L’appartement de Mohamed Ouazzani brille de mille feux. De gros blocs scintillent sur des étagères, tandis que de petites pierres, coupées et polies, recouvrent le bureau de sa chambre à coucher, sans parler des bijoux mis en avant sur la table du salon à l’occasion de notre rencontre. À 63 ans, Mohamed Ouazzani est un jeune joaillier autodidacte. Il s’est plongé, corps et âme, dans cette passion il y a quatre ans à peine. Depuis, il ne cesse de créer, et ce, malgré la maladie. Cet homme si pétillant a eu plusieurs vies : professeur d’anglais à Casablanca avant d’enseigner le marketing dans la langue de Shakespeare, puis directeur marketing et commercial dans une régie de ventes d’espaces publicitaires, traducteur (livres et newsletters), consultant senior en études de marché et maître sushi un brin artistique. “J’utilise des fleurs comestibles notamment la feuille d’or comestible à 24 carats dans mes préparations”, raconte celui qui continue à en concocter ponctuellement. Des chefs d’œuvre à la fois visuels et gustatifs. “Un jour, une dame est venue en récupérer et m’a demandé si c’était vraiment des sushis ou des bijoux, se rappelle-t-il. Sa remarque a été un déclic, car depuis ma plus tendre enfance, j’ai toujours été un grand amateur de pierres. J’ai dû en accumuler deux tonnes !”
Une passion risquée ?
Petit, il ne pouvait s’empêcher de récupérer ou de soulever de grosses pierres pour les scruter et observer ce qu’elles protégeaient en-dessous. Mais les plus belles qu’il ait récupérées remontent à 2006, lors d’un voyage professionnel aux Etats-Unis. À l’époque, il travaillait comme directeur programme pour l’ONG SIFE qui se nomme désormais ENACTUS. “J’étais parti représenter le Maroc lors d’un important événement, raconte-t-il. Et lorsque je déambulais dans les rues de Springfield au Missouri, je suis tombé sous le charme de deux agates du Brésil. L’une était bleue turquoise et l’autre marron comportant une partie microcristallisée.” Ni une, ni deux, il les achète et abandonne tous les vêtements pris en souvenirs durant son séjour. Pas de place dans la valise. Il en pose une délicatement dans son bagage à soute qu’il recouvre d’une couverture, et l’autre, dans son sac. Mais, à l’aéroport, cet amoureux va déchanter du moins pendant quelques très longues minutes. “Lorsque mon bagage à main est passé dans le scanner, le policier derrière l’écran a glissé à ses collègues qu’il y avait une “black mass” à l’intérieur, se souvient-il. Des bonhommes ont illico presto pointé des mitraillettes dans ma direction, tandis que d’autres ont fait évacuer les lieux avant de mettre en place un cordon de sécurité tout autour de moi et de ma fameuse sacoche.“ Son autre valise contenant aussi un colis “suspect” est rapidement rapportée et placée devant lui. Assez éloignés, les agents lui hurlent de dévoiler le contenu. “J’ai pris, la boule au ventre, l’une des deux soi-disant “black mass” et j’ai fait apparaître ma belle agate”, sourit-il aujourd’hui. Mohamed Ouazzani a pu s’envoler au Maroc avec ses deux trésors. Mais depuis, il n’a jamais plus voulu acheter d’autres pierres lorsqu’il était en voyage. Il les commande.
Ses premiers pas
La petite phrase lancée par la cliente sera ainsi un électrochoc. Il décide de se lancer et dévore les livres tout en surfant sur la toile pour engranger le maximum d’informations sur la cristallographie des roches et les techniques de coupe “pour ne pas que les pierres éclatent puisqu’il faut toujours suivre leur plan de clivage”, comme il le signifie. Il s’équipe ensuite et acquiert une série de disques abrasifs diamantés et d’autres outils spécifiques pour monter son atelier qu’il va installer sur la terrasse de son immeuble. “Initialement, ma femme, Hanane, voulait y faire un jardin. Elle me l’a finalement cédé car elle a toujours cru en moi et m’a toujours aidé à concrétiser mes rêves”, dit-il les yeux plein d’amour. L’atelier prêt, Mohamed Ouazzani enfile son bleu de travail et s’attelle à transformer de gros blocs en petites pépites. “C’est laborieux”, signale-t-il. Son premier bijou ? “Il ressemble à une “corbeille de fruits” où l’on trouve plusieurs pierres comme une améthyste ou encore une azurite, ainsi le décrit-il tout en l’observant. Je n’ai jamais voulu le vendre. De tout façon, je n’en suis pas satisfait. Il n’est pas fini. » “À l’exception de cette bague, ses autres créations sont au début très conventionnelles : ovales, rondes, carrées, rectangulaires. “Je me suis vite ennuyé”, confie-t-il. Cet homme à l’esprit si vif ose rapidement défaire tout ce qu’il a appris si minutieusement à construire. “Je laisse mon stylo courir sur le papier. Après quelques temps, je me suis rendu compte que je suis entre autres un adepte du style brutaliste”, explique-t-il tout en prenant plusieurs pierres dans ses mains telles qu’une aigue-marine et une hématite botroïdale, à savoir des pierres peu taillées.
Sa femme, sa muse et ses pierres, sa puissance
Chaque fois que Mohamed Ouazzani crée, il imagine la bague au doigt de son épouse. Si elle ne lui va pas, il la refait. « Ma femme me donne son avis que je prends en compte bien entendu », insiste-t-il. Au total, il en a fabriqué près de 200. « Je me suis essayé aux boucles d’oreille, mais c’était trop décalé, je n’arrivais pas à faire les mêmes : l’une était longue et verticale tandis que la seconde était horizontale. Là, c’était trop avant-gardiste », rigole cet homme qui garde très souvent dans sa poche un petit bâtonnet noir: une tourmaline. « Je l’ai commandée au Pakistan car je voulais en faire une bague, mais à sa vue, je n’ai pas pu la casser. C’était impossible. Je ressens une énergie spéciale à son contact. Elle arrive à m’apaiser et me donner espoir, assure Mohamed Ouazzani qui croit ainsi à l’approche énergétique autour des pierres. Elles ont été crachées par un volcan et ont traversé des millions d’années. Elles regorgent naturellement d’énergie tellurique ».
Son apprenti, sa seconde main
De l’énergie, Mohamed Ouazzani en a revendre et est intarissable sur les pierres, ce qu’apprécie Jawad Nait Ben Mous, un jeune homme de 28 ans qu’il a pris sous son aile. « A cause de la maladie, je ne peux plus faire certaines tâches et être en contact avec la poussière, précise-t-il. J’ai essayé de travailler avec d’autres personnes mais cela n’a pas fonctionné pour x et y raisons. Et il y a deux ans, une de mes anciennes élèves qui habite mon immeuble, m’a parlé de Jawad. Je l’ai rencontré et j’ai vu en lui cette étincelle ! » Mohamed Ouazzani le forme. Il dessine le modèle et choisit telle ou telle pierre, sous les yeux émerveillés et surtout attentifs de Jawad qui s’occupe de la monter. « Nous pouvons travailler sur un seul modèle pendant une semaine. Et si le résultat final ne nous convient pas, nous recommençons car toutes les pièces sont uniques. Nous sommes obligés d’être très méticuleux, explique le jeune homme. Avec M. Ouazzani, on n’est jamais dans la routine ! C’est un homme de parole, talentueux et très généreux qui fait ce travail par passion et non pour l’argent. On en trouve peu comme lui. » Comme ses bagues !
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