Dès que Lamia Bazir fait son entrée, elle captive. Son élégance, son sourire communicatif et l’aisance avec laquelle elle arrive à parler d’une multitude de sujets ne peuvent qu’interpeller. Un don qu’elle a développé depuis toute petite. “A l’école, j’arrivais déjà à persuader mes collègues de me suivre”, se remémore-t-elle. Lamia est un leader. Mais, un leader qui “n’oublie jamais d’où elle vient”, tient-elle à préciser. C’est dans la ville portuaire d’El Jadida qu’elle a vu le jour avec ses deux sœurs et son frère. Elle est l’aînée de la fratrie. Lamia s’est construite dans une famille aimante et surtout ouverte. “Quand je venais voir mon grand-père, j’allais jouer dans la rue avec les enfants du quartier populaire qui était juste à côté”, se souvient-elle. Sa mère et son père chirurgien, l’ont toujours épaulée et poussée à réaliser ses rêves. Et à l’adolescence, le rêve de Lamia était de devenir présentatrice de télé. “Chaque fois que je rentrais à la maison, je regardais Al-Jazeera. Je voyais à l’écran des journalistes, si belles et si intelligentes”, se rappelle-t-elle, avant de rajouter que “c’est grâce à cette chaîne que j’ai été très vite sensibilisée aux questions géopolitiques”. Une petite flamme s’allume alors dans son regard et ne s’éteindra plus.
Une étudiante hors du commun
En 2008, son baccalauréat de Sciences Economiques et Sociales en poche, elle arrive à intégrer la prestigieuse université Al Akhawayn à Ifrane et suit des études en sciences politiques focalisées sur l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. “J’avais de très bonnes notes sans faire beaucoup d’efforts, avoue-t-elle. Je n’étais pas la fille modèle qui allait s’enfermer dans une bibliothèque. J’étais, et je le suis toujours, dans l’action.” Impossible pour Lamia de se cloisonner pendant des heures et des jours car, pour elle, cela est synonyme de routine. Elle déteste cela, c’est même sa phobie. Alors dès qu’elle le peut, elle se faufile dans d’autres cours, discute avec ses collègues ou professeurs, regarde des documentaires ou part dans des conférences. En 2009, Lamia surfe sur le net et voit une conférence sur l’éducation dans le monde, organisée à Dubaï. Le thème l’emballe. “Je me voyais déjà à cette conférence, confie-t-elle, je me suis inscrite et j’ai envoyé plusieurs documents avant d’être sélectionnée pour y participer en tant qu’intervenante”. Elle n’avait que 19 ans à l’époque… Depuis, chaque année, elle s’envole à un colloque comme en 2010 à Londres et en 2011 à Singapour. En 2012, elle obtient haut la main son Bachelor en Etudes internationales. Major, elle est, quasi-naturellement, désignée comme la porte-parole de sa promotion. À la remise des diplômes, c’est donc elle qui prend le micro pour prononcer le discours devant 1 400 personnes, notamment des personnalités comme Miriem Bensalah-Chaqroun, la présidente de la CGEM ou encore André Azoulay, conseiller du roi Mohammed VI. Un discours qu’elle a bûché pendant trois jours. Un discours dans lequel elle a livré ce qu’elle avait au plus profond d’elle. Un discours mémorable qui a reçu une standing ovation. “Dans ce texte, je disais que nous sommes tous des héros potentiels, et qu’il fallait partir à la découverte des talents qui n’ont pas accès aux moyens matériels pour réussir alors qu’ils sont une richesse pour notre pays”, résume-t-elle. Car ce que Lamia ne supporte pas, c’est l’injustice. Elle va se battre corps et âme pour y remédier.
De Paris à New-York avec toujours en tête le Maroc
Lamia a soif de connaissances. Ainsi elle va entrecouper ses études à Ifrane d’une année à Paris où elle démarre un Master en développement international à Sciences Po, avant de revenir au Maroc finir son Bachelor. Dans l’Hexagone, elle réussit à décrocher un stage à l’ambassade de la Ligue arabe en 2011, en plein déclenchement des Printemps arabes. “Je m’occupais à la fois des communiqués de presse et des analyses, décrit-elle. Et, durant cette période, j’étais frustrée de ne pas être sur le terrain.” Lamia comprend très vite que son dessein se fera sur les terres marocaines, mais avant, elle doit engranger le maximum d’expériences. Après l’obtention de son diplôme à Ifrane, elle repart à Paris finir ses études pendant un an, et s’envole ensuite à New-York, pour faire un Master en Affaires internationales à la fameuse université de Columbia où Barack Obama avai fait ses armes. “Deux semaines après mon arrivée là-bas, un professeur a envoyé un mail aux étudiants pour venir assister, s’ils le souhaitaient, à une session ouverte des Nations unies animée par la représentante de l’ONU femme qui travaillait sur les Objectifs du Millénaires pour le Développement (OMD)”, explique-t-elle. Lamia y va. Et, en pleine séance, elle ne peut s’empêcher de lever la main. “Je me sentais concernée, moi en tant que femme d’un pays africain, se justifie-t-elle. Je leur ai expliqué que pour aider les femmes, il ne fallait pas des projets montés par les femmes pour les femmes, mais des projet pensés par les femmes pour la communauté afin qu’on se rende enfin compte qu’en les finançant, tout le monde allait être gagnant.” Son intervention ne passe pas inaperçue. À 24 ans seulement, elle est contactée par l’ONG Third Word Network pour être sa représentante pendant un an au sein du Conseil économique et social des Nations Unies.
