Le décrochage scolaire, l’absentéisme, le harcèlement, l’addiction, la violence… Autant de problèmes qui peuvent sérieusement entraver le cheminement éducatif de nombreux jeunes marocains. Ces problèmes laissent des séquelles profondes et engendrent des crises chez les élèves, perturbant considérablement la continuité du processus éducatif. Pour restaurer l’équilibre des élèves, il est impératif de faire face à ces problèmes et proposer des solutions adaptées. “Les établissements scolaires ne sont pas non plus exempts de violences, c’est pourquoi il faut accorder une attention particulière aux signes de détresse chez les élèves, tels que la nervosité ou l’anxiété. En intervenant précocement et en sensibilisant les enseignants et les parents, nous réussirons à créer un environnement propice à l’épanouissement des élèves”, explique Asmae Daoudi, psychologue clinicienne. Au Maroc, cette conception évolue avec l’avènement d’une approche éducative et pédagogique novatrice : l’École Citoyenne. Cette vision audacieuse vise à créer des citoyens responsables et engagés, capables de coexister harmonieusement et de contribuer positivement à la société.
Éduquer les citoyens de demain
Au cœur de cette révolution éducative se trouvent les cellules d’écoute et l’accompagnement scolaire, des dispositifs puissants qui tracent la voie vers une transformation sociale profonde. Car allant au-delà des réponses classiques aux problèmes d’addiction, de harcèlement et de décrochage scolaire, ces cellules offrent un soutien psychosocial essentiel. “Bien plus qu’une question d’excellence scolaire, les cellules d’écoute façonnent l’épanouissement humain, l’autonomie et la compétence à gérer sa vie personnelle et sociale”, explique Saadia Serghini, psychologue clinicienne. Cette perspective considère l’école bien plus qu’un lieu d’apprentissage, mais comme un espace de vie et de construction de relations, présentes et futures. La psychologue insiste sur l’impact de cette approche sur l’avenir des élèves et des futurs citoyens marocains.
Pourtant, malgré sa pertinence, cette dimension éducative est souvent ignorée par le ministère de tutelle. Dans sa feuille de route 2022-2026, le ministère de l’Éducation nationale a établi un programme novateur reposant sur 12 engagements concrets, mettant en avant élèves, enseignants et établissements. Parmi ces engagements figure un appui social renforcé, visant à promouvoir l’égalité des chances parmi les élèves. Toutefois, le débat autour de la mise en place de cellules d’écoute au sein des établissements scolaires, avec des assistants sociaux et des psychologues, suscite des interrogations cruciales quant à la manière dont le Maroc aborde les enjeux de santé mentale et de bien-être des élèves. Pour l’instant, cette initiative ne fait pas partie des plans officiels du ministère de l’Éducation ni du ministère de la Santé. “Au lieu de cela, ce sont principalement les associations de la société civile qui ont pris l’initiative, mais les résultats sont souvent entravés par des ressources limitées et une portée géographique restreinte”, explique Sarah Bouhafa, responsable de la coordination psychosociale relevant du ministère de la Santé.
Certains enseignants ont ainsi entrepris individuellement la création de petites cellules d’écoute destinées à soutenir les élèves en difficulté. Cependant, même après plusieurs années de leur mise en place, les centres d’écoute demeurent une initiative volontaire et non systématique. “Ayant moi-même été enseignante par le passé, j’ai eu l’occasion de témoigner des malheurs et des souffrances auxquels de nombreux élèves sont confrontés. À maintes reprises, j’ai observé de jeunes élèves en proie à des situations d’emprisonnement, de violence, de mauvaise fréquentation, et entraînés dans des spirales de dépendance, voire de décrochage scolaire précoce”, raconte Amina Bâgi, présidente de l’Association marocaine pour l’écoute et le dialogue (AMED).
Cette situation a amené la présidente de l’AMED à réaliser que pour qu’un changement durable s’opère, une intervention dès les premières années d’éducation est essentielle. D’ailleurs, c’est dans cette optique qu’elle a fondé son association qui, au tout début, s’occupait principalement des écoles primaires. Selon elle, la méthodologie consiste d’abord à mener des entretiens avec les élèves, au cours desquels les assistants sociaux identifient ceux nécessitant un suivi plus approfondi. Ensuite, l’AMED met particulièrement l’accent sur l’approche parentale, qui s’avère cruciale pour le parcours éducatif de l’élève surtout dans l’école primaire. “Nombre de parents ne réalisent pas l’importance de la santé psychosociale de leurs enfants, parfois en raison de leur propre manque de sensibilisation sur ces questions. Par le dialogue et la sensibilisation, nous avons pu noter des évolutions positives”, fait savoir Amina Bâgi, ajoutant que dans de nombreux cas, les élèves autrefois considérés comme “mauvais” peuvent être en réalité aux prises avec des difficultés surmontables grâce à l’écoute et à l’accompagnement. “Nous avons également élargi notre champ d’action pour inclure les collèges et lycées, à mesure que de plus en plus d’écoles sollicitent notre assistance”, ajoute la présidente de l’AMED.
