Qualité de service : le maillon faible

Le Maroc fascine les voyageurs de par sa riche histoire, sa culture envoûtante et ses paysages variés. Mais en dépit de ses multiples attraits, le secteur souffre parfois d'un manque de professionnalisme, d'accueil décevant et de prestations inégales, érodant l'expérience des visiteurs. Éclairage.

Quand Sophie, une touriste française âgée de 28 ans, franchit les portes d’un hôtel 5 étoiles situé à Marrakech, elle était loin de se douter que l’expérience inoubliable qu’elle escomptait ne serait pas au rendez-vous. “J’avais réservé cet hôtel avec enthousiasme, mais la chambre était loin de correspondre à ce que j’imaginais : un tapis sale et usé jusqu’à la corde, une odeur de moisi, des serviettes rêches, un sommier qui grince, et un per­sonnel indifférent à mes plaintes et qui a fait preuve d’un manque de professionnalisme flagrant”, raconte la jeune française. Malheureusement, Sophie n’est pas la seule à se plaindre de cette situation. Dans différents établissements, les témoignages font état des mêmes problèmes récurrents : des retards dans les procédures d’enregistrement, un service lent et désorganisé, des chambres mal entretenues et un manque flagrant d’at­tention portée aux besoins des clients. Que se passe-t-il donc dans les coulisses de certains hôtels ?

À la recherche d’une main d’œuvre qualifiée

Force est de constater que tous les établisse­ments ne sont pas touchés par ce fléau. Cer­tains se distinguent par leur souci de la qua­lité et leur volonté de créer des expériences mémorables pour leurs clients. Cependant, les problèmes de service sont de plus en plus fréquents. Déjà, lors d’un précédent voyage, Sophie avait vécu une mauvaise expérience lors d’un séjour en famille dans un riad au coeur de la mé­dina de Marrakech. “Nous avions choisi un riad réputé pour passer des vacances en famille. Mais dès notre arrivée, nous avons constaté que les services étaient bien en deçà de nos attentes. Les repas étaient mé­diocres et le personnel semblait désintéressé de notre bien-être”, dit-elle. Ayant réservé dans un riad autrefois renommé, les couleurs vibrantes du zellige marocain et les fontaines murmurantes leur avaient “vendu du rêve”. Car derrière la magnifique architecture tradi­tionnelle marrakchie se cachaient, raconte Sophie, des chambres négligées et un personnel peu réactif. C’est la raison pour laquelle elle a décidé cette fois-ci d’opter pour un hôtel luxueux, mais la déception était encore au rendez-vous.

En réalité, au coeur de Marrakech, entre les souks animés, les jardins luxueux, les palais somptueux et les riads majestueux, se joue une bataille pour la qualité du service. “Le Maroc souffre encore de la mauvaise qualité du service dans différents établissements tou­ristiques. Les ressources ont de moins en moins envie de travailler dans le tourisme”, explique Salah Chakour, expert et consultant en tourisme et gestion hôtelière. Mais si le tourisme est l’une des débouchées les moins attractives pour les jeunes recrues, il figure pourtant parmi les secteurs névralgiques et les plus stratégiques pour l’économie du pays. À fin septembre 2022, les re­cettes de voyages se sont élevées à plus de 62,2 MMDH, soit 37% de plus qu’en 2021, selon les dernières statis­tiques publiées par l’Office des changes. En 2019, sur toute l’année, le secteur a réalisé des recettes de l’ordre de 78,75 MMDH. “Seule une main-d’oeuvre qualifiée et bien formée pourra répondre aux attentes élevées des visiteurs et contribuer à l’épanouissement durable de l’industrie touristique marocaine”, ajoute l’expert.

