Abdessamad Dialmy : Point de masculinité nouvelle sans parité

Expert en sexualité, genre et féminisme en Islam, Pr. Abdessamad Dialmy nous éclaire sur la masculinité positive, notion qu’il défend en tant que chercheur et écrivain, mais aussi en tant qu’homme et mari.

Tout d’abord comment peut-on définir le principe de masculinité positive ? S’agit-il d’une véritable révolution dans la lutte des droits des femmes ou est-ce un simple phénomène à la mode ?

Loin d’être un phénomène à la mode, la masculinité positive n’est pas, non plus, une révolution dans la lutte pour les droits des femmes. Il s’agit d’abord d’une masculinité qui adopte une attitude positive à l’égard des droits des femmes, et plus précisément qui s’implique dans la lutte pour l’égalité des droits entre hommes et femmes. Différents certes, mais égaux, tel serait le principe fondateur de la masculinité positive, égaux en matière d’accès à l’école et à la santé, en matière de mariage et d’héritage, d’accès aux biens et aux postes de responsabilité, mais aussi dans le partage des activités ménagères et éducatives à l’intérieur du foyer… Ces tâches ne sont pas inscrites dans la biologie féminine, elles sont imputables à la culture patriarcale et par conséquent faisables par la masculinité positive.

Cependant, la masculinité positive n’est pas que féministe.  Elle est aussi reconnaissance et acceptation des autres formes de la masculinité, comme l’homosexualité, la bissexualité et la trans-identité masculine (le droit pour une femelle humaine de devenir homme du seul fait qu’elle se sente homme sans même changer de sexe, et a fortiori si elle le change). Par conséquent, tout mâle est homme par définition, et ce quelle que soit son orientation sexuelle. La masculinité positive est donc une rupture avec la masculinité hégémonique, celle qui domine au nom du patriarcat les femmes et toutes les figures marginalisées de la masculinité.

La masculinité constitue donc une révolution culturelle profonde, une masculinité qui signe la naissance d’un système de normes nouveau, une masculinité qui accepte de renoncer aux pouvoirs et aux privilèges de l’homme patriarcal du seul fait que celui-ci soit un mâle.

Est-ce qu’on ne devrait pas d’abord parler de masculinité toxique et ses effets délétères avant de parler de masculinité positive ?

En effet, la masculinité toxique est une critique féministe de la masculinité patriarcale hégémonique. Traditionnellement, on ne voit dans la masculinité (telle que définie par le patriarcat) que des traits positifs tels que la force, la virilité, l’honneur, le courage, la générosité… Et l’on oublie que la masculinité est surtout “Pouvoir” (de bander/féconder), “Pourvoir” (aux besoins des femmes) et “Protection” (des femmes grâce à une violence polymorphe). Ces trois P sont une construction sociale que le mâle doit constamment performer pour être considéré comme un homme véritable, dominant, violentant sans cesse les femmes, les enfants, les gays, les bi-sexuels et les trans-hommes. En même temps, les 3P constituent un fardeau psychologique très lourd à porter par l’homme, ne lui laissant aucun répit. Cette masculinité intoxique sa personnalité, le mettant toujours au défi d’être à la hauteur des attentes des autres. Elle est pathogène : il suffit que l’homme subisse une dysfonction érectile, une indigence économique ou une défaillance dans le contrôle de la sexualité d’une femme de la famille pour qu’il doute de soi et entre en crise de masculinité. Pour l’homme, la masculinité patriarcale est toxique dans le sens où c’est un défi constant, menaçant, nuit et jour.

C’est cette critique féministe de la masculinité en tant que toxicité qui invite l’homme d’aujourd’hui à adopter une masculinité positive, égalitaire, inclusive, reposante.

L’éducation peut-elle être un moyen pour permettre aux futures générations d’êtres des hommes et des femmes coresponsables ?

L’éducation est un moyen d’y arriver, mais il faut commencer par éduquer les éducateurs eux-mêmes. Les parents constituent une première école fondamentale qui doit préparer les enfants à l’égalité des genres (hommes, femmes ). Et l’école (publique et privée) doit à son tour continuer cette éducation égalitaire. Outre l’école et l’université, une formation et une éducation en “Études masculines” doit être donnée aux associations, aux travailleurs sociaux et aux journalistes.

Cependant, l’éducation ne suffit pas. Il faut atteindre un certain niveau de développement socioéconomique et politique (surtout) pour que la masculinité positive puisse voir le jour. Point de masculinité nouvelle sans démocratie politique véritable, sans égalité et sans parité.

Sans cela, l’homme toxique, menacé aujourd’hui par la montée des femmes en puissance, trouvera des refuges dans une lecture littérale des versets coraniques et des hadiths prophétiques inégalitaires et dans la violence légitimée qui s’en suit pour se maintenir et se reproduire.

Qui est ce qui peut changer la donne d’une masculinité toxique vers une masculinité positive ?

Le changement des lois en faveur de l’égalité (législation) fait partie des politiques publiques. Ce sont donc celles-ci, si elles sont multisectorielles et convergentes, qui feront changer la mentalité patriarcale dominante. Cette institutionnalisation n’a fait que substituer la notion de “genre” à la notion de “femme” sans que la masculinité ne soit interrogée en tant que telle. Par conséquent, les politiques publiques ont à :

– remettre en cause explicitement la masculinité comme domination et faire de la question masculine une question sociale et de santé publique (en tant que bien-être social) ;

– diagnostiquer de manière rigoureuse (grâce à des études et enquêtes) les déterminants et les facteurs qui ont un poids dans la résistance masculine à l’égalité des genres et à la parité ;

– impliquer les garçons et les hommes dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes et des LGBT;

– organiser des conférences et des colloques sur le thème de la masculinité égalitaire non violente dans les différentes régions du royaume ;

– produire et diffuser des documents écrits et audiovisuels servant à changer le regard social, institutionnel et associatif sur la masculinité ;

– impliquer également les femmes dans la lutte contre les normes de genre inégalitaires car la majorité des femmes sont encore elles aussi prisonnières de l’aliénation patriarcale toxique.

La difficile transition masculine (et féminine) en cours vers un homme marocain nouveau consiste à adopter ce cogito antisexiste : “je crois à l’égalité des genres en matière de droits, (donc je suis un homme véritable), donc je suis”.

En un mot, l’enjeu est de faire travailler les hommes sur eux-mêmes et de promouvoir chez eux une réflexion autocritique individuelle et collective. Mais il s’agit aussi de travailler avec eux afin qu’ils soient persuadés que la masculinité est une donnée culturelle susceptible de changer et d’être autrement conçue et exécutée. En d’autres termes, il s’agit de persuader les hommes de la nécessité de changer et de créer en eux le besoin de savoir comment changer et comment apprendre à devenir des hommes nouveaux, égalitaires, non toxiques, positifs.

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