À chaque Ramadan, la question du jeûne se pose pour les personnes souffrant de maladies chroniques. À ce propos, les médecins sont clairs et unanimes : une maladie stable permet dans certains cas de jeûner, mais une pathologie évolutive ou mal contrôlée impose souvent une dispense. Chaque situation étant unique, une consultation médicale avant le début du mois sacré est indispensable.
Diabète : Nécessité d’un suivi strict et constant
Parmi les pathologies les plus fréquentes, le diabète est sans doute l’une des plus complexes à gérer pendant le jeûne. Mais tout dépend de son type et de son niveau de contrôle. Les patients atteints de diabète de type 1, nécessitant de l’insuline, doivent généralement éviter le jeûne, au risque de graves complications, comme l’hypoglycémie. Un avis que partage Dr. Khadija Moussayer, médecin interniste, qui insiste sur les risques encourus. “Le jeûne n’est pas autorisé, quel que soit l’âge, si la personne diabétique est traitée par l’insuline, ou en cas de diabète mal contrôlé, ou encore en présence d’insuffisance rénale ou de maladie cardiaque associée. Dans ces situations, le jeûne du mois de Ramadan expose à des conséquences néfastes et génère des accidents métaboliques graves – hypoglycémie, hyperglycémie ou acidocétose diabétique –, voire aggraver les complications dégénératives du diabète. Le patient peut être exposé à d’autres complications aiguës, notamment la déshydratation et la constitution de caillots sanguins au niveau des vaisseaux”, développe la spécialiste.
En revanche, pour les personnes souffrant de diabète de type 2, bien équilibré, il est parfois possible d’adapter le traitement en modifiant les horaires de prise des médicaments et en surveillant régulièrement la glycémie. Mais là encore, il faut être vigilant. Comme le souligne avec insistance Dr. Khadija Moussayer, modifier son traitement sans avis médical expose à des risques importants. “Changer l’heure, modifier la dose ou supprimer un médicament peut entraîner une diminution de l’effet thérapeutique ou l’apparition d’effets indésirables. Un suivi médical strict demeure indispensable”, souligne-t-elle. “Il faut attirer l’attention sur les risques qu’engendre la prise de plusieurs médicaments sur une courte période de rupture de jeûne. La situation se complique lorsque plusieurs doses de médicaments doivent être prises à intervalles réguliers”, poursuit-elle. La spécialiste avertit par ailleurs que certains médicaments ne s’accordent pas avec le jeûne, d’où l’importance, encore une fois, d’un suivi médical rigoureux. “La prise de certains médicaments est incompatible avec le jeûne : diurétiques à fortes doses, sulfamides hypoglycémiants. Une adaptation est parfois possible, en cas de contrôle adéquat de la glycémie, d’un bon état général et d’absence de polymédication, par un changement de médicament qui sera compatible avec le jeûne”, explique la praticienne. Pour un jeûne sans risque, la spécialiste insiste in fine sur l’importance de prendre conseil auprès de son médecin avant le début du jeûne et de veiller à ce que la glycémie soit régulièrement contrôlée. Elle recommande également la nécessité de réévaluer la posologie des médicaments antidiabétiques et d’éviter des repas copieux lors de la rupture du jeûne afin de se prémunir contre une hyperglycémie.
