Marguerite Yourcenar, première académicienne française

Cette immense écrivaine au style influencée par la culture gréco-romaine a marqué le 20ème siècle avec des romans majeurs comme “Mémoires d’Hadrien” ou “L’œuvre au noir”. Elle est entrée dans l’Histoire en 1980 comme la première femme élue à l’Académie française, provoquant un séisme dans l’univers très misogyne des Immortels.

Marguerite Antoinette Jeanne Marie Ghislaine Cleenewerck de Crayencour est née le 8 juin 1903 à Bruxelles, d’un père français, Michel de Crayencour, et d’une mère belge, Fernande de Cartier de Marchienne. La famille, très bourgeoise, possède des propriétés et un château.

Orpheline de mère à sa naissance, Marguerite est élevée par sa grand-mère et par son père, homme fantasque et joueur, latiniste amateur de livres et d’antiquités. Auprès de lui, elle connaît une enfance placée sous le signe du cosmopolitisme et des voyages. Elle reçoit une formation très classique où domine l’étude du grec et du latin, ce qui influencera fortement son œuvre d’écrivaine, toute empreinte d’une Antiquité érigée en modèle de langue et de pensée. “Presque tout ce que les hommes ont fait de mieux a été dit en grec”, affirme-t-elle.

Michel de Crayencour s’installe avec sa fille à Paris. Marguerite y poursuit des études brillantes et s’instruit aussi grâce aux visites des musées, aux représentations de théâtre classique et à de longues lectures.

Marguerite commence à écrire à vingt ans et publie un essai “Denier du rêve”. Par jeu et avec l’aide de son père, elle choisit “Yourcenar”, anagramme de Crayencour, comme nom d’écriture dont elle se servira toute sa vie d’auteur.

En 1929, Marguerite Yourcenar publie son premier roman “Alexis ou le traité du vain combat” qui sera loué par les meilleurs critiques, puis “Feux” suivi de plusieurs essais, dont “Les songes et les sorts”, “Mishima ou la vision du vide” ou “Le Temps ce grand sculpteur”. Elle effectue de nombreuses traductions d’œuvres littéraires comme celles du grand poète grec Constantin Cavafy ou des romans en anglais de Virginia Wolf.

Une sexualité ambivalente

Témoin des événements qui secouent l’Europe d’avant-guerre, Marguerite Yourcenar parcourt les pays, noue des contacts avec les intellectuels exilés, amasse une foule de réflexions sur l’histoire contemporaine, observe les théoriciens du fascisme et de l’anarchie, remonte aux philosophes et poètes du siècle passé et s’engage même dans des traductions de textes de l’Inde et de l’Extrême-Orient.

De la vie sentimentale de Marguerite Yourcenar, on pourrait dire que c’est “un nomadisme du cœur et de l’esprit”. Dotée d’une grande sensualité et d’une sexualité ambivalente, l’écrivaine est attirée par les femmes mais se consume par ailleurs d’un amour impossible pendant des années pour André Fraigneau, des éditions Grasset.

C’est en 1937, à trente-quatre ans, qu’elle fait une rencontre décisive. Grace Frick, universitaire américaine de son âge deviendra la femme de sa vie, son amie, son amour, sa collaboratrice et traductrice durant quarante-deux ans et bien au-delà de la mort. De l’amour, l’écrivaine disait : “L’amour est un châtiment. Nous sommes punis de n’avoir pas pu rester seuls.”

Un bourreau du travail

Quand la guerre éclate en 1939, Marguerite Yourcenar part aux États-Unis rejoindre Grace Frick. Elle s’installe sur l’île des Monts Déserts et obtient la nationalité américaine.

Intellectuelle surdouée et infatigable, elle est un bourreau du travail à la personnalité si forte qu’on la qualifie de virile.

Marguerite Yourcenar consacre sa vie entière à l’écriture et publie un nombre impressionnant d’ouvrages : romans, nouvelles, essais, poèmes, critiques littéraires, traductions, ainsi que ses mémoires en trois volumes. Une œuvre colossale à la griffe hors du commun qui fera d’elle une figure emblématique de la littérature française à travers le monde.

