Beauté : Le diktat des standards

La beauté est partout, omniprésente et exigeante. Elle impose ses codes, redéfinit l’apparence et dicte la perfection à coups de filtres et de retouches. Mais derrière ces standards impeccables, qu’est-ce qu’est vraiment la beauté aujourd’hui ? Quels en sont les critères ? Et surtout, peut-on encore parler de beauté lorsqu’elle devient si uniforme qu’elle en perd son essence ?

Aujourd’hui, l’apparence ne se contente plus de séduire : elle s’impose partout. Impossible de l’ignorer, elle domine. Que ce soit à travers les écrans, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, les standards de beauté sont dictés avec une force implacable. Ils façonnent à la fois les corps et les visages. Tout est modelé pour correspondre à une norme, une vision idéalisée du paraître. On répète volontiers qu’il faut “s’aimer tel que l’on est”, accepter ses imperfections et ignorer les diktats. Mais dans les faits, ce discours, aussi bien intentionné soit-il, reste un voeu pieu. Les imperfections, loin d’être acceptées, sont traquées, corrigées, effacées. 

“Même avec tout ce qu’on entend sur l’acceptation de soi, il est difficile de ne pas se comparer”, confie Khawla, 25 ans, qui utilise quotidiennement des filtres pour “embellir” son image sur ses réseaux sociaux. “Moins les défauts apparaissent, plus la perfection s’installe comme norme”, constate la psychiatre, psychanalyste et anthropologue Ghita Khayat. À l’ère des réseaux sociaux, où chaque photo est passée au crible des filtres et des retouches, l’apparence idéale devient un modèle inatteignable. Les lèvres se veulent pulpeuses ou faussement “naturelles”, les sourires d’une blancheur irréprochable, et les imperfections soigneusement gommées. Sur Instagram, TikTok et autres plateformes, ces images parfaites ne cessent de dicter des standards de beauté toujours plus exigeants, au point de brouiller la frontière entre réel et artificiel. 

Le “faux” naturel

Les tendances ne sont pas seulement une affaire de mode ou de look, elles touchent aussi notre corps et notre visage. Ces dernières années, le “slimtic body” a été l’archétype du physique idéal : une taille fine, des hanches marquées, des fesses rebondies, et une poitrine généreuse. Propulsé par les réseaux sociaux et les stars comme Kim Kardashian, cet idéal cumulait des milliards de vues sur TikTok. Il a imposé des critères de beauté qui semblaient indétrônables. Mais, comme toutes les modes, celui-ci s’essouffle aujourd’hui. “J’ai dépensé une fortune pour des injections au niveau du fessier et maintenant, ce n’est plus à la mode”, confie Salma, une entrepreneuse de 31 ans. La nouvelle obsession? La minceur extrême. Le retour du physique des années 2000 – façon Paris Hilton, Nicole Richie ou Kate Moss – est en train de s’imposer. Bella Hadid est désormais l’icône de ce modèle, scrutée dans ses moindres gestes, ses repas, et sa routine, devenant ainsi source d’inspiration pour beaucoup. “On l’observe sous toutes les coutures”, raconte Sanae, étudiante, qui suit un régime stricte inspiré de la star. Même Kim Kardashian, jadis l’incarnation du slimtic body, a surpris en affichant une silhouette nettement plus affinée, symbolisant un basculement vers ce nouvel idéal.

Le corps n’est pas le seul à se transformer. Le visage, lui aussi, se métamorphose. Les lèvres pulpeuses, popularisées par des icônes comme Kylie Jenner, ne font plus recette. Elles suivent la même voie : place au naturel… ou presque. “Les patientes veulent des résultats subtils, un naturel travaillé”, explique Dr. Imane Slaoui, experte en médecine esthétique. Mais ce naturel lui-même est codifié, repensé et manipulé. Derrière l’apparente simplicité d’un visage sans artifice se cachent des techniques sophistiquées comme les micro-liftings, injections légères ou peelings sont utilisées pour obtenir ce look discret. Les traits sont affinés, les pommettes légèrement rehaussées, les rides estompées… mais jamais effacées. “C’est ce qu’on appelle le no make-up de la chirurgie esthétique”, ironise une adepte. Le but étant de “créer” une beauté qui semble sans effort, mais qui, en réalité, repose sur un savoir-faire précis et sophistiqué. “Les patientes cherchent des résultats subtils, préservant leur apparence naturelle sans transformations radicales”, explique Imane Slaoui. Une beauté dite “plus douce, plus discrète”, mais toujours façonnée par des mains expertes. Cette quête d’une perfection sans effort va jusqu’à la peau elle-même, devenue une obsession à part entière. Sérums, lasers et soins promettent un éclat et une jeunesse éternels, symboles d’un investissement minutieux dans l’apparence.

