Dounia Fikri, la photographe aux mille effets
Depuis que Dounia Fikri a acheté son argentique, elle ne le quitte plus. Il est toujours dans son sac, prêt à être dégainé. « J’ai une relation particulière avec la photo, confie cette jeune femme de 27 ans habitant à Agadir. Elle m’a aidée à me relever lorsque je suis tombée gravement malade durant mes études à l’école de cinéma de Marrakech », l’obligeant même à arrêter les cours. « Je n’avais plus accès aux caméras, alors je suis allée m’acheter un autre type d’appareil de prise de vue : un argentique à 250 DH. » Dounia prend quelques clichés de ses proches avant de déambuler dans les rues d’Agadir. « Ce que j’adore dans ce genre d’images, ce sont les regards échangés qui sont expressifs », précise cette photographe autodidacte qui expérimente certains procédés, même parfois par hasard. « Un jour, j’ai fait tomber ma pellicule photo dans un verre de soda et j’ai adoré les effets dessus, dévoile-t-elle. J’ai appris sur le net que c’est une technique appelée « film soup », employée par certains professionnels, qui permet d’ajouter des filtres naturels ». Dounia se décide alors à concocter ses propres recettes comme du thé avec du jus de citron confit. Les résultats obtenus sur la pellicule l’emballent. Au début, cette jeune artiste partage ses premiers clichés sous le pseudonyme de « Photographs from a bittersweet land » (« Portrait d’un pays doux-amer »). Elle a peur des retours, mais les feedback sont très positifs. Ses clichés de tout type seront présentés dans sept expositions dont aux Nuits Photographiques d’Essaouira où elle est sélectionnée dès la première édition. « Grâce à cet événement, j’ai pu rencontrer de grands photographes marocains et étranger dont j’admirais le travail comme Daoud Oulad Sayed, Brahim Benkiran ou encore Marc Belli, le gagnant de la premier édition qui a fait un excellent travail sur le bilmawen (le carnaval de Bilmawen est une tradition très connue en Amazigh), un sujet que j’essaie aussi de travailler. » Pour cette deuxième édition des Nuits Photographiques d’Essaouira, elle expose sa série « Fine enssa ?» (Où sont les femmes ?) « Je me souviens d’une époque dans les années 90 où la femme marocaine moderne ne se cachait pas, à l’inverse d’aujourd’hui. Alors je me suis intéressée à ça, à savoir qui sont-elles et qui les cachent… »
L’art dans toute sa splendeur avec Sarah Harnafi
Même si, petite, Sarah Harnafi n’a jamais baigné dans l’art, elle a l’œil. Cette jeune Rbati de 25 ans est photographe, et aussi illustratrice. Jusqu’à ses 18 ans, la photographie n’était pour elle qu’un simple moyen de conserver des moments partagés avec ses proches. C’est en France que son regard a commencé à s’aiguiser. Après son baccalauréat, elle s’envole pour Paris puis Roubaix afin d’y entreprendre des études de design de produit. Et à ce moment-là, l’image prend tout son sens. Très vite, la jeune fille achète son premier appareil, un reflex numérique Sony qu’elle utilise encore aujourd’hui. De retour au Maroc en 2014, elle travaille comme designer d’intérieur à Marrakech. Mais dès qu’elle en a l’occasion, elle erre avec son appareil à la main, dans les ruelles de cette ville mais aussi dans tant d’autres, plus au Sud. Les moments de vie qui défilent sous ses yeux la captivent. Elle les immortalise. Cette série est intitulée « Streets of Morocco » et a été accrochée aux murs du Tate Modern à Londres lors de la Photo London Art Fair en 2016. C’est sa première exposition. Ses projets personnels se multiplient comme « Streets of Morocco II », « Maydays » ou encore « La Terre s’envole » qui, cette fois-ci, est une série d’illustrations dans laquelle elle mélange dessins et photos. A travers ses clichés, on voyage dans l’imaginaire magique de cette jeune autodidacte où on y rencontre un homme sur un immense poisson ou un couple dans une fleur. La jeune femme au talent incontestable qui travaille également avec des agences, est parfois confrontée à certaines difficultés : « C’est parfois un peu compliqué de prendre des photos au Maroc, notamment dans des endroits où il y a beaucoup d’hommes comme dans des marchés, pointe-t-elle du doigt. Il peut y avoir des réflexions ou des regards qui me mettent parfois mal à l’aise. » Pour les Nuits Photographiques d’Essaouira, c’est sa série « Balade silencieuse » qui a été sélectionnée. 19 clichés de lieux, tous pris au Maroc, dans lesquels Sarah a réussi à capturer une certaine poésie et douceur qui se dégageaient sur le moment.
