Vous venez de lancer le Fonds pour l’Education en Zone Rural (FER). En 2015, c’était l’ANEER (Action nationale pour l’éducation de la petite enfance en zone rurale). Quelle différence y-a-t-il entre ces deux initiatives ?
Elles sont complémentaires car le FER est un mécanisme de levée de fond qui servira à notre programme ANEER afin de créer des écoles de préscolaire en milieu rural. Avant la mise en place du FER, nous procédions à une levée de fonds classique en ayant une relation B-to-B avec une entreprise, sauf qu’aujourd’hui, les sociétés qui sont en capacité de financer une école entière, voire plusieurs, sont en nombre limité, et parfois sont déjà partenaires de la Fondation. Il faut 300 000 DH pour ouvrir un établissement. Nous avons donc pensé à un autre modèle pour booster le programme ANEER : celui du financement participatif afin d’avoir un maximum de sociétés de tailles différentes qui soient en capacité de donner une contribution annuelle variant entre 5 000 à 150 000 DH. Pour l’instant, nous consacrons le FER au préscolaire, mais nous envisageons par la suite de l’utiliser pour financer d’autres projets comme le collège rural de proximité.
L’objectif de l’ANEER est de préscolariser 50 000 enfants et d’ouvrir 500 écoles. Mais à quel l’horizon comptez-vous l’atteindre ?
Tout dépend si nous sommes appuyés ou non par de gros bailleurs de fonds. Dans ce cas-là, nous pouvons y arriver en deux ans. Sinon, au rythme actuel, nous y arriverons d’ici une dizaine d’années.
Quel est le pourcentage de fillettes qui sont préscolarisées en milieu rural ?
En 2017, nous avions 1 919 filles préscolarisées contre 1 703 un an plus tôt. Tous nos programmes éducatifs prônent la discrimination positive. Mais pour être honnête avec vous, nous voyons de moins en moins de fillettes âgées de 4 à 6 ans rester à l’écart du préscolaire. Pour moi, la problématique de la non scolarisation ne se situe pas à ce niveau-là. Elle débute au secondaire, d’où notre volonté aujourd’hui de monter un projet-pilote autour du collège rural de proximité.
Dites-nous en plus sur ce dernier projet…
Il sera lancé avant la fin 2018 et a pour objectif de créer une offre collégiale de proximité au profit de jeunes filles souvent obligées d’abandonner l’école après le primaire. Il permettra aussi de rééquilibrer la balance filles-garçons, car au secondaire, il y a statistiquement une vingtaine de points d’écart au niveau des inscriptions, alors qu’au primaire, c’est à peu près égal. Nous espérons que notre projet-pilote va changer la donne. Aujourd’hui, nous sommes en train de définir la région dans laquelle nous comptons implanter un tel établissement, en fonction d’un certain nombre de critères comme la motivation de la population, la non-proximité d’un autre collège rural, ainsi que la présence aux alentours d’une école primaire à fort potentiel mais avec un taux de déperdition scolaire (primaire-collège) très important en raison de sa localisation.
Pourquoi lancer le collège rural aujourd’hui ?
Nous avons fondé 420 écoles d’Education Non Formelle et permis ainsi la scolarisation de 22 018 élèves en primaire. Mais, à un moment donné, le nombre d’enfants ayant besoin d’être scolarisés et n’ayant pas d’école à proximité a beaucoup diminué parce que les écoles primaires se sont répandues dans les zones rurales notamment grâce au programme de l’école satellitaire qui dépend d’un établissement central. Il y a eu beaucoup de dispositions prises, beaucoup de mécanismes mis en place pour arriver à une éducation obligatoire jusqu’au primaire. Aujourd’hui, au vu de notre expérience, nous sommes en capacité de proposer un concept innovant tout en optimisant les coûts.
Pour le préscolaire, la formation des professionnels est une condition essentielle de qualité, comme l’a souligné le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS) dans l’un de ses rapports. Pour vous, cette condition est-elle aujourd’hui prise en compte ?
Tout dépend avec quel réalisme et dans quel contexte on réfléchit. Si aujourd’hui, vous me dites qu’il faut des doctorants pour le préscolaire comme c’est le cas en Finlande, je vous répondrai qu’on n’y arrivera pas. Mais, bien entendu, il ne faut pas généraliser le préscolaire sans penser à la formation de ces professionnels. Par exemple, notre Fondation travaille avec des éducatrices qui n’étaient pas forcément dans l’enseignement. Nos critères ? Qu’elles aient au minimum une licence, la motivation, et qu’elles soient originaires de la région dans laquelle sera déployé le projet auquel elles seront affectées. Ensuite, nous les avons formées via notre institut Zakoura Academy créé en 2015. Le professionnel du préscolaire est très important mais il faut aussi penser à tout un écosystème autour (modèles économique, pédagogique et opérationnel). Au Maroc, il ne faut pas partir sur une solution low cost pour gagner du temps. Au contraire, la généralisation doit être progressive pour être de qualité.
Le programme ANEER a été nominé par WISE (World Innovation Summit for Education) pour ses Awards 2018. Quelle conséquence pourrait avoir une telle distinction ?
Tout d’abord, nous faisons partie des 12 finalistes sélectionnés parmi 413 projets par un jury d’experts faisant partie de la scène éducative internationale. C’est important de le préciser, car cela signifie que notre projet est pertinent et innovant. Le Wise est par conséquent une reconnaissance et, pour nous, une belle visibilité au niveau national et international. Le remporter nous donnerait davantage de crédibilité aux yeux des bailleurs étrangers !
La Fondation Zakoura (chiffres 2018) :
– 67 % des bénéficiaires de la Fondation Zakoura étaient des filles et des femmes en 2017 contre 54 % en 2016.
– 4.054 bénéficiaires du programme d’éducation parentale suite à son lancement en mai 2017.
– 14.379 femmes sensibilisées aux notions de base en hygiène et santé.
– 8.015 enfants préscolarisés au sein de 108 écoles de préscolaire.
– 78.852 adultes alphabétisés.
– 1.660 enfants et jeunes bénéficiaires de bourse.