Le 20 août dernier, un projet de loi un peu particulier a fait son apparition sur la table du Conseil des ministres et a été adopté dans la foulée : le service militaire obligatoire. “Le rétablissement du service militaire a pour objectif de renforcer le sens de citoyenneté chez les jeunes, dans le cadre d’une corrélation entre les droits et les devoirs de citoyenneté”, comme l’explique un communiqué du cabinet royal. La nouvelle fait le tour de la toile à la vitesse de l’éclair. Le net tremble et une même question revient sans cesse : qui sera concerné ? Réponse : Tout Marocain âgé entre 19 et 25 ans. Il s’en ira pendant 12 mois se former dans les casernes. Néanmoins, des exemptions provisoires ou définitives, dont les modalités sont fixées par voie réglementaire, peuvent être accordées pour certains motifs, notamment l’inaptitude physique ou de santé certifiée par un rapport médical émis par les services des formations hospitalières publiques compétentes, le soutien de famille ou la poursuite d’études, comme l’indique l’article 1 du projet de loi. Toutefois, les personnes ayant plus de 25 ans, qui ont bénéficié de dispense ou d’exemption, peuvent être appelées pour effectuer leur service militaire jusqu’à l’âge de 40 ans, en cas de cessation du motif de dispense ou d’exemption, comme on peut le lire dans l’article 4. Le texte n’est pas fixe. Il sera décortiqué et débattu prochainement au Parlement. Femmes du Maroc est allée questionner cinq personnalités pour leur demander déjà ce qu’ils pensaient du service militaire obligatoire applicables aussi pour les femmes.
Soumaya Naâmane Guessous, sociologue et professeur universitaire
On demande la parité. Il est donc tout à fait normal que les femmes soient mobilisées. Je pense que c’est une excellente chose de tremper les jeunes dans la réalité du Maroc quel que soit leur origine et appartenance sociales afin qu’il y ait un mixage, ce qui n’est guère favorisé par le système éducatif actuel. L’armée peut compléter le système éducatif si ce dernier est réellement bien réformé.
Que ce soit pour les femmes ou les hommes, je pense que c’est une éducation à la rigueur, aux valeurs citoyennes, à la discipline (dont manque cruellement nos jeunes), à la responsabilité, à l’esprit et au travail d’équipe et à l’abnégation . Cela contribuera peut-être à réduire la délinquance et la violence qui deviennent inquiétantes chez les jeunes. C’est un apprentissage indispensable pour construire le bon citoyen. Il faudra donc en faire un projet de société.
J’ai toutefois quelques réserves. On a lancé cela comme un pavé dans la mare sans qu’il y ait un accompagnement, une campagne de sensibilisation… Il y a beaucoup de questions que se posent les jeunes et les familles et un grand flou entoure toujours cette question. Je m’attends à deux choses : qu’il y ait une campagne de communication pour faire adhérer la population, et que le service militaire soit réellement démocratique : aucune exemption pour le fils de X ou Y.
Mohssine Benzakour, psychosociologue et professeur universitaire
Par principe, je suis pour. Quand j’emploie l’expression “par principe”, je ne fais pas de distinction de sexe et je me réfère au sens premier du mot, à savoir une obligation ou une disposition qui permettrait un accès à la citoyenneté. Mais pour l’heure nombreuses sont les questions puisque le projet de loi examiné en conseil du gouvernement n’a pas encore été débattu au Parlement. Les conditions restent floues ainsi que l’objectif qui se cache derrière. Si le service militaire obligatoire vise une génération qui a mal réussi pour l’intégrer socialement, je suis contre car il ne peut jouer ce rôle. Si le but recherché est une sorte de punition, je dis “non” , puisque nous ne punissons pas un citoyen par la citoyenneté. Prenons ensuite encore plus de recul et demandons-nous ce qui s’est passé entre la suppression du service militaire obligatoire en 2006 à aujourd’hui, est-ce une défaillance du système éducatif ? Remarquons alors que cette décision ne fait pas partie de la Constitution. Elle est tout simplement politique. Si on cherche à camoufler l’échec des gouvernements précédents, je suis également contre. Enfin, si nous pensons qu’il y aura moins de violence après la réalisation du service militaire obligatoire, nous nous trompons. Les jeunes se sont déjà forgés une personnalité. Après ce questionnement, focalisons-nous sur la femme marocaine : cette jeune de 19 ans qui est faible dans le sens physique du terme car elle ne sait pas se défendre. Si le service militaire obligatoire lui permet d’apprendre des techniques de combat pour faire face à la violence et aux harcèlements propres à notre société, alors je dis “pourquoi pas”, mais encore une fois, tout dépend des conditions posées et du but recherché. À suivre.
