Assiste-t-on à une nouvelle ère du féminisme au Maroc ? Après le mouvement #MeToo, divers hashtag ont poussé dans le paysage numérique marocain pour dénoncer, à leur tour, les violences faites aux femmes dans le contexte local. Le but ? Libérer la parole et imposer le débat dans notre société patriarcale. Sur la toile, l’engouement prend avec des hashtag comme #Masaktach (“je ne me tais pas”), pensé par un collectif de citoyens regroupant une dizaine de membres, des femmes et des hommes, âgés entre 30 et 40 ans et de toutes catégories sociales. Leur rencontre s’est faite sur Twitter à la suite de l’affaire Khadija, cette adolescente séquestrée, violée, torturée et tatouée de force par un groupe d’hommes dans la région de Béni Mellal. Le récit conté les secoue, notamment lorsque le soutien unanime sur la toile s’amoindrit très vite pour laisser place au doute. “Vous imaginez ! Sa parole a été décrédibilisée par des fake news !”, rappelle Laila Slassi, avocate, co-fondatrice du mouvement. C’est la goutte d’eau de trop. Il faut agir. “Le mouvement #Masaktach naît spontanément, poursuit-elle. Le hashtag a été officiellement lancé sur Twitter le 18 septembre, date d’un autre événement : l’audience en France de Saad Lamjarred, soupçonné de viol et au final écroué. Ce jour-là, nous avons réclamé le retrait de ses chansons car, pour nous, la diffusion de ses titres symbolisait une culture du viol”. Le collectif gagnera la manche.
Le pouvoir du hashtag
Après s’être rendu compte de sa force, le collectif #Masaktach décide de soutenir Khadija et de s’attaquer aux violences ainsi qu’au non-respect du consentement en sensibilisant l’opinion publique via des cas concrets. Ainsi, va naître #Machi_b_sif (“pas de manière forcée”) après l’assassinat début octobre d’Oumaïma, une étudiante en droit poignardée par son camarade de classe qui n’a pas accepté son refus de l’épouser. “Nous allons également nous emparer du problème du harcèlement au travail qui est un sujet délicat avec ce lien de subordination et cette pression économique qui enferment doublement les victimes, appuie Laila Slassi. Nous allons ainsi nous appuyer sur le cas d’une jeune femme qui a fait une tentative de suicide après avoir déposé plainte deux fois.” En écoutant les missions que s’est donné le collectif, une question taraude : pourquoi ses membres ne rejoignent-ils pas une association ? “Le Maroc regorge de structures montées par des militantes extrêmement engagées, mais cela ne semble plus suffisant”, souffle-elle, avant de nuancer : “Si les femmes prennent aujourd’hui la parole, c’est bien grâce à elles et à leur travail formidable. Toutefois, un autre modèle doit émerger. Il n’y a plus d’un côté la société civile et d’un autre les pouvoirs publics. Il faut désormais compter sur une troisième voie : celle des citoyens. Nous devons travailler en complémentarité.” Une complémentarité nécessaire au vu, par exemple, du nombre de messages reçus sur les réseaux sociaux via #Masaktach de la part de victimes. Pour Laila Slassi, ces cris de détresse traduisent une certaine défaillance sur le terrain. “Aujourd’hui, nous travaillons sur une base de données centralisant les coordonnées d’associations, développe-t-elle, afin que les victimes puissent contacter les organisations de proximité en fonction de leurs besoins (hébergement, assistance juridique, etc.).”
De l’espace public virtuel à réel
Depuis son lancement en juin 2018, la plateforme #ZankaDialna (“la rue est à nous”) compte plus de 12 000 membres ! Cette initiative qui met un point d’honneur, là aussi, à être citoyenne, a vu le jour “après les actes répétés d’incivilité ou d’agression envers les femmes dans la rue marocaine”, comme l’explique le collectif dans un communiqué. #ZankaDialna est une plateforme de partages, de débats et d’idées afin de “sensibiliser le plus grand nombre aux besoins de la femme marocaine de circuler en paix et en sécurité dans les espaces publics de leur pays, peut-on lire. C’est ainsi qu’une performance artistique a été programmée, toujours à partir de la plateforme Facebook #Zankadialna, sur proposition de deux artistes marocaines, une performeuse et une chorégraphe.” Résultat : le 15 septembre 2018, une trentaine de femmes ont fait une marche artistique en passant, entre autres, devant le Parlement, avec un pas lent et la tête levée. “Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais la place de la femme dans l’espace est très souvent abordée entre quatre murs via des conférences ou tables rondes, soulève à juste raison Loubna Bensalah, l’initiatrice du mouvement #Kayna. Nous devons profiter de l’espace public pour parler de l’espace public !” Cette jeune femme va ainsi se l’approprier en organisant une marche de 15 kms suivie d’une séance de yoga et d’un échange d’expériences. Depuis avril 2017, elle a réalisé trois éditions (Safi, Moqrisset et Rabat) et a monté sa page Facebook avec comme photo d’ouverture, une phrase saisissante émanant d’une marcheuse : “Je ne vois pas la différence entre sortir au Souk et me balader. Pourtant, je n’ai pas le droit de sortir me balader, par contre je dois faire le Souk”. Tout est dit. Loubna Bensalah veut désormais aller plus loin dans son mouvement. Lors de sa prochaine édition prévue d’ici la fin de l’année à Essaouira, elle prévoit de décliner Kayna en trois volets : “Kayna marche, Kayna kids où une partie de notre équipe va sensibiliser des élèves d’écoles à travers des ateliers, et Kayna civil society où on va travailler avec une association locale afin de préparer l’après, à savoir intégrer la marche dans un programme mensuel.”
L’engagement 2.0 des hommes
“Dans mon équipe, la majorité des membres âgés entre 20 et 30 ans, sont des hommes”, signale Loubna Bensalah. Dans le formulaire requis pour intégrer le mouvement, ils m’ont confié qu’ils souffraient, eux aussi, de cette violence infligée aux femmes car ils ont honte de l’attitude adoptée par certains marocains dans l’espace public”. Pire encore, “lorsqu’ils s’approchent d’une femme dans la rue pour demander soit l’heure soit son chemin, la première réaction de sa part est la méfiance. Ils ont ainsi l’impression d’être des prédateurs, et ne veulent plus de cette image, même s’ils comprennent tout à fait la réaction de ces femmes.” Ainsi, la jeunesse a pris les armes 2.0 afin de lutter, sur les réseaux sociaux et sur le terrain, contre les violences faites aux femmes. À l’entendre, elle ne lâchera pas jusqu’à bousculer le monde patriarcal au profit d’un féminisme des temps modernes.