épouse, preuve de capacité financière à entretenir deux foyers, et intervention du juge de la famille après tentative de conciliation. L’esprit du texte était clair : faire de la polygamie une exception encadrée, et non plus une pratique banalisée.

Mais vingt ans plus tard, la réalité reste plus nuancée. Entre 2017 et 2021, plus de 20.000 demandes d’autorisation de polygamie ont été enregistrées devant les tribunaux marocains, avec un taux d’acceptation avoisinant les 39 %. Une proportion significative, qui ne rend même pas compte de l’ampleur réelle du phénomène, puisque de nombreux hommes contournent la procédure officielle en contractant d’abord une union coutumière par simple récitation de la Fatiha, avant d’en demander la reconnaissance judiciaire en s’appuyant sur l’article 16 du Code de la famille. “À travers la Fatiha, on régularise discrètement une seconde union sans passer par les contraintes légales”, constate Bouchra Abdou.

En théorie, la procédure reste encadrée. Le mari doit saisir le tribunal avec une requête motivée, détaillant sa situation matérielle – revenus suffisants, logement distinct pour chaque épouse – et exposant les raisons du projet de deuxième mariage, qu’il s’agisse de l’incapacité de procréer de la première épouse, d’une maladie grave ou encore de l’éloignement définitif du foyer conjugal. Le juge, usant de son pouvoir d’appréciation, vérifie la solidité financière du demandeur, entend la première épouse – dont l’accord formel est requis – et informe la future seconde épouse de la situation. Une tentative obligatoire de conciliation précède toute décision.

Pourtant, cette architecture juridique, en apparence protectrice, présente de nombreuses failles. Comme le souligne Nabila Jalal, avocate au barreau de Casablanca et présidente de la Fédération de la Ligue des Droits des Femmes pour la région Casablanca-Settat, le pouvoir discrétionnaire laissé aux juges aboutit à des décisions inégalitaires selon les tribunaux et les régions. Ce qui est refusé dans une ville peut être accepté dans une autre, sans véritable garantie d’équité pour les premières épouses. Pour cette militante, seule une interdiction claire et non négociable de la polygamie permettrait de sortir de cette insécurité juridique.

Le tabou du contrat matrimonial

Bien que le contrat de mariage soit prévu par l’article 49 du Code de la famille, il reste largement ignoré. Ce contrat, qui permet aux époux de définir la gestion de leurs biens pendant et après l’union, n’est que rarement utilisé. Pour l’établir, les futurs époux s’adressent à un notaire habilité ou à un Adoul. Munis de leurs pièces d’identité, d’une liste sommaire de leurs actifs et, si souhaité, d’un projet de convention préparé en amont, ils signent le document et règlent les frais – rarement supérieurs à quelques centaines de dirhams. Le notaire l’enregistre auprès du tribunal compétent permettant son annotation sur le livret de famille sous une à deux semaines.

Avant la cérémonie, une copie certifiée conforme ou un certificat notarié est remis à l’officier de l’état civil pour être annexé à l’acte adoulaire. Cette formalité simple contraste avec la tendance générale : en 2019, seuls 699 contrats ont accompagné plus de 275.000 actes de mariage, soit moins de 0,25%. L’hésitation se lit aussi dans les chiffres du HCP, qui note une baisse des contrats de mariage de 275.000 en 2019 à 251.000 en 2022, et dans le fait qu’à peine 0,5 % des conventions comportent des clauses additionnelles, selon une étude de Global Rights. Or, comme le rappelle Bouchra Abdou, “la communauté des biens, si réclamée par l’épouse, fait très souvent fuir le mari”, un reflet de l’embarras culturel face à cette protection patrimoniale. Ce phénomène s’inscrit dans une vision traditionnelle du rôle de la femme, confiné à la sphère privée. “On attend d’elles qu’elles apportent leur contribution sans que cela se traduise par un droit sur le patrimoine”, déplore la militante. 

L’absence de contrat de mariage place ainsi les femmes dans une position de vulnérabilité, particulièrement lorsque survient la fin de la relation, qu’il s’agisse d’une séparation ou du décès du conjoint. 

Un vide légal exploité

À ces pratiques “invisibilisées”, s’ajoute la persistance du mariage coutumier, une union conclue par simple récitation de la Fatiha, sans acte adoulaire ni enregistrement officiel. Si la loi marocaine ne la reconnaît pas, la pratique reste ancrée dans les réalités sociales, en particulier en milieu rural. Selon le COI Focus du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, “le mariage coutumier persiste avec un pourcentage non négligeable de 13 % en milieu rural, contre 6,5 % en milieu urbain”. La région de Casablanca-Settat enregistre le taux le plus élevé de mariage des mineures (19,8 %), d’après l’étude nationale conduite par l’association Droits & Justice en 2019/2020.  Scellé par la seule Fatiha, sans Adoul ni registre, il échappe à tout contrôle… jusqu’aux tribunaux.

