Au Maroc, le mariage est bien plus qu’un simple événement : c’est une véritable cérémonie où chaque détail compte, où chaque geste, chaque vêtement et chaque bijou portent une symbolique particulière. Au cœur de ce moment magique se trouvent les neggafas, des professionnelles dont le rôle est de guider la mariée tout au long de sa transformation en reine du jour. Entre transmission de savoir-faire ancestral et modernité, les neggafas jouent un rôle fondamental dans la célébration du mariage.
Deux femmes, deux parcours, mais une même passion pour l’héritage marocain : Majda Benjelloun, pionnière au regard aiguisé et au geste sûr, et Najoua Moustatir Tadlaoui, entrepreneure passionnée, incarnent la profession de neggafa. Véritables architectes de la beauté nuptiale, ces artisanes de l’ombre orchestrent la mise en lumière de la mariée, transformant son apparence en une œuvre d’art vivante, tissée de traditions, de soie et de symboles ancestraux.
Tout pour la mariée
Les neggafas occupent une place primordiale dans le parcours de la mariée. “Mon métier consiste à organiser et coordonner l’apparence de la mariée, en sélectionnant les tenues traditionnelles, les bijoux et tous les éléments qui la mettent en valeur, tout en respectant l’héritage culturel marocain”, raconte Majda Benjelloun, une neggafa qui exerce depuis plus de 30 ans. Ce rôle dépasse largement celui d’une simple habilleuse : la neggafa est une guide, une conseillère, mais aussi une experte en beauté et en symbolisme. “Je ne suis pas seulement habilleuse, je suis conseillère, artiste et soutien moral”, résume Majda Benjelloun. Ancienne employée d’un laboratoire de développement photos, c’est à travers les clichés de mariées qu’elle a trouvé sa vocation. Fascinée par la richesse des rituels marocains, elle se lance dans cette aventure humaine et artistique, animée par le désir de perpétuer un savoir-faire ancestral.
Dès les premiers échanges, la relation entre la mariée et la neggafa se tisse dans la confiance. “J’écoute la mariée, je prends le temps de comprendre ses attentes, ses goûts, et parfois même ses origines régionales pour lui proposer des tenues et des accessoires qui la sublimeront”, confie Najoua Moustatir Tadlaoui, co-fondatrice de Negafa Tadlaouia. Pour elle, chaque mariage est une aventure unique : “Chaque cérémonie m’apporte une immense joie, car elle est un moment de pure magie où tout doit être parfait.” Najoua, qui a troqué l’univers de l’événementiel pour celui de la tradition, voit dans chaque mariage une scène à sublimer : “Chaque détail compte. Les postures, les mouvements, l’éclat des bijoux, tout doit être orchestré pour que la mariée rayonne.” Sa mission : faire de ce jour un conte intemporel, où la tradition rencontre la modernité.
Un défilé de traditions vivantes
Symbole de la diversité culturelle marocaine, le trousseau de la mariée se compose de plusieurs tenues régionales, soigneusement sélectionnées avec la neggafa. “Fassie, amazighe, sahraouie, rbatie, tétouanaise… Chaque tenue raconte une histoire, celle d’un peuple, d’une mémoire, d’un héritage”, détaille Majda. “La mariée marocaine porte généralement entre 1 à 4 tenues traditionnelles”, poursuit-elle. Chaque tenue se porte à un moment précis de la cérémonie. “L’incontournable caftan marocain pour la ammaria pour l’entrée, ensuite la dora des deux mariés est généralement régionale la fassia ou lebssa en joher (Fès), la chamaliya (nord), la sahraouia, l’amazighe, la rbatiya… ou encore la keswa lkbira”, précise pour sa part Najoua.
Les bijoux, eux aussi, sont loin d’être anodins. Ils sont le reflet du statut social, de la richesse et des valeurs de la famille. Certains bijoux sont des héritages transmis de génération en génération, des pièces chargées de mémoire et d’émotion. Pour Majda, “chaque bijou porte une signification particulière: la fertilité, la richesse, la prospérité, ou encore l’appartenance à une culture”. Najoua ajoute : “Il ne s’agit pas que d’apparence. Chaque accessoire a une signification. Une neggafa se doit de connaître cette grammaire de l’ornement” .
Une journée marathon
Ça commence bien avant le jour J: la neggafa rencontre la mariée en général plusieurs mois à l’avance pour choisir les tenues, faire les essayages, comprendre ses attentes. Le jour du mariage, la neggafa entame son marathon. Levée aux aurores, elle coordonne son équipe – composée d’une bonne dizaine de personnes– pour veiller à la mise en beauté de la mariée. Tenues, maquillage, timing des sorties, coordination avec les autres prestataires… Rien n’est laissé au hasard. “C’est une journée longue, bien remplie et intense en émotions. Je commence tôt avec la préparation de la mariée, la coordination des tenues, des bijoux, et je l’accompagne tout au long de la soirée pour les changements et pour m’assurer qu’elle apparaisse toujours sous son meilleur jour”, raconte Majda. Rien n’est laissé au hasard : chaque détail compte, de l’harmonie des couleurs à l’éclairage, en passant par la décoration. “Il faut gérer le stress, les imprévus, sans jamais le montrer. La mariée doit se sentir comme une reine, en sécurité”, explique Majda. Najoua confirme : “Le principal défi est de gérer le stress du jour J. Tout est minutieusement préparé bien avant pour garantir une expérience fluide pour la mariée, mais il faut aussi être prêt à gérer aussi les imprévus, les retards, ou les changements de dernière minute, sans jamais se départir de son sourire et de sa confiance. On doit toujours donner le sentiment que tout est parfaitement maîtrisé.”
