Quand la mode lutte pour les femmes

A l'occasion du 8 mars, Fadila El Gadi, créatrice de mode, et Mohamed Smyej, initiateur de "Hmar ou Bikhir", lancent le tee-shirt "Mra hachak". Un message qui ne manque pas de susciter l'engouement. Les deux créateurs reviennent sur une aventure très engagée.

FDM : Qu’est-ce qui vous a poussés à créer ce tee-shirt ?

Fadila : C’est Smyej qui m’a fait part de l’idée du slogan. Moi, c’est mon métier de raisonner en termes de vêtements quand j’ai un message à faire passer. L’inspiration d’utiliser un tee-shirt m’est venue spontanément sur la base de ce que Smyej avait fait avec “Hmar ou Bikhir”. Et c’est ainsi que j’ai eu l’idée d’en faire un geste militant.

Mohamed : Je vous mentirais si je vous disais que la cause féminine et l’égalité des sexes est un combat qui me tient à coeur. Il est difficile à tout homme de se mettre à la place d’une femme et de voir le monde de ses yeux. Les victimes des injustices sont toujours les plus aptes à en parler, et c’est là où j’aime situer mon travail : donner forme à un fond. Résumer toute situation, aussi compliquée soit-elle, en une image, en une phrase, et rendre l’expression accessible à toute personne, puis garder un flou artistique autour des interprétations. Surtout ne pas donner de réponse, mais plutôt pousser à se poser la question. Créer l’émotion chez l’autre, dégoût ou séduction, le plus important est de pousser au dialogue et éviter l’indifférence.

Pourquoi “Mra hachak” et pas un autre message ?

Fadila : Une telle expression ne date pas d’hier. C’était la réalité quotidienne de toute une société, qui reléguait la femme au statut d’objet et de honte. Certes, l’expression n’est plus aussi présente dans notre jargon, mais les attitudes n’ont pas énormément évolué. Ce n’est pas parce que certaines femmes jouissent pleinement de leurs libertés, vivent leur féminité de manière épanouie, qu’il en est ainsi pour l’ensemble de la gent féminine. “Mra hachak” est un cri de colère et de détresse par rapport à une situation qui n’épargne que certaines, et celles-ci se doivent d’être les ambassadrices de toutes celles qui restent encore “hachak”.

Mohamed : Je n’ai pas inventé cette expression. Des lèvres dominées par des moustaches  s’amusaient à la répéter en guise de ponctuation. Quand on veut adresser un message, on a intérêt à parler le langage de l’autre pour mieux être compris, et par expérience, je sais qu’il n’y a pas plus efficace que de s’approprier l’insulte. Pire elle est, mieux c’est ! L’injure est vidée de tout son sens car elle n’a plus aucun impact sur la victime. Les autres vont alors prendre le temps de réfléchir.

Depuis l’annonce de l’idée sur le Net, l’engouement est grand. Est-ce que vous vous attendiez à un tel succès ?

Fadila : Je n’ai pas pensé au succès que cela aurait, mais je croyais bien au fait que le message serait parlant pour les femmes. Ce qui me plaît, c’est que le slogan “Mra hachak” vive sa propre vie maintenant, sans forcément que cela ne soit lié à moi ou à Smyej.

Mohamed : Je pense que toute personne qui crée dans un cadre personnel n’a pas en tête ce paramètre de plaire ou non. On crée par besoin, même si ça fait toujours quelque chose de voir que le travail est détesté ou aimé. Il n’y a que l’indifférence qui tue. Je ne suis pas sûr que le buzz soit toujours lié à une volonté de changement. Mais tout calcul fait, les personnes qui en ont fait une petite mode ont donné de l’importance au message que d’autres exploiteront pour continuer leur combat. Les modes naissent, puis meurent. Les causes, elles, resteront là, même après un 8 mars.

Y aura-t-il une suite à cette action ?

Fadila : Je n’y ai pas encore réfléchi. Même si je me considère comme féministe, je ne suis militante active que par surprise. Peutêtre que la page Facebook “Mra hachak” va vivre sa propre vie désormais…

Mohamed : Personnellement, j’ai deux petites idées en tête, mais je pense que celles qui se sont toujours battues continueront le combat. Moi, je suis prêt à mettre le dessin à la disposition de toute personne qui le désire, qu’elle l’imprime ou qu’elle en fasse ce qu’elle veut. L’idée vivra toute seule avec ceux et celles qui le voudront. â– 

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