En juillet 2022, la Cour de cassation a rouvert la voie en validant un tel mariage, alors que le régime dérogatoire avait été abrogé en 2019. Les juges, en l’absence de texte clair, invoquent l’article 400 du Code de la famille et les préceptes malékites pour régulariser ces unions – qu’il s’agisse de polygamie ou de mariages de mineures. Confrontés à des enfants nés hors statut, ils préfèrent officialiser l’union plutôt que de laisser ces jeunes vies sans protection. L’article 45, qui impose d’énoncer “les mesures en faveur de la première épouse et des enfants”, achève de consolider cette logique : aucun juge ne voudra priver un enfant de ses droits civils. “Ce mécanisme, pensé pour pallier des cas très exceptionnels, s’est mué en soupape permanente”, soupire Rachid Ouadifi, magistrat au ministère de la Justice. “Il ouvre une double issue : la polygamie comme les mariages précoces trouvent là leur légitimité… et nous restons coincés dans ce cercle vicieux.” Et derrière cette reconnaissance à posteriori de mariages non formalisés, ce sont souvent des histoires de jeunes filles livrées à des unions précoces, sans véritable protection juridique, ni accès à leurs droits fondamentaux.

Réformer pour transformer

À l’heure où la révision du Code de la famille est sur toutes les lèvres, le Maroc se trouve face à un tournant historique. Selon l’historienne Touria Saoudi, “ces progrès restent timides”. Derrière les textes, la réalité sociale continue de reproduire des inégalités profondes. Mariages de mineures, polygamie détournée, mariages coutumiers non reconnus, contrats de mariage tabous: autant de pratiques qui trahissent l’écart immense entre la loi et son application effective.

“Si la Moudawana aspire réellement à incarner les principes d’égalité et de dignité consacrés par la Constitution, elle devra non seulement abolir les dérogations permissives, mais aussi imposer des mécanismes contraignants pour garantir l’information, la protection et l’autonomie réelle des femmes”,  estime Bouchra Abdou. Car réformer un Code, c’est bien. Mais faire évoluer les mentalités, c’est tout le défi d’une société qui ne pourra avancer qu’en brisant, enfin, les chaînes invisibles de la tradition…

Q&R

Stéphanie William Bordat, Associée fondatrice, MRA Mobilising for Rights Associates.

Pourquoi les dérogations pour les mariages d’enfants sont-elles encore accordées malgré la loi ? 

Malgré l’interdiction des mariages d’enfants à partir de 18 ans, les articles 20 à 22 du Code de la famille permettent des dérogations. Cependant, ces dispositions manquent de clarté, ce qui facilite leur application laxiste. En conséquence, 85 % des demandes d’autorisation sont acceptées, souvent sans un contrôle adéquat. Les demandes sont traitées en un temps record, souvent sans enquête sociale ou médicale, ce qui rend cette loi inefficace dans la pratique et transforme l’exception en règle.

Le contrat de mariage est-il négligé par ignorance ou par pression sociale ?

Le contrat de mariage est largement négligé, mais il ne devrait pas être la responsabilité des femmes de devoir « imposer » leurs droits. L’État doit rendre le contrat de mariage obligatoire, comme en France ou au Pakistan, pour garantir une gestion claire des biens et des droits des 

époux. Actuellement, les autorités ne renseignent pas correctement les futurs époux sur leurs droits, ce qui crée une lacune importante dans la protection juridique des femmes. Depuis 2010, nous plaidons pour l’instauration de contrats standardisés et l’obligation d’informer les couples sur leurs choix légaux.

La réforme de la Moudawana peut-elle vraiment toucher aux tabous patriarcaux ?

Il existe une opportunité rare de remettre en question les structures patriarcales à travers une réforme sérieuse de la Moudawana. Si les législateurs agissent avec rigueur et discernement, cela pourrait mettre fin aux discriminations économiques et sociales envers les femmes. Pour réussir, il est essentiel de maintenir une pression constante sur les décideurs, en suivant de près les travaux parlementaires et en engageant des dialogues directs avec les ministres et parlementaires pour pousser à des changements réels.

 

Saïdia Mediterrania, joyau balnéaire de l’Oriental, sera l’hôte de la Coupe du Monde de Triathlon Moulay El Hassan 2025. Ce
À Casablanca, Marrakech ou Mohammédia, voici 5 nouveaux restaurants à tester absolument.
Le Festival Gnaoua et Musiques du Monde a donné hier le coup d’envoi de sa 26ᵉ édition. Trois jours durant,
Du 12 au 14 juin 2025, la ville du détroit a accueilli Tanger Fashion Week. L'occasion pour la rédaction de
31AA4644-E4CE-417B-B52E-B3424D3D8DF4