Chakib Benmoussa “Nous démarrons le projet écoles pionnières”

En septembre 2022, un texte crucial pour la refonte de l’école publique est entré en vigueur. Cette feuille de route, prévue dans le programme gouvernemental, s’inscrit dans la continuité de la Vision stratégique 2015-2030 de la réforme de l’éducation et de la loi-cadre 51-17 relative au système éducatif. Entretien en exclusivité avec Chakib Benmoussa, ministre de l'Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports.

Quelles sont les nouveautés prévues dès la rentrée de septembre 2023 ?

À la rentrée, nous démarrons le projet “écoles pionnières” auprès de 628 écoles primaires publiques, dans les milieux urbain, semi-urbain et rural, pour 322.000 élèves, et la participation volontaire de 10.700 enseignants, et 157 inspecteurs pédagogiques pour l’encadrement et l’accompagnement dans la mise en œuvre. L’extension du projet à la majorité des établissements primaires publics se fera graduellement à raison de 2.000 par an. Ce projet vise à jeter les fondations de l’école publique du futur basée sur une approche participative répondant aux attentes des élèves, de leurs parents et des cadres pédagogiques. Les objectifs des “Écoles pionnières” sont l’amélioration de la qualité des apprentissages de base, la réduction de la déperdition scolaire et l’épanouissement des élèves. Le modèle des “Ecoles pionnières” implique une transformation globale de la performance des établissements couvrant les trois axes de la Feuille de route 2022-2026, à savoir : l’élève, l’enseignant, et l’école. Les équipes pédagogiques engagées dans ce processus mettront en œuvre quatre composantes-clés :

• 1ère composante : un programme de remédiation massif visant à corriger les lacunes fondamentales des élèves en lecture et en calcul. La mise en œuvre de cette composante s’appuie sur la méthode TaRL dont l’impact positif a été établi dans le cadre d’un projet expérimental.

• 2ème composante : la mise en œuvre de méthodes d’enseignement efficaces en classe dont les effets positifs sur les apprentissages sont prouvés par la recherche scientifique. Ces méthodes sont fondées sur le principe de la progressivité des apprentissages : on ne passe à l’étape suivante de la leçon qu’après avoir vérifié la compréhension de l’ensemble des élèves.

• 3ème composante : la spécialisation des enseignants dans les disciplines qui correspondent le mieux à leurs domaines de formation et de compétences.

• 4ème composante : la gestion de l’établissement, notamment les conditions matérielles (état des classes et des sanitaires, la sécurité, l’hygiène, la qualité des équipements, la disponibilité du matériel didactique), la mise en œuvre du projet d’établissement intégré, la relation avec les familles, etc.

La mise en œuvre de ces quatre composantes permettra aux établissements scolaires concernés d’obtenir le Label “École pionnière” qui donne droit à des incitations matérielles pour les membres de l’équipe pédagogique, et une indemnité de 10.000 DH nets par an, conformément à l’accord signé le 14 janvier 2023 entre le Ministère et les partenaires sociaux.

D’une année à l’autre, le budget alloué est en évolution (62,45 MMDH en 2022, 69 MMDH en 2023), mais comble-t-il les attentes de votre département ?

Il est clair que le budget par élève alloué à l’école publique au Maroc est nettement inférieur à celui que l’on peut constater dans des pays “comparables”. Mais le gouvernement consacre un quart de son budget général à ce secteur, qu’il estime vital pour notre pays et pour lequel toute la nation consent à un investissement important. Avec l’enveloppe consacrée et ses ajustements annuels à la hausse, il est possible de faire le pari de la qualité en priorisant – ainsi le cœur de notre action touche aux apprentissages – et en mettant en place une gouvernance adaptée.

Quel regard portez-vous sur le système éducatif privé ?

Le système éducatif privé est un partenaire important qui permet aux familles d’avoir le choix pour la scolarité de leurs enfants. Sa qualité est un enjeu pour notre département qui oeuvre à renforcer la régulation de ce secteur dans l’intérêt des enfants et leurs parents, et entend favoriser de nouveaux investisseurs qui proposent une offre de qualité.

La lutte contre la déperdition scolaire, notamment en milieu rural, est l’un de vos défis majeurs. Pour y parvenir, vous tablez sur la généralisation de l’enseignement préscolaire, l’élargissement de l’offre scolaire, la généralisation des écoles communales en milieu rural ou encore la création d’établissements d’enseignement secondaire. Quel travail menez-vous pour améliorer également les conditions d’éducation, certains établissements n’ayant toujours pas de sanitaire ?

Un grand effort de réhabilitation des établissements scolaires est fait chaque année (le budget annuel est de 2,5 milliards de DH). Les établissements sans sanitaires sont souvent des annexes d’écoles qui se trouvent dans des zones où le raccordement à l’eau est difficile (coût parfois supérieur à celui de l’école), voire impossible et nécessite de faire appel à des solutions alternatives (par exemple réservoir d’eau alimenté par camion- citerne de la commune). La solution réside dans un effort partenarial avec les collectivités territoriales et les autres départements, sous l’égide des autorités locales. C’est le cas du programme de réduction des disparités territoriales et sociales qui a permis de réaliser des avancées dans ce domaine.

La pandémie a également exacerbé la crise de l’éducation et a fragilisé la scolarisation des fillettes notamment en milieu rural. Quelle approche adoptez vous pour réduire ce décrochage scolaire au féminin ?

Malgré les efforts déployés par le ministère pendant la pandémie, la réduction du temps scolaire a eu effectivement un impact important sur les apprentissages des élèves les plus vulnérables, notamment les jeunes filles en milieu rural. La question de la scolarisation des jeunes filles fait l’objet d’une attention particulière. Tous les indicateurs de performance du système d’éducation sont déclinés selon l’approche genre et permettent de comparer les résultats garçons/filles et de sensibiliser les décideurs à tous les niveaux, sur les écarts constatés. Il est établi que le programme d’appui social (en particulier Tayssir, transport scolaire et internats/dar taliba) participe à réduire l’abandon scolaire, particulièrement des jeunes filles. De même, la campagne de sensibilisation, menée en liaison avec le Ministère public et les départements ministériels concernés, contre le mariage précoce des jeunes filles a permis d’enregistrer des résultats positifs. Les données disponibles indiquent que si le pourcentage des filles est légèrement inférieur à 50% dans le primaire, il devient supérieur à 50% dans le lycée et que les résultats scolaires des jeunes filles sont en moyenne meilleurs que ceux de leurs camarades garçons.

 

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