Salima Hamrini, la photographe qui shoote avec son smartphone
« Je ne savais pas que ce que je prenais en photo s’appelait de la Street photography », confie d’emblée Salima Hamrini. Cette jeune Casablancaise de 23 ans a la particularité d’avoir saisi des images avec son… smartphone. « J’étais très étonnée d’avoir vu mon nom apparaître sur la liste des photographes choisis pour cet événement, avoue-t-elle. Car j’avais pris mes photos avec mon appareil Samsung. » Et d’enchaîner : « Je n’ai aucun parcours professionnel, je suis juste amatrice. » En tout cas, pour l’heure, car Salima qui travaille aujourd’hui dans un centre d’appel, espère bien reprendre ses études : un master en gestion, mais surtout des études ou une formation en photographie. « Ce serait mon rêve de devenir photographe, mais je dois assurer mes arrières car le métier est compliqué au Maroc », souligne cette jeune femme qui ne peut s’empêcher de prendre des clichés dans la rue. « Pour ne pas avoir de souci avec les gens lorsque je les photographie, je fais semblant de regarder ailleurs et puis je déclenche mon appareil, décrit-elle. C’est à la fois pour ne pas avoir de remarques notamment des insultes, mais surtout pour que l’image que j’ai en tête, reste intacte. » La série qu’elle présente aux Nuits Photographiques d’Essaouira s’intitule « L’autre face du détroit ». « Cette série met en avant la vie quotidienne à Tanger, le charme miraculeux de cette ville, précise-t-elle. Je cherche à changer l’image qu’on colle trop souvent à Tanger, celle d’une ville où règne la contrebande et l’immigration clandestine, car, pour moi, Tanger est une source intarissable de beauté. »
Hasnae El Ouarga, la photographe de l’invisible et de l’oubli
L’image, c’est le dada de Hasnae El Ouarga, qui est à la fois chef opératrice et photographe professionnelle. « Pour moi, le cinéma et la photographie se complètent parfaitement, explique-t-elle. Il y a des séquences qui ne peuvent être que filmés en raison de l’importance du son, tandis que d’autres, conviennent parfaitement à la photo. » Très tôt, cette jeune Marrakchi originaire de Rabat, est initiée à l’image. « Mon père est amateur de photographie », indique-t-elle. Toutefois, après avoir obtenu son baccalauréat en 2012, c’est plutôt vers la vidéo qu’elle s’oriente. « J’avais envie de voir davantage de vie dans mes images, c’est-à-dire du mouvement mais aussi du son », raconte Hasnae qui intègre alors l’école de cinéma de Marrakech. Durant cette formation, elle se focalise sur la caméra, jusqu’à ce qu’une rencontre lui donne envie de ressortir son bon vieux numérique du placard : celle avec la chorégraphe Bouchra Ouizguen. Cette dernière est en train de monter le spectacle « Corbeaux » avec une troupe de chanteuses d’Aïta. Elle collabore avec elle en vidéo, puis en photo. « Pour prendre mes clichés, j’ai d’abord opté pour mon numérique avant de travailler exclusivement en argentique. » Et poursuit : « Un jour, on m’a offert un appareil argentique, un Pentax K-m reflex pour que je le teste, et depuis je l’utilise toujours. A l’inverse du numérique, on doute toujours du résultat des images qu’on ne voit pas tout de suite, et en plus, on est limité en prise de vue. Il n’y en a que 36 sur chaque pellicule. » C’est sa série « Corbeaux » qui a été sélectionné pour les Nuits Photographiques d’Essaouira. « Je voulais montrer ce que le spectateur ne voyait pas, c’est-à-dire la concentration, la méditation, les séances de massage faites à ces danseuses », décrit-elle. Aujourd’hui, Hasnae jongle entre ses projets professionnels en cinéma comme le film « Controfigura » de la réalisatrice Rä Di Martino qui a été présenté à la Mostra de Venise en septembre dernier, et son dernier projet personnel en photo : la mémoire. « Il est toujours en cours et consiste à mettre en image les quelques souvenirs qui reviennent à l’esprit de personnes atteintes d’une maladie entraînant une altération de la mémoire ». Un travail de long haleine que cette photographe a démarré en France, mais tient à poursuivre au Maroc car la maladie n’a pas de frontière.