Ce constat est partagé par Mustapha Aouzir, proprié­taire d’une agence de voyages et membre de l’Association nationale des agences de voyages du Maroc. Selon lui, la qualité du service laisse à désirer à cause des conditions de travail difficiles, du recrutement massif des stagiaires en période estivale, mais aussi et surtout à cause de la formation, parent pauvre du tourisme dans notre pays. Recru­ter des stagiaires en période estivale peut en effet sembler une solution pratique pour répondre à la demande saisonnière, mais cela comporte des risques et des inconvénients signi­ficatifs. La raison en est simple. En engageant des stagiaires peu expéri­mentés, les établissements de pres­tation touristique sapent la relation client en proposant à ce dernier un service inadéquat, voire médiocre. “L’hôtellerie exige des compétences spé­cifiques, telles que la gestion des situations délicates, la communication efficace et la résolution des problèmes. Tout cela nécessite une formation et une expérience pré­alables. Or un stagiaire, en phase d’apprentissage, peut commettre des erreurs qui peuvent à leur tour nuire à l’expérience des visiteurs”, enchérit Mustapha Aouzir qui estime que le recrutement des stagiaires saborde la création de l’emploi, affaiblit la motivation, et baisse la qualité du service fourni.

Une problématique complexe

Faut-il lier le problème de la qualité du service au re­crutement des stagiaires ? En fait, il existe, d’après Salah Chakour, un réel autre problème impactant la qualité du service offert aux visiteurs. C’est le cas de la formation qui, détaille-t-il, n’est pas adaptée aux be­soins actuels du secteur du tourisme. “Le transfert des établissements de formation hôtelière du ministère du Tourisme au ministère de l’Éducation nationale a entraîné une perte de contrôle et une fragmentation des programmes de formation. Ceci a eu un impact négatif sur la qualité de l’enseignement dispensé, car le ministère de tutelle n’a peut-être pas la même expertise et connaissance spécifique du secteur du tourisme”, souligne l’expert. Il ajoute, dans le même ordre d’idées, que le manque de coordination entre les différents acteurs de la formation, qu’il s’agisse du secteur privé, de l’Office national du tourisme ou des ministères concernés, impacte également la qualité de la formation. Car selon lui, les différences dans les méthodes de recrutement, les programmes de forma­tion et les formateurs, créent une fragmentation et un manque d’harmonisation qui nuisent à la qualité globale de la formation.

Mais Adnane Afkir, directeur de l’Institut inter­national du tourisme de Tanger (ISITT), n’est pas du même avis. Pour lui, il est d’abord essentiel de considérer l’attractivité du secteur et les conditions offertes par les établissements hôteliers pour attirer des talents de qualité. “Les salaires proposés dans l’industrie du tourisme ne sont pas suffisamment compétitifs et la question du management dans les établissements doit également être examinée”, regrette le directeur de l’ISITT, avançant l’exemple de la pandémie, où seuls un nombre limité de pro­fessionnels ont bénéficié d’une aide gouvernemen­tale, laissant un grand nombre dans une situation précaire. De ce fait, de nombreux talents préfèrent travailler dans d’autres secteurs ou dans d’autres pays. “L’État investit dans plusieurs structures de formation telles que l’OFPPT, l’ISTH, etc. Ces éta­blissements de formation fournissent également des efforts considérables. Il faudrait que les éta­blissements touristiques forment à leur tour leurs employés et ce, tout au long de leur carrière. Si le secteur évolue, la formation doit le suivre. Elle doit être continue”, explique Adnane Afkir. Il ajoute que le contexte post-Covid a exacerbé les problèmes, avec des professionnels qui ont été insuffisamment accompagnés pendant la crise sanitaire, ce qui les a poussés à se reconvertir vers d’autres métiers et à refuser de revenir au sec­teur du tourisme en raison de leurs expériences négatives.

À l’issue de son séjour, So­phie garde en mémoire la ri­chesse culturelle et l’hospitalité des Marocains. Ce sentiment est cependant faussé par les expériences décevantes qu’elle a vécues. “Je ne sais pas si je reviendrais une autre fois au Maroc...”, confie-t-elle. De nombreux touristes seraient dans le cas de Sophie. Suite à des anomalies constatées dans le service et les prestations, ils préfèrent se détourner du produit Maroc pour d’autres destinations aux standards internationaux. Une perte sèche pour notre économie et pour un secteur qui aspire attirer 17,5 millions de touristes d’ici 2026. Ne serait-il donc pas temps d’améliorer les normes de cette industrie afin que chaque visiteur reparte avec l’envie de re­venir dans ce pays fascinant ?

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