Mais cette tendance a un coût, et pas uniquement financier. “La chirurgie esthétique, autrefois un domaine réservé, est devenue une solution presque banalisée”, remarque Ghita Khayat. Elle avertit : “Ce désir constant de perfection engendre des effets psychologiques dévastateurs : perte d’estime de soi, troubles de l’image corporelle, voire dépression”. Ironiquement, à une époque où la diversité est célébrée par des mouvements comme le Body Positive, les réseaux sociaux imposent une esthétique universelle, souvent retouchée, qui alimente un paradoxe. D’un côté, l’acceptation des singularités gagne du terrain, mais, de l’autre, les plateformes glorifient des visages et des corps standardisés. “Ce dilemme génère une pression croissante, surtout chez les femmes”, explique l’anthropologue. Pour elle, cette tendance transforme nos corps et visages en “objets de consommation” constamment scrutés et évalués, ce qui alimente une quête sans fin d’un idéal souvent inaccessible. “À force de vouloir lisser chaque aspérité, on perd ce qui fait la singularité de la beauté”, insiste Ghita Khayat. Cette uniformisation est amplifiée par les algorithmes des réseaux sociaux, qui nourrissent un cercle vicieux : plus on consomme ces images idéalisées, plus on intègre l’idée qu’elles incarnent la norme. “Résultat, nous vivons dans une société où la différence est perçue comme une anomalie, et où chaque ride, chaque imperfection, devient un échec”, poursuit-elle. Si la beauté est aujourd’hui souvent calculée, codifiée et scrutée à la loupe sous le prisme des réseaux sociaux, cela a-t-il toujours été le cas ?

La beauté selon les époques

“La beauté a toujours été façonnée par les standards des sociétés et des époques”, constate l’écrivain, philosophe et essayiste Driss Chraïbi Jaydane. La beauté a donc évolué au gré des époques, des cultures et des circonstances historiques, mais ce qui la distingue aujourd’hui, c’est l’universalisation des standards. Dans les sociétés traditionnelles, les idéaux de beauté étaient souvent enracinés dans des valeurs locales. En Europe, à l’époque médiévale, les rondeurs étaient associées à la richesse et à la fertilité, tandis que la Renaissance exaltait les corps voluptueux et les visages lumineux, reflet de l’abondance et de l’idéalisme artistique de l’époque. Avec l’essor des médias de masse au XXème siècle, un glissement s’est opéré. Les médias, le cinéma et plus tard la télévision ont permis la diffusion de canons esthétiques plus uniformisés. Les années 1950 ont été marquées par les courbes glamour de Marilyn Monroe, suivies par l’émergence de la maigreur androgynique incarnée par Twiggy dans les années 1960. “Chaque décennie a porté son idéal, influencé par les dynamiques économiques et culturelles du moment”, explique le philosophe. 

Le véritable bouleversement est survenu avec l’avènement des réseaux sociaux. Ces plateformes ont instauré un rapport inédit à la beauté, la rendant à la fois accessible et inatteignable. “Si autrefois, les critères étaient imposés par des élites ou des figures de mode, aujourd’hui, ce sont les algorithmes et les communautés en ligne qui dictent les tendances”, note Driss Chraïbi Jaydane. Cette évolution a décuplé la pression sociale, transformant chaque individu en créateur potentiel d’une image idéalisée et constamment visible. Ce changement ne se limite pas à l’aspect physique. Il s’agit également d’une transformation de la perception de soi. Alors qu’autrefois, les imperfections faisaient partie intégrante des idéaux artistiques – la beauté imparfaite des tableaux de maîtres ou la grâce unique des statues antiques – elles sont désormais effacées sous une couche de filtres numériques. Cette obsession contemporaine pour l’esthétique soulève des questions plus profondes sur notre rapport à nous-mêmes. “La beauté, autrefois célébrée pour sa diversité et son humanité, semble aujourd’hui s’orienter vers une uniformité froide et mécanique”, poursuit le philosophe. En perdant de vue la richesse des singularités, la société moderne risque de réduire la beauté à une simple équation, dénuée de poésie et d’âme. 

Ainsi, la beauté pourrait retrouver sa véritable vocation : celle d’incarner une pluralité d’émotions, de récits et d’identités, loin des carcans imposés par les algorithmes. “En réhabilitant l’idée que la beauté est subjective, imparfaite et profondément humaine, nous pourrions enfin sortir de cette quête épuisante de perfection”, espère le philosophe. Redonner à la beauté son rôle d’expression libre et poétique, c’est aussi réaffirmer sa puissance : celle de connecter les individus à leur singularité et au monde, dans toute sa diversité et sa richesse !

La mode se conjugue aussi en matière de chirurgie et de médecine esthétique. Alors qu’il y a quelques années, les
La beauté, ce concept insaisissable, oscille entre l'universel et le subjectif, le culturel et le personnel. Dans cette interview, Ghizlaine
La beauté est partout, omniprésente et exigeante. Elle impose ses codes, redéfinit l’apparence et dicte la perfection à coups de
2024 a été l’année de tous les records pour le tourisme national. Plus que jamais plébiscitée, la destination Maroc continue
31AA4644-E4CE-417B-B52E-B3424D3D8DF4