Absence d’un cadre législatif
En réalité, et d’après la psychologue clinicienne Asmae Daoudi, des solutions simples peuvent avoir un impact significatif à la fois sur le parcours scolaire de l’élève et sa santé psychosociale. Impliquer les élèves dans des responsabilités au sein de l’école peut renforcer leur estime de soi et améliorer la communication. La formation est sans aucun doute essentielle, mais elle ne peut porter ses fruits sans un accompagnement adapté, surtout dans les écoles primaires où se construit la base de la personnalité de chaque enfant et sa compréhension du monde qui l’entoure. “Cependant, les défis sont parfois plus profonds, notamment pour les élèves confrontés à des troubles comportementaux tels que le trouble de l’opposition ou encore l’énurésie. Des problèmes en apparence mineurs, mais aux conséquences majeures”, détaille Asmae Daoudi. Elle ajoute que dans certains cas, le manque de coopération des parents ou le refus du changement de la part de l’élève compliquent notre mission, d’autant plus que notre soutien est bénévole. En l’absence de cadre légale et de “volonté politique”, ces associations se retrouvent au pied du mur sans pouvoir faire avancer les choses.
En effet, selon la présidente de l’AMED, malgré les succès que son association a enregistrés, le ministère compétent n’a toujours pas concrétisé ses promesses de mettre en place des cellules d’écoute au sein des établissements scolaires. Et en l’absence de régulation officielle, la qualité des services varie. “Notre association a présenté des recommandations et a partagé le travail réalisé depuis 2005, mais nous n’avons pas encore obtenu une réponse satisfaisante. Il est essentiel de créer un cadre législatif pour légitimer les cellules d’écoute et garantir un soutien structuré et professionnel”, déplore-t-elle. Elle souligne que cette légitimité permettrait de garantir un soutien structuré et professionnel, évitant les approches archaïques et potentiellement nuisibles à la santé mentale des élèves. Malgré les efforts louables déployés, la qualité de la prise en charge et des services demeure en suspens. “En l’absence d’une réglementation officielle, il est difficile d’évaluer et de garantir la cohérence des pratiques et des résultats à travers le pays”,explique Sarah Bouhafa. Une interrogation légitime se pose quant à l’entité chargée de superviser cette initiative. Alors que le ministère de la Santé se concentre principalement sur la santé physique des élèves et que le rôle des psychologues n’est pas encore clairement attribué à ce ministère, la question reste en suspens. Selon la responsable de la coordination psychosociale du ministère de la Santé, une solution pourrait émerger d’une collaboration étroite entre les ministères de l’Éducation et de la Santé, qui pourrait s’avérer essentielle pour une mise en œuvre efficace des cellules d’écoute.
Un autre point crucial à prendre en considération est celui de la ressource humaine. “La disponibilité de psychologues et d’assistants sociaux qualifiés pour répondre aux besoins des élèves est essentielle. Dans ce contexte, les centres d’addictologie, les établissements médico-universitaires et autres structures relevant du ministère de la Santé ont une expérience et une expertise précieuses à apporter dans ce domaine”, détaille Sarah Bouhafa. Selon elle, il est impératif d’éviter de charger les enseignants avec des tâches qui ne relèvent pas de leur domaine d’expertise en attendant le recrutement adéquat. Les enseignants sont déjà confrontés à une charge de travail considérable, concentrée sur l’éducation et l’encadrement des élèves. Il serait plus judicieux de collaborer avec des professionnels de la santé mentale spécifiquement formés pour gérer les aspects psychosociaux complexes. Plutôt que d’alourdir leur charge de travail, cette approche permettrait de mieux répondre aux besoins des élèves en difficulté. La responsable de la coordination psychosociale souligne l’importance d’une écoute attentive de la part du ministère de l’Éducation nationale et appelle à une action concrète pour faire progresser cette initiative. En impliquant des professionnels qualifiés et en mettant en place une approche coordonnée, l’école pourrait offrir un soutien complet et adéquat à ses élèves, favorisant ainsi leur épanouissement et leur réussite scolaire.
“Il est également essentiel d’explorer des collaborations fructueuses avec le ministère de la Culture pour intégrer des éléments artistiques et sportifs dans l’éducation. Ces disciplines contribuent non seulement à l’épanouissement personnel des élèves, mais elles servent également de boucliers contre les défis auxquels ils sont confrontés, tels que la toxicomanie”, implore la présidente de l’association AMED. Ainsi, la promotion de la santé mentale et du bien-être des élèves dans les établissements scolaires est une démarche cruciale pour garantir un environnement éducatif positif et favorable. Cependant, cela nécessite une approche multidisciplinaire, des partenariats solides avec des professionnels de la santé mentale et une volonté d’investir dans des ressources adaptées. En prenant en compte ces différents éléments, les écoles peuvent jouer un rôle essentiel dans la formation d’individus équilibrés, responsables et engagés, prêts à contribuer positivement à la société.