Le numérique a donné de la voix aux féministes qui se sont emparées des réseaux sociaux pour dénoncer les inégalités et les violences sexistes et sexuelles. À coup de hashtags, la parole s’est libérée. Lancé à la suite du scandale de l’ex-producteur Harvey Weinstein, #Metoo en est le meilleur exemple. Initié en 2017, il a déclenché une vague de témoignages sur les agressions subies. Baptisée féminisme 4.0, une nouvelle ère du mouvement féministe s’est ainsi ouverte. “Bien que #MeToo n’ait pas rencontré au Maroc le même écho qu’à l’international, son influence demeure notable”, appuie Imane Lahrich, Cheffe de Département de la Valorisation de la Recherche au think tank marocain Policy Center for the New South (PCNS) qui a co-écrit, avec sa consœur Nada Drais, le rapport “Devenir et avenir de l’action collective féministe à l’ère du numérique au Maroc”. En 2018, les hashtag #Masaktach, #Machi_b_sif, #Kayna ou encore #ZankaDialna ont fait leur apparition sur la toile. Derrière ces slogans, des milliers de citoyennes ont hurlé leur ras-le-bol contre les violences faites aux femmes. “La mobilisation a contribué à une prise de conscience plus large, encourageant un début de transformation dans le discours public et une approche législative relative à cette problématique”, souligne la spécialiste. “La promulgation de la loi 103-13 en est une illustration concrète. Cette législation, qui incrimine pour la première fois certains actes de violences envers les femmes comme le harcèlement, l’agression, et l’exploitation sexuelle, marque un progrès significatif. Elle renforce les sanctions contre ces délits et introduit des mécanismes de soutien aux victimes.” Malgré cette envolée sur le net, le féminisme 4.0 n’est qu’à ses débuts dans le pays. Les raisons ? De multiples freins comme les normes socioculturelles profondément ancrées qui privilégient les valeurs patriarcales, la fracture numérique sur le territoire ou encore les institutions familiales et éducatives qui limitent la diffusion des idées féministes et l’adoption de pratiques égalitaires, comme l’énumère Imane Lahrich. Pour cette spécialiste, le débat sur les droits des femmes au Maroc reste aussi principalement l’apanage d’une élite. Aussi, “l’indignation et la mobilisation, bien que de plus en plus visibles sur les plateformes numériques, ne reflètent pas encore une adhésion populaire massive ni une transformation radicale des mentalités.”
Résister à la haine
Malgré les barrières, une nouvelle génération d’activistes émerge usant de différentes modes d’expression à l’instar de Zainab Fasiki, illustratrice, Soufiane Hennani, fondateur du podcast Machi Rojola qui promeut la masculinité positive, Camélia Echchihab, journaliste indépendante et créatrice du compte Instagram “Stop féminicides Maroc” ou encore de Sarah Benmoussa, fondatrice de 7achak, mouvement contre la précarité menstruelle devenu plateforme médiatique féministe. “Mon engagement dans le cyberféminisme ne fut pas une décision prise à la légère”, confie cette dernière. “La nécessité d’agir et de faire partie d’un mouvement plus grand que soi l’a emporté sur mes appréhensions.” Et de poursuivre: “Au-delà des messages dénigrants sur les réseaux sociaux, je suis également confrontée à des menaces et à de l’intimidation dans l’espace public. Cette réalité s’étend même au-delà de mes activités militantes, affectant ma vie personnelle et mes déplacements. Pour moi, c’est le reflet d’une société où, malgré les avancées, certains individus refusent encore d’accepter l’idée d’égalité et de respect mutuel entre les genres.”
Gagner une audience
Pour Sonia Terrab, réalisatrice et co-fondatrice du mouvement Hors-la-loi mobilisé pour les libertés individuelles, les commentaires haineux et misogynes reçus ont peu d’importance face aux changements engagés. “Grâce à notre mobilisation, parler de l’article 490 du Code pénal qui criminalise les relations sexuelles hors mariage, n’est plus un sujet tabou”, assure-t-elle. “Il ne faut jamais minimiser l’impact des réseaux sociaux. Au contraire ! La clef ? Redoubler de créativité et d’expertises”, dit-elle tout simplement. “Je dis toujours que pour militer, il faut faire du marketing !”. Et Karima Rochdi, membre dudit mouvement, d’éclairer: “Notre stratégie est multiple, et nous menons différentes actions digitales, comme le sit-in en ligne que avons organisé à la mémoire de Meriem, violée et morte à 14 ans suite à un avortement clandestin.” Ainsi, le 20 octobre 2022, le mouvement Hors-la-loi a demandé aux Internautes d’écrire quelques mots en utilisant le hashtag #Meriem ou de publier l’image préparée : #Meriem sur fond vert avec une larme en rouge. Le but ? Remettre au cœur de l’actualité ce drame qui a été trop brièvement évoqué dans les médias, et par ricochets, dans le débat public. Pour Karima Rochdi, la force de Hors-la-loi réside dans les questions soulevées. Aussi, lorsque le collectif lance, en septembre 2021, #MetooUniv qui dénonce le “sexe contre bonnes notes” dans plusieurs universités (Oujda, Settat et Meknès), il reçoit une avalanche de témoignages d’étudiantes. “Depuis la création de notre mouvement, nous avons réussi à installer une confiance avec nos followers (55,5K) qui ont partagé ce hashtag, devenu rapidement viral !” L’ampleur du phénomène est tel qu’il interpelle les autorités. Résultats : certains responsables d’université prennent la porte et des procès sont enclenchés. “Malheureusement, le hasthag n’a pas résisté avec le temps comme #Metoo à l’international”, regrette-t-elle. “Il est vrai que tous les posts ne rencontrent pas le succès escompté”, reconnait Sarah Benmoussa. “La viralité d’un message tient parfois à des facteurs imprévisibles. Mais je suis persuadée que la persévérance est la clef. La création de contenus impactants est aussi un processus dynamique qui allie intuition, inspiration et interaction pour être à l’écoute de son audience tout en restant fidèle à ses convictions.” Et d’insister : “Vous savez, c’est difficile de gagner une audience diversifiée et parfois réticente ou indifférente aux messages féministes. Il faut arriver à dépasser la simple viralité pour développer des stratégies qui résonnent avec les expériences vécues, les espoirs et les craintes de nos concitoyens.” D’après Imane Lahrich, une démarche structurée et pluridimensionnelle s’avère indispensable pour renforcer l’influence du cyber-féminisme au Maroc. “Elle doit privilégier la sensibilisation des citoyens et des instances décisionnelles quant à l’importance cruciale des espaces numériques en tant que vecteurs de l’agenda féministe, et l’élaboration de programmes éducatifs spécifiquement destinés aux groupes sous-représentés afin de leur octroyer les compétences numériques nécessaires”, recommande-t-elle, avant d’insister sur la nécessité de développer de nouveaux outils au service du féminisme comme l’emploi de la réalité augmentée pour illustrer l’impact de la discrimination ou encore le développement de plateformes interactives de narration pour partager les expériences des femmes. En clair, la bataille est primordiale ! F