Ses romans retracent, avec une belle magnificence maîtrisée, la vie de personnages réels ou fictifs, toujours reconstruite à partir d’un travail d’archiviste rigoureux et précis.

Une écrivaine hors du commun

Deux de ses ouvrages sont devenus cultes et ont marqué à jamais l’univers de la littéraire universelle : Mémoires d’Hadrien (1951) et L’œuvre au noir (1968). Ils se lisent comme de grands classiques, un exemple de perfection inégalée où l’écrivaine donne à sa passion pour le monde gréco-romaine ses plus beaux titres de noblesse.

Mémoires d’Hadrien se présente comme une lettre adressée par l’empereur Hadrien à Marc Aurèle, futur empereur et grand philosophe. Au seuil de la mort, en proie au doute comme chaque mortel, il fait le bilan de sa vie, en même temps que son examen de conscience. Une longue méditation sur le pouvoir et sur la gloire, mais aussi sur le monde des hommes simples, auquel, malgré sa condition d’empereur, il reste attaché. Dans une langue inimitable, c’est une confession ultime d’un être à l’esprit curieux de sciences et de philosophie, qui, aux portes de la mort, révèle ses rêves, ses réflexions, ses passions et ses souffrances.

À l’inverse d’Hadrien, le personnage de L’œuvre au noir est purement fictif. Dans ce roman, Marguerite Yourcenar nous emmène sur les pas de Zénon, homme érudit de la Renaissance, à la fois clerc, philosophe, médecin et surtout alchimiste. Le roman embrasse cinquante ans de sa vie, de Bruges où il naît jusqu’à Bruges où Zénon “de plus en plus hanté par une vision d’absolu”, revient mourir en une boucle savante qui caractérise le conflit entre le matérialisme et le panthéisme des alchimistes. Une aventure profondément humaine car Zénon sait que pour atteindre l’idéal qu’il poursuit, il doit passer par la dissolution des formes et du moi, que l’on appelle “œuvre au noir” en alchimie. Quant Zénon se suicide, c’est un homme serein qui meurt, convaincu que la mort est un commencement. “L’œuvre au noir” recevra le Prix Fémina.

Une immortelle

La reconnaissance de ses mérites exceptionnels d’écrivaine vaudra à Marguerite Yourcenar son entrée historique à l’Académie française.

Fondée en 1634 par le Cardinal de Richelieu sous le règne de Louis XIII, cette mythique institution, exclusivement masculine, se compose de 40 académiciens élus, appelés les Immortels et dont la fonction est la normalisation et le bon usage de la langue française. Portée par Jean d’Ormesson, la candidature de Marguerite Yourcenar provoque un tollé général parmi des misogynes qui la considèrent comme une intruse.

Malgré un carré d’irréductibles, l’écrivaine est élue le 6 mars 1980 comme la première femme dans l’Histoire à entrer à l’Académie française et à revêtir le fameux habit vert des Immortels. Détail amusant : dans ce monde masculin où il n’y avait jamais eu que des toilettes “Hommes”, on a dû en installer une pour elle, avec, sur la porte, “Madame Marguerite Yourcenar”.

Depuis cet événement historique, l’Académie française a ouvert ses portes à d’autres femmes illustres comme Jacqueline de Romilly, Hélène Carrère d’Encausse, Assia Djebar ou Simone Veil.

La force et la particularité de Marguerite Yourcenar est d’avoir été une femme d’aujourd’hui qui a su pénétrer le secret des siècles anciens, refermés sur eux-mêmes, pour en réveiller les destins singuliers, avec leurs passions, leurs amours et leur noblesse.

Ecrivaine hors du commun, elle s’est distinguée par une écriture dense, sans fioritures, sobre et épurée qui rappelle le style stoïcien grec.

Marguerite Yourcenar meurt couverte d’honneurs le 17 décembre 1987 à Bar Harbor, dans le Maine, (États-Unis).

Pour elle qui disait “Il faut toujours un coup de folie pour bâtir un destin”, ce fut un coup de génie du sort qui fit de Marguerite Yourcenar une immense écrivaine et une icône devenue mythique car première femme entrée dans le monde très fermé des Immortels de l’Académie française.

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