Dans votre rapport, vous précisez que l’étude concernant le Maroc s’est concentrée uniquement sur sept provinces limitrophes de Rabat. Pourquoi ce choix ?
Effectivement, l’échantillon choisi est réparti sur 80 communes urbaines et rurales appartenant à sept provinces et préfectures de la nouvelle grande région de Rabat-Salé-Kénitra. Ce choix a été dicté par des considérations liées notamment aux moyens alloués à l’enquête et aux contraintes du terrain. La base de sondage retenue a été élaborée par le Haut commissariat au plan (HCP). Elle est issue du dernier recensement de la population et de l’habitat de 2014. Mais, même si ce choix a été considéré comme optimal compte tenu du cadre et des contraintes de cette étude, il faudrait interpréter les résultats avec prudence, car ils ne sont représentatifs que de la région enquêtée et ne sont pas nécessairement valables pour l’ensemble du Maroc.
Quels sont les grands enseignements de cette étude ?
Cette enquête a permis de confirmer des informations déjà révélées par d’autres études sur la répartition traditionnelle des rôles entre hommes et femmes dans la société, qui se traduit par la faible implication des hommes marocains dans les travaux domestiques (constatée également par l’Enquête nationale du HCP sur l’emploi du temps des hommes et des femmes en 2011), et donc leur conviction que le rôle principal d’une femme est de s’occuper de la maison et de cuisiner pour la famille (71,5% des hommes et 48,7 % des femmes) ou encore la prévalence de la violence à l’égard des femmes et le harcèlement sexuel dans les espaces publics.
Les chiffres sur les violences faites aux femmes, sur la vision de l’homosexualité ou encore sur le divorce, interpellent. D’après vous, les mentalités sur ces sujets ont-elles tout de même évolué ?
Il s’agit de la première enquête de ce type qui récolte des informations aussi détaillées sur les comportements des Marocains en matière d’égalité entre les genres. Nous ne disposons pas encore d’étude comparative et nous ne pouvons donc pas confirmer d’évolution ou de régression des mentalités sur ces sujets. Mais nous sommes convaincus qu’il faut davantage sensibiliser pour faire évoluer les comportements dans ce domaine. La stratégie d’ONU Femmes consiste d’abord à collecter et à diffuser des données sur ces problématiques, à travers des enquêtes et des études, avant de repérer et d’analyser les causes des problèmes et les obstacles. Nous nous basons ensuite sur ces constats pour accompagner nos partenaires que sont la société civile et les institutions gouvernementales, dans le développement et la mise en œuvre de programmes. À titre d’exemple, une délégation marocaine s’est déplacée au Mexique le mois dernier afin d’examiner les projets menés en matière de lutte contre les violences dans les espaces publics, et partager également l’expérience marocaine dans le cadre du projet “Safe cities” (Rabat-Marrakech) dans ce domaine.
Quel est le chiffre ou le sujet le plus alarmant lorsqu’on lit cette enquête ?
Les résultats d’IMAGES révèlent que, si les jeunes femmes marocaines ont une vision plus progressiste vis-à-vis de l’égalité que l’ancienne génération, les hommes jeunes n’ont pas nécessairement de vision plus égalitaire que les hommes plus âgés. Ceci est d’ailleurs commun au Maroc, à la Palestine et à l’Égypte. C’est à mon sens un constat qui doit nous interpeller et nous pousser à nous investir davantage dans l’éducation des générations futures et à œuvrer pour une culture de l’égalité et des droits humains en général. Pour moi, une autre information préoccupante ressort de cette enquête : celle de la violence à l’égard des femmes. Vous avez plus de 60% des hommes et près de la moitié des femmes qui pensent qu’une épouse devrait tolérer la violence pour préserver l’unité familiale…
Y-a-t-il des points positifs dans cette étude ?
Évidemment, cette étude a aussi révélé des constats positifs qui mériteraient d’être soulignés, comme le fait que plus des trois-quarts des hommes sondés soutiennent l’égalité filles-garçons dans l’éducation ou que plus de la moitié d’entre eux sont pour l’accès au travail des femmes mariées. Je voudrais mettre en valeur deux autres chiffres : 80% des hommes et des femmes de la région de Rabat-Salé-Kénitra sont favorables à la mise en place d’un congé paternité et 67 % des hommes souhaitent qu’une femme accède à un poste de direction.
Que doit-on mettre en place pour changer la donne au Maroc ?
L’étude IMAGES a identifié plusieurs pistes d’actions, valables aussi bien pour le Maroc que pour les autres pays ciblés. Il est proposé dans ce rapport d’utiliser des sources d’influence comme les médias, la littérature et l’art, mais aussi de s’appuyer sur les autorités religieuses afin de changer les normes sociales en faveur d’attitudes plus progressistes. Il faut également agir en amont en réformant les programmes scolaires et en formant les enseignants et les parents à la prévention de la violence ainsi qu’à la promotion de l’égalité entre les sexes. Il est également important d’encourager les jeunes à réfléchir de manière critique aux normes “genre” par le biais de campagnes et de projets. Et enfin, il est nécessaire de promouvoir à la fois la participation des hommes à la prise en charge familiale et le partage des tâches domestiques ainsi qu’une pleine participation des femmes au marché du travail. Pour cela, il faut mettre en place des politiques publiques transversales et renforcer les capacités des femmes en matière de leadership et d’autonomisation économique.
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Les 10 chiffres clé de l’étude IMAGES
1. Une femme mérite d’être battue à certains moments pour 38 % des hommes et 20% des femmes.
2. Une femme devrait “tolérer” la violence pour préserver l’union de la
famille pour 62% des hommes. (46% des femmes).
3. 60% des hommes pensent qu’une femme violée devrait épouser
son violeur (48 % des femmes).
4. Un mari qui force son épouse à avoir des rapports sexuels ne doit pas
être poursuivi pour 66 % des hommes et 46 % des femmes.
5. Une femme qui s’habille de
manière provocante mérite d’être harcelée pour 72% des hommes
et 78 % des femmes.
6. 80% des Marocains considèrent que ni le mari ni l’épouse ne doit avoir
d’ami du sexe opposé.
7. La moitié des hommes pensent qu’une femme célibataire peut vivre
seule. 80% des femmes considèrent qu’un homme peut vivre seul.
8. 42 % des hommes pensent que les femmes sont trop émotives pour être
leader contre 32% des femmes.
9. 52 % des hommes pensent que les femmes ont le droit de demander le
divorce contre 90% des femmes.
10. 5% des hommes et 33 % des femmes questionnés seraient en faveur de
l’égalité dans l’héritage.
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