Zahia Ammoumou, avocate et militante
Je pense qu’aujourd’hui, il est trop tôt pour se prononcer pour ou contre le service militaire. C’est un projet de loi qui n’a pas encore été discuté au Parlement. Nous n’avons pas tous les détails en main, nous ne savons pas encore de quelle manière il va être appliqué, et surtout, nous ne connaissons pas la raison et la finalité d’un tel texte. J’insiste mais pourquoi et dans quel but ? Les réponses à ces deux questions sont très attendues et importantes avant de donner son avis. Il faudra également être attentif au montant du budget mis en place. Concernant l’égalité homme-femme dans le service militaire, je n’ai rien à redire. Je me bats depuis des années pour l’égalité, et tout d’un coup, je ne serai pas d’accord parce que c’est dans tel ou tel domaine ou secteur ? Où est la logique ? Je suis pour cette égalité à 100%.
Hicham Lasri, réalisateur
Je suis contre. C’est stupide, inquiétant et ressemble à une prise d’otage. À l’époque, le service militaire obligatoire avait du sens, aujourd’hui, plus du tout. Nous ne sommes pas une zone de guerre. À notre ère, chaque minute compte. Ne faisons pas perdre 12 mois à des jeunes qui vont attendre impatiemment que leur service se finisse. Formons plutôt des cerveaux et non pas des suiveurs qui seront là pour appliquer des règles. Parions sur l’individu et arrêtons de penser que la collectivité dans le monde arabe freinera la haine, la colère et la radicalisation. Ce qui me chagrine également, c’est que lorsque nous prenons des concepts intéressants comme la parité, nous les vidons de sens, car nos institutionnels essaient d’inventer un schéma calqué sur celui de l’Occident et par conséquent de rouler plus vite que la musique, en composant au final une sonorité très désagréable.
Réda Dalil, écrivain et rédacteur en chef du magazine Economie & Entreprises
Je suis totalement contre. Premièrement, je trouve le service militaire obligatoire inacceptable (pour les deux sexes) du point de vue de l’optimisation des ressources. On n’arrête pas de nous rabâcher que le pays a des ressources limitées, on mène depuis 10 ans une politique d’austérité, et, d’un coup, on nous présente un plan qui institue un service militaire obligatoire coûtant 4% du PIB ! Deuxièmement, il faut déjà réfléchir à avoir une totale égalité entre les sexes, notamment en matière d’héritage et de citoyenneté, avant de parler de ses devoirs. Troisièmement, le patriotisme ne s’incarne pas dans des valeurs militaires mais à travers l’intelligence. Pour faire rayonner son pays, le fondateur de Facebook Mark Zuckerberg n’a pas eu besoin de se montrer aux côtés d’un drapeau américain. Inspirons-nous d’autres pays comme l’Italie avec son service civique. Ce dernier offre l’opportunité à des jeunes, sur la base du volontariat, de s’engager pendant quelques mois dans des entreprises publiques ou des ONG. Il a fait ses preuves ! Car si nous restons dans cette logique, je m’attends à un gâchis qui pourrait hypothéquer nos chances de croissance rapide et d’un développement-rattrapage des économies émergentes. Aujourd’hui, on ne cesse de se désoler de la fuite de nos cerveaux, et, pourtant, on décide de mettre en place un service militaire obligatoire qui va briser un parcours prometteur ou mettre un plan de carrière en suspens. C’est contre-productif ! Le pire, c’est que c’est un “poids mental” qui va peser sur les épaules de cette jeunesse jusqu’à ses 40 ans (en cas de cessation du motif de dispense ou d’exemption). Autour de moi, nombreux sont ceux, notamment des jeunes femmes, qui envisagent déjà de ne plus rentrer au pays au cas ou cette loi est validée par les deux chambres du Parlement…