Hypertension et maladies coronariennes: Un jeûne sous conditions
Les maladies cardiovasculaires sont une autre problématique majeure en période de jeûne. L’hypertension et les pathologies coronariennes ne sont pas une contre-indication absolue, à condition que la maladie soit bien contrôlée et que le patient suive un traitement adapté. Mais quelles sont les précautions à prendre ? Dr. Saïd Ejjennane, cardiologue, insiste sur l’importance de la stabilité de la maladie. “Les personnes souffrant d’hypertension artérielle ou de maladies coronariennes peuvent observer le jeûne du Ramadan à condition que leur état soit stable, qu’elles suivent un traitement adapté et qu’un suivi médical régulier, notamment tous les trois mois, soit assuré par leur cardiologue. Il est essentiel de respecter certaines règles d’hygiène de vie, notamment éviter les efforts violents et privilégier une activité physique modérée et régulière. En revanche, si la maladie est instable, le jeûne est déconseillé. Certaines pathologies cardiovasculaires plus sévères, comme les maladies du muscle cardiaque ou les cardiopathies congénitales cyanogènes, rendent le jeûne impossible en raison de leur caractère imprévisible. Un avis médical est donc indispensable avant le début du Ramadan afin d’évaluer la faisabilité du jeûne en toute sécurité”, nous explique le cardiologue.
Face à ces pathologies, l’adaptation des traitements est essentielle pour éviter tout déséquilibre. Le jeûne modifie le rythme des prises médicamenteuses, ce qui nécessite des ajustements. “Lorsque la maladie est stable, il est possible d’adapter la prise des médicaments au rythme du jeûne. Le traitement habituellement pris le matin peut être administré lors du repas du shour. Cette année, l’heure d’Al Fajr est tardive, du coup, c’est plus simple. Le médicament du soir peut être pris au moment du ftour, tandis que celui de la mi-journée doit être pris vers minuit, en respectant les intervalles préconisés par le médecin”, recommande Dr. Ejjennane.
Mais au-delà des médicaments, l’alimentation joue un rôle crucial. Le Ramadan est souvent synonyme d’excès alimentaires, ce qui peut être dangereux pour les personnes souffrant de maladies cardiovasculaires. “Il est important d’éliminer les facteurs favorisant l’augmentation du cholestérol, comme la consommation quotidienne d’œufs, d’aliments sucrés ou trop salés, qui nuisent à la santé cardiovasculaire. Il est conseillé de privilégier une alimentation pauvre en sel, de limiter les sucreries souvent abondantes durant cette période, de réduire la consommation de viande et d’opter plutôt pour du poisson grillé sans sauce, accompagné de légumes frais. Les fruits, quant à eux, sont à privilégier en dehors des repas principaux”, conseille le cardiologue.
L’activité physique et le repos sont également des éléments à ne pas négliger. Un bon équilibre permet de mieux vivre le jeûne. “Une activité physique modérée, comme 30 à 45 minutes de marche quotidienne, est bénéfique, idéalement répartie en 20 minutes après le ftour et 20 minutes après le dîner. Par ailleurs, une sieste d’une heure en journée, ainsi qu’un repos de 30 minutes entre le ftour et le dîner, sont conseillés pour favoriser le bien-être des patients”, insiste le praticien.
Maladies rénales : Un risque à ne pas sous-estimer
Toutes les maladies rénales ne se valent pas face au jeûne. Certains patients peuvent envisager de jeûner sous surveillance médicale stricte, tandis que d’autres doivent impérativement s’en abstenir. “Durant le mois de Ramadan, le jeûne peut poser problème aux patients atteints de maladies rénales chroniques ou aiguës. Il est fortement déconseillé pour plusieurs catégories de patients. Il s’agit notamment des personnes souffrant d’une maladie rénale aiguë ou sévère, particulièrement en cas d’infection urinaire ou de lithiases non stabilisées. De même pour les patients souffrant de pathologies rénales aiguës, telles que les néphropathies glomérulaires, interstitielles ou vasculaires en phase aiguë. Le risque est l’aggravation de la maladie rénale ou l’apparition d’une insuffisance rénale”, prévient Pr. Amal Bourquia, néphrologue et présidente de l’association REINS. Cependant, en cas de rémission, une reprise du jeûne peut être envisagée sous stricte surveillance médicale.
