Sur le groupe Facebook du mouvement,né à New York en 2012, le “mipster”est décrit comme quelqu’un “d’avantgardisteen ce qui concerne la musique, la mode,l’art, la pensée critique, la cuisine, la créativité.”Mais un mipster a quelque chose de plus, uneidentité qui lui est propre, et se différencie parsa “recherche de l’inspiration dans les écritures divinesde la tradition musulmane”.L’une des premières vidéos apparues surYouTube, et qui a fait boule de neige dans lapresse américaine, montre des jeunes fillesvoilées brisant tous les clichés liés à leurapparence. Juchées sur leur skateboard entalons hauts, elles écoutent “Somewherein America” du rappeur Jay-Z, affichentune manucure toute fraîche, portent deslunettes roses en forme de coeurs et destee-shirts à l’effigie de Marilyn Monroe,quand elles ne font pas des selfies avec leuriPhone lors de virées en moto.Malgré leur voile religieux, ces hipsters version“muslim” sont toujours à la pointe de lamode. Une façon de montrer que les jeunesmusulmanes américaines peuvent être in etcool sans délaisser leur attachement à l’islampour autant. Parmi les femmes qui figurentdans ce clip insolite, réalisé par Abbas Rattaniet Habib Yazdi de Sheikh and Bake Productions,l’escrimeuse Ibtihaj Muhammad,première athlète musulmane à représenterles États-Unis lors de compétitions sportivesinternationales
LE NOUVEAU RÊVEAMÉRICAIN ?
Il va sans dire que ce clip, qui bouscule de nombreuxpréjugés, a soulevé de nombreuses critiques.Certains internautes dénoncent unevidéo réalisée par deux hommes et qui tombede ce fait dans le piège de la “femme-objet”,en misant sur l’esthétique de ces dernièresqui, mis à part le hijab qu’elles portent, répondentclairement aux canons de beauté telsqu’ils sont établis aujourd’hui. Par ailleurs,les figurantes sont l’incarnation parfaite durêve américain : la promesse de prospérité(économique, sociale et symbolique) pourtoute personne vivant aux États-Unis au-delàdes différences, et la valorisation du conceptde melting-pot qui fait de l’identité plurielle(diversité de couleurs de peau, de pays d’origine,de religions, de culture, etc.) le motd’ordre de la société U.S.
BLING-BLING CULTURE
Les avis sont également partagés sur le décalageun peu absurde entre la vidéo et la chansonchoisie. Les grosses montres dorées et lestalons hauts traduiraient une stigmatisationde la culture du dollar représentée stylistiquementpar le bling-bling. Le clip est, defait, taxé de pur produit de consommationpar Su’ad Abdul Khabeer, professeur en anthropologieet études afro-américaines à laPurdue University : “Cette vidéo est un produitde consommation explicite et ne peut, par conséquent,qu’offrir des visions étroites de qui sont lesfemmes musulmanes, malgré une tentative demontrer la diversité. Mais encore une fois, n’estcepas typiquement américain ?”
DE LA NORMEÀ L’ANORMALITÉ ?
Quant à Sana Saeed, journaliste pour unpériodique numérique, elle estime qu’“aunom de la lutte contre les stéréotypes, il sembleraitque nous adoptions – tout spécialement lesfemmes voilées – des outils et des images qui fontde nous des objets (sexualisés ou désexualisés,politisés ou dépolitisés) plutôt que de nous apportersoutien entre nous là où nous en avons besoin. Nous sommes tellement obsédées parl’idée de paraître “normales”, “américaines”ou “occidentales” dans nos comportements etnos apparences vestimentaires que nous saponsla véritable anormalité de nos communautés etrenforçons les définitions essentialistes de “normal”,“américain” ou “occidental”.”Si les avis divergent sur le bienfondé decette vidéo, celle-ci suscite néanmoins desquestions essentielles. Dois-je me conformeraux valeurs du pays où je réside et d’oùje viens, ou dois-je valoriser mes différencesdans cette société uniformisante ? SanaSaeed a exprimé sa position en faveur dela différenciation, et part du postulat quetous les musulmans occidentaux veulentêtre distingués de la culture qui les discrimine.“Nous n’avons pas besoin d’utiliser unereprésentation superficielle “positive” de nouspour lutter contre d’autres représentations superficiellesnégatives”, conclut-elle.
UN DÉBAT QUI BRISELES TABOUS
Malgré ses détracteurs, ce clip a tout de mêmeeu le mérite de créer un débat constructifau sein de la société américaine entrepersonnes de différentes confessions religieuses,journalistes, universitaires… Unefemme voilée n’aurait-elle pas le droit devivre comme une citoyenne lambda ? Avec laperspective de normalisation du port du hijab,voire de sublimation en le transformanten élément-phare d’un style qui pourraitêtre à la mode, le stigmate qu’il représenteest ainsi réhabilité. Interpréter ce gestecomme une occidentalisation est sommetoute un peu exagéré et tendrait à affirmerque les cultures américaine et musulmanesont incompatibles par nature. Un débat quimériterait de traverser l’océan Atlantiquepour s’établir en France, par exemple, oùdes ministres en sont encore à agresser desfemmes voilées dans la rue. â—†