L’accompagnement ne s’arrête pas à la logistique. La neggafa est aussi un soutien émotionnel. Majda se rappelle d’une mariée effondrée à cause d’un conflit familial juste avant son entrée : “Je l’ai aidée à respirer, à sourire à nouveau. C’est dans ces moments que notre rôle dépasse le côté technique.”
L’art de la mise en scène
L’apparence globale de la mariée est au centre des préoccupations de la neggafa. “Les photos restent à jamais, c’est pourquoi je veille à ce que chaque détail soit soigneusement pensé, depuis l’harmonie des couleurs jusqu’à l’éclairage et la décoration”, souligne Majda. La mise en scène du mariage est un art éphémère, où chaque instant doit être parfait. La neggafa accompagne la mariée dans tous les moments clés de la cérémonie : l’entrée dans la salle, les changements de tenues, les séances photo, les rituels traditionnels comme le “dfoue”. Elle veille à ce que la mariée soit toujours mise en valeur, tout en gérant les imprévus avec sang-froid et bienveillance.
“En tant que neggafa, la mise en scène, les photos et l’apparence globale sont au cœur de mon travail. Chaque détail compte et j’y veille scrupuleusement: les tenues, les accessoires, les sorties, la posture de la mariée, ses mouvements…”, précise pour sa part Najoua. Pour elle, tout doit être parfaitement harmonisé pour refléter l’élégance et la beauté de l’instant. “Je tiens à ce que chaque moment soit visuellement mémorable, car les photos resteront à jamais le témoignage de ce jour unique. Mon objectif est de créer un univers raffiné, digne des rêves des mariés”, poursuit-elle.
Un métier en pleine évolution
Le métier de neggafa n’a pas échappé aux transformations de la société marocaine. Si autrefois les mariées portaient parfois jusqu’à sept tenues différentes, elles sont aujourd’hui nombreuses à privilégier la sobriété. “Certaines veulent moins de caftans, d’autres reviennent aux racines avec fierté. Il faut savoir s’adapter”, affirme Majda. Najoua observe une même tendance. “Le service est devenu plus raffiné, presque sur-mesure. Les mariées veulent une expérience personnalisée, où chaque choix reflète leur personnalité”, dit-elle. Face à ces évolutions, les neggafas se réinventent sans renier leur mission première : faire vivre la tradition. “Il ne s’agit pas de figer le passé, mais de le transmettre avec élégance”, résume Najoua.
Loin d’être une pratique figée, le métier de neggafa continue d’évoluer. Les nouvelles générations, souvent formées à la fois à l’art, à la communication et à la gestion événementielle, apportent une vision innovante. Les deux professionnelles s’accordent à dire que l’avenir du métier est prometteur. “À condition de marier tradition et modernité, le métier a encore de beaux jours devant lui”, insiste Majda. Najoua imagine même un métier davantage professionnalisée, avec des labels de qualité et des formations spécifiques.
Artisanes de l’ombre
Majda et Najoua incarnent cette génération de femmes qui perpétuent, adaptent et magnifient les traditions. Par leur savoir-faire, leur sensibilité et leur rigueur, elles façonnent des souvenirs, des émotions, des identités. Pour Majda, ce métier lui “permet de contribuer à créer une parenthèse magique dans la vie des gens, ce qui me remplit de satisfaction”. C’est aussi un métier qui lui permet de développer son sens artistique, sa patience et sa capacité à s’adapter.
“Une fois, une mariée très émotive a fondu en larmes en se voyant dans le miroir avec sa première tenue. Elle m’a dit : “Je n’aurais jamais cru pouvoir me sentir aussi belle”. C’est ce genre de moments qui donne tout son sens à mon métier”, nous confie Najoua.
De ces moments d’intimité naissent souvent des amitiés durables. “On partage des instants très forts. Certaines mariées continuent à m’écrire des années après”, confie Najoua. Pour Majda aussi, la relation va bien au-delà d’un simple contrat. “Il y a une confiance mutuelle, une complicité qui s’installe.”
Elles sont les gardiennes d’un patrimoine vivant, les artistes de l’éphémère, les confidentes des mariées et les orchestratrices de la beauté. Leur métier, loin d’être figé, continue d’évoluer pour répondre aux attentes des nouvelles générations, tout en préservant l’âme et l’identité du mariage marocain. Derrière chaque mariée resplendissante, il y a une neggafa. Un nom peut-être oublié par les invités, mais gravé à jamais dans le cœur de celle qu’elle a accompagnée.