Aucune donnée n’est disponible sur l’étendue du harcèlement dans le sport au Maroc, un mal qui sévit bel et bien dans ce milieu. “Tout le monde sait que ce phénomène existe. Mais c’est la loi du silence. Le sujet est sensible”, signale Amine Birouk, rédacteur en chef de Radio Mars. “La société a très souvent désigné les femmes comme responsables”, développe Nassim El Kerf, journaliste et consultant sportif. “Aussi, choisissent-elles de se taire, de changer de sport ou d’arrêter la pratique plutôt que de dénoncer des agissements.” Ces
deux dernières années, la honte semble changer tout doucement de camp, en tout cas, dans le milieu footballistique. En effet, la commission d’éthique de la Fédération royale marocaine de Football (FRMF) a suspendu, en mai 2023, pour une durée de six ans, un responsable de la section féminine du Raja suite à des accusations de harcèlement à l’encontre d’une entraîneuse et de plusieurs joueuses, et, en février 2024, pour cinq ans, le coach de l’équipe féminine d’Al Boughaz Tanger après deux plaintes pour harcèlement sexuel. “Dans sa volonté et son engagement de développer le football féminin, la FRMF a pris, à bras-le-corps, le problème du harcèlement”, soutient Amine Birouk. “La Fédération écoute les doléances des femmes harcelées avant de mener une enquête et de sanctionner les agresseurs.” Et d’appuyer : “les joueuses déposent des plaintes car elles savent qu’une commission va les écouter et les prendre au sérieux.” Pour Khadija Illa, présidente de la Ligue nationale du football féminin (LNFF), “ces plaintes vont, petit à petit, encourager d’autres sportives harcelées à briser l’omerta. Mais c’est loin d’être facile car beaucoup de joueuses ont peur des répercussions sur leur carrière et du regard pesant de la société…”
Choquant, dégradant…
Le harcèlement prend principalement deux formes dans le sport. Il peut être moral/psychologique : insultes, menaces, humiliations, mépris… Que ce soit d’un entraîneur ou d’autres sportifs. “Vous ne pouvez pas imaginer comment certains coachs osent parler à leurs athlètes”, peste un responsable d’une haute autorité sportive qui a préféré s’exprimer sous couvert d’anonymat. “Ils les rabaissent en public ! Les conséquences sur la santé mentale et les performances des joueuses sont graves: troubles anxieux, dépression, baisse de l’estime de soi et de la confiance en soi, …”. Le harcèlement dans le sport peut également se traduire par des violences sexuelles comme des plaisanteries obscènes, des compliments appuyés, des mains aux fesses, des caresses, des agressions, voire des agressions sexuelles… “Il faudrait un hashtag du type #MeTooUniv – qui a permis de dénoncer le “sexe contre bonnes notes” dans plusieurs universités marocaines – dans le sport pour délier les langues et connaître enfin l’ampleur de ce fléau afin de mieux l’endiguer”, lâche ce responsable. “Car, à cause de ces abus, nous perdons des talents !”
Actions en série
“Personne n’évoque ou ne prononce le mot harcèlement dans le foot”, assure une joueuse, sous couvert d’anonymat, évoluant au sein des Lionnes de l’Atlas. “Certes, il y a eu deux affaires et des sanctions révélées mais, sur le terrain, on ne nous oriente pas, on ne nous sensibilise pas sur ce problème!” Et de faire remarquer : “Lors de la dernière Coupe du monde de football féminin organisée en Australie et Nouvelle-Zélande en 2023, la Fifa avait mis en place une politique de lutte contre le sexisme et le harcèlement. Un numéro dédié avait même vu le jour. Il est important d’élaborer un véritable plan d’actions pour empêcher le harcèlement dans le sport”. Un avis partagé par Amine Birouk qui est convaincu que la FRMF va amplifier sa lutte. “Le Maroc est un membre à part entière de la Fifa qui a renforcé son Code disciplinaire et son Code d’Éthique notamment à travers une meilleure protection des victimes d’abus, de harcèlement sexuel ou de discrimination. Aussi, il nous est impossible de nous mettre en marge de la communauté internationale du football.” Et d’interpeller sur la situation des autres instances sportives dans le Royaume : “La FRMF a une commission d’éthique mais toutes les fédérations n’en ont pas… Il faut que ces dernières aient le courage d’aborder le problème du harcèlement.” Pour libérer la parole, le rédacteur en chef de Radio Mars appelle, entre autres, à des initiatives comme l’installation de boîtes aux lettres ou la création d’une adresse mail sur laquelle les victimes présumées pourraient dénoncer les actes. “Cela pourrait découler vers une enquête interne puis une procédure si les faits sont avérés”, développe-t-il. Autre initiative: le safeguarding officer. “Au sein de la Confédération africaine d’Athlétisme (CAA), nous sommes en train de travailler sur la création d’un safeguarding officer et d’élaborer une safeguarding policy, une politique et un code de conduite pour prévenir et éliminer le harcèlement et les abus dans ce sport”, dévoile Aziz Daouda, directeur technique à la CAA. Un engagement émanant du Worth Athletics qui a sorti, en 2021, le premier world athletics safeguarding policy. “Ce safeguarding officer sera une personne référente formée et installée dans chaque fédération membre de la CAA – dont le Maroc- et dans chaque club. Il devra créer un environnement sûr et positif pour les athlètes, les entraîneurs et le personnel. Ainsi, ce sera une personne référente qui soutiendra les sportives venues toquer à sa porte en cas de problème, avant de prendre les mesures nécessaires”, développe-t-il. Pour Aziz Daouda, protéger les athlètes est un devoir. Aussi, y a-t-il urgence…