L’insuffisance rénale constitue un cas particulièrement préoccupant. “C’est une maladie où le jeûne peut être dangereux. Qu’elle soit aiguë ou chronique, l’altération de la fonction rénale peut s’aggraver, entraînant des complications graves”, alerte la spécialiste. Pour les patients sous dialyse, la question ne se pose même pas : ils ne peuvent en aucun cas jeûner. De même pour les personnes ayant subi une transplantation rénale. “Elles doivent éviter le jeûne durant la première année post-greffe. Après cette période, la possibilité de jeûner dépend de leur état de santé général et de l’absence de complications liées à la greffe”, précise-t-elle.
Lorsqu’un patient souffrant d’une maladie rénale décide de jeûner avec l’accord de son médecin, l’une des principales préoccupations concerne l’adaptation du traitement médicamenteux. À cet égard, Pr. Amal Bourquia insiste sur l’importance d’un suivi médical étroit : “l’adaptation du traitement doit être discutée avec le médecin traitant. Les corticoïdes, par exemple, doivent être pris le matin, juste avant le début du jeûne (shour), et non au moment de la rupture du jeûne, afin de limiter les effets indésirables. Les immunosuppresseurs, lorsqu’ils nécessitent plusieurs prises quotidiennes, doivent être réorganisés de manière à ne pas exposer le patient à un risque accru de complications”, détaille-t-elle.
Pour les patients autorisés à jeûner, certaines précautions doivent être prises afin de minimiser les risques et de préserver la fonction rénale. Dans ce sens, Dr. Amal Bourquia recommande, entre autres, d’éviter une consommation excessive de protéines et de sel, d’adopter une alimentation équilibrée, de bien s’hydrater, et de limiter l’usage de certains médicaments, notamment les antalgiques, sauf prescription médicale.
Maladies digestives : L’impératif d’une approche prudente
Pour les personnes souffrant de maladies digestives, le jeûne peut représenter un véritable défi et, dans certains cas, un risque sérieux pour la santé. Selon Dr Abdelkrim El Manouzi, gastro-entérologue, certaines maladies digestives constituent une contre-indication formelle au jeûne. “Certaines pathologies, en particulier celles évolutives ou qui se manifestent pendant cette période, peuvent contre-indiquer le jeûne. C’est le cas de l’ulcère gastroduodénal évolutif, qui présente des risques de complications graves, comme l’hémorragie digestive, la perforation ou encore des pertes de selles hydroélectrolytiques. La cirrhose décompensée est également une contre-indication. Les maladies inflammatoires intestinales, comme la rectocolite hémorragique ou la maladie de Crohn, permettent le jeûne uniquement lorsque la maladie est stable. En revanche, en période de crise, avec des symptômes tels que des diarrhées sévères, du sang ou des glaires, il est recommandé de ne pas jeûner. De même, les cancers évolutifs du système digestif (estomac, œsophage, foie, côlon) en traitement excluent également le jeûne. Enfin, les infections de la vésicule biliaire nécessitent également de renoncer au jeûne pour éviter toute aggravation de l’état de santé”, explique le spécialiste.
Pour les patients souffrant de maladies digestives stabilisées et autorisés à jeûner, la question du traitement médicamenteux se pose. Ainsi, il est essentiel de suivre scrupuleusement les prescriptions médicales. “En cas de traitement en deux prises, la première doit être effectuée lors du ftour, et la seconde au moment du shour, soit le dernier repas avant l’aube. Heureusement, pour certaines pathologies, comme les maladies de l’estomac, notamment l’ulcère gastroduodénal, il existe des médicaments à prise unique qui protègent les patients tout au long du Ramadan”, rassure le gastro-entérologue. Cependant, il est impératif de consulter un médecin avant le début du Ramadan pour ajuster le traitement et recevoir des conseils hygiéno-diététiques adaptés.
Quelle que soit la nature de la pathologie, une consultation médicale avant le Ramadan est une étape incontournable. Chaque cas étant particulier, il est essentiel d’avoir une évaluation personnalisée avec son médecin traitant.