Zoulikha Bouabdellah met à l’honneur la chanson marocaine féministe sur Arte (Interview)

Les artistes féministes occupent le premier rôle dans l’émission phare d’Arte, TRACKS, diffusée à 23h25, ce vendredi 8 mars, lors de la Journée mondiale des Femmes. Au programme : des reportages dont un 12 minutes entièrement consacré à la chanson marocaine féministe. Face caméra, trois artistes : les rappeuses Manal et Tendresse mais aussi Kabareh Cheikhats. Et derrière la caméra, la photographe-plasticienne et vidéaste franco-algérienne Zoulikha Bouabdellah. Interview.

De quelle manière avez-vous pensé ce reportage ?

Le déclic est venu en voyant sur scène Kabareh Cheikhats, une troupe de comédiens et de musiciens habillés en femmes pour jouer sur scène. Grâce au spectacle, je me suis rappelée l’histoire des Cheikhats, ces femmes qui osent dénoncer l’injustice et le mal-être mais aussi chanter l’amour, et ce, au Maroc depuis la fin du XIXème siècle. J’ai été littéralement touchée. Puis je me suis rapidement demandée si on trouvait cette revendication chez la nouvelle génération. Quand j’ai rencontré ces jeunes femmes artistes, Manal et Tendresse, je me suis rendue compte qu’elles étaient, elles aussi, porteuses d’une certaine « rebelle attitude », et c’est cette image que j’ai voulu montrer.

Pour parler de la chanson marocaine féministe, vous avez choisi des artistes qui semblent être à l’opposé l’un de l’autre : des rappeuses et des Cheikhats. Pourquoi ?

Ce qui est intéressant, c’est de comprendre comment cette association qui semble, aux premiers abords, en opposition est au final tout à fait logique. Le rap est le style musical par excellence qui rapporte la parole de rue et retranscrit le mal-être. C’est la forme artistique choisie par les rappeuses Manal et Tendresse pour dénoncer certaines situations dans la société. Par exemple, à travers son titre « Taj », Manal évoque l’agression qu’elle a vécue. « Taj », signifie à la fois la couronne qu’on porte sur la tête, mais aussi la valeur précieuse de son corps… En revanche, pour Tendresse, c’est son parcours qui m’a davantage intéressée car cette artiste qui fait du rap old school s’est battue très tôt pour se faire une place dans le milieu. Ainsi, sa voix est déjà un acte politique.

Au fil des années, le rap change et la misogynie semble, heureusement, de moins en moins à la mode. Une tendance qui est aussi vraie au Maroc, comme le prouve les rappeuses Manal et Tendresse…

Effectivement. Dans ses premières chansons, Tendresse s’est imposée « en clashant » ses acolytes masculins, leur lançant qu’elle savait faire autant qu’eux voire mieux. Quant à Manal, elle a dépassé tout cela grâce aux premières rappeuses qui, on peut dire, ont défriché le terrain. Ce qui est intéressant chez ces jeunes femmes, c’est qu’elles ne sont pas là à chanter qu’elles attendent le prince charmant. Elles se rebellent et dénoncent notamment les violences faites aux femmes. Manal va même jusqu’à oser menacer ceux qui pensent s’en prendre à elle. Avec elles, le statut de victime a volé en éclats.

A travers ces portraits, qu’apprend-on du féminisme au Maroc ?

Je peux vous dire ce que j’ai appris moi-même durant la préparation du tournage. J’ai ainsi découvert une jeunesse créative qui a plein de talents et ne demande qu’à être soutenue, une jeunesse qui lutte pour exister en tant qu’artiste. J’ai également vu une génération qui n’est pas résignée. Elle essaie d’avancer la tête haute. Il est ainsi nécessaire de créer des centres et des bourses pour ces jeunes car ce sont eux les ambassadeurs du Maroc de demain. Il est essentiel de croire en eux. J’ai également découvert que malgré la situation difficile que vivent les femmes, il existe une dynamique. Je ne souhaitais absolument pas montrer des femmes marocaines en victimes. Au contraire. Il était important de mettre en avant cette jeunesse féminine qui est en train de mener le combat pour l’égalité et la reconnaissance aux côtés des hommes.


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