Femmes rurales : d’une histoire d’amitié à un projet grandiose
Depuis son passage à l’université Al Akhawayn à Ifrane, Lamia porte un bébé : un projet avec les femmes rurales qui est né d’une rencontre. “Un professeur avait demandé si certains étudiants étaient intéressés pour partir avec lui dans l’Atlas afin de définir les problématiques qui touchent ces populations”, développe-t-elle. Lamia se retrouve alors face à huit femmes qui déballent tout. “En parlant avec elles, deux choses m’ont sauté aux yeux. La première, la facilité avec laquelle elles parlent sans langue de bois. Et la seconde, leur richesse ! Leur ambition, leur créativité, leur détermination, leur patience ou encore la solidarité entre elles, sont magnifiques”. Et lâche : “Je ne pouvais pas partir et oublier ce qui c’était passé cet après-midi-là.” Une amitié se lie alors. Le petit groupe reste en contact. En 2013, elle crée avec ces huit femmes la Fondation de la femme et de la fille rurale (initialement appelée association des Femmes pour le développement rural). Ensemble, elles mettent sur pied des initiatives. La plus connue : le programme “Empowering Women in Atlas” qui a donné à 100 femmes issues de villages du Moyen Atlas “les moyens d’avoir accès, comme les femmes urbaines, à l’entrepreneuriat”, appuie-t-elle. Grâce à ce projet réalisé en partenariat avec l’Initiative de partenariat USA-Moyen-Orient (MEPI), la province d’Ifrane, l’INDH ou encore l’Euromonitor Dubaï-Londres, elles ont pu suivre, pendant un an (2016-2017), des cours à l’université Al Akhawayn, sur l’entrepreneuriat (gestion de budget, investissement, marketing, etc.) ou encore sur la protection de l’environnement car “ces femmes travaillent essentiellement avec les ressources naturelles”. Un programme ambitieux alors que 80% d’entre elles sont analphabètes. Pour Lamia, ce n’est pas un problème. Il faut juste s’adapter. “L’éducation, ce ne sont pas que des chiffres et des lettres, c’est avant tout une capacité. Je veux dire par là que ce n’est pas parce qu’elles ne savent ni lire, ni écrire, qu’elles n’arriveront pas, par exemple, à gérer un budget, assure-t-elle. Ce sont des réflexes à avoir dans la pratique. Pour ce qui concerne par exemple des cahiers de comptabilité, nous avons des secrétaires pour gérer ça.” En clair, tous les membres de la fondation sont complémentaires pour aller ensemble de l’avant. Après le succès de cette initiative, Lamia et son équipe veulent désormais la dupliquer dans le Haut Atlas et dans le Rif.
Lamia, une super-woman qui se bat aussi pour la jeunesse
Les 100 femmes qui ont participé au “Empowering Women in Atlas” sont désormais des exemples pour les fillettes de l’Atlas. Ainsi, Lamia se bat pour la scolarisation de cette jeunesse qui regorge de futurs talents.
Deux autres projets ont vu le jour. Le premier a permis à 10 adolescents du village d’Adghagh de s’envoler en Norvège pour qu’“ils voient fonctionner le système scolaire et qu’ils ne lâchent pas leur rêve.” Et le second est “une journée de redécouverte de l’école”, comme elle la qualifie. Au menu : ateliers ludiques autour de l’environnement, l’énergie solaire ou encore l’astronomie. Un programme alléchant pour 200 enfants aux yeux écarquillés et aux cris de joie résonnant dans tout l’établissement de ce même patelin au cœur des montagnes.
Pour son travail acharné au sein de sa fondation, Lamia a reçu le “prix Harvey Picker du service public” de l’université Columbia, pour “son engagement inconditionné à vouloir améliorer la vie des femmes de l’Atlas”, et surtout, un prix émanant directement des Nations Unies et du groupe MBC pour son travail de volontariat.
Ses nouvelles aspirations
Lamia vient juste de finir son travail au sein de la Primature où elle travaillait sur le déploiement du Compact II de Millénium Challenge Corporation qui avait, entre autres, pour objectif le développement de l’éducation. Même si elle en garde un bon souvenir, elle a désormais d’autres ambitions. “Pourquoi pas la télé ?, lâche-t-elle. Si une chaîne me faisait confiance, je souhaiterais présenter une émission qui mettrait en valeur les initiatives positives déployées dans tout le Maroc pour montrer à cette jeunesse que c’est possible !” Mais pour l’heure, cette jeune femme à l’esprit si agile et si pertinent aimerait se lancer en politique. “Je vous avoue que j’ai été déçue de cette bataille qui a été souvent synonyme de coups bas durant les élections législatives, mais aussi de ces six mois de blocage pour former un gouvernement qui ont paralysé littéralement le pays et donc les projets de ces femmes, de ces hommes et de cette jeunesse”, dit-elle sans mâcher ses mots. “Je ne sais pas encore où j’irai, mais je souhaite intégrer un mouvement ou un parti qui n’oublie jamais le citoyen.” Autre point crucial pour cette jeune femme qui a été sélectionnée, en 2016 par le magazine Challenge, parmi les “60 Femmes les plus influentes du Maroc” : “Je veux également garder ma liberté”. En clair, sa liberté de ton et d’action qui, jusqu’à aujourd’hui, a généré de multiples réussites.