Vous participez actuellement à la deuxième édition de la Biennale des photographes du monde arabe contemporain. Que cela représente-t-il pour vous ?
Je suis très contente d’avoir été contactée par Olfa Feki (commissaire de l’exposition), et de faire ainsi partie d’une aussi belle sélection de photographes contemporains, alors même que mon travail est peu visible ! C’est un événement intéressant qui croise les regards de différentes régions et pratiques, montrant par conséquent la richesse et la diversité des recherches et des productions.
Vous exposez “Bordeless”. Pouvez-vous nous présenter ce travail ?
C’est l’une des séries réalisées en collaboration avec le designer Artsi. Depuis 2011, nous développons ensemble des projets qui questionnent l’identité, l’origine, le multiculturalisme à travers le vêtement, le textile et l’image. Pour “Borderless”, nous nous sommes interrogés sur la circulation du vêtement, c’est-à-dire sur le voyage parfois très long qu’il parcourt et sur sa signification dans l’industrie et dans la création.
Y dénoncez-vous les diktats de la mode ?
Non, ce n’est pas ma démarche. Je constate, je détourne et je questionne l’apparence et ce qu’elle transmet comme émotion. L’une des photos figure un masque qui fait référence à des images de magazines de mode, mais sans l’intention. Ce que nous racontons avant tout avec Artsi, c’est que le vêtement est un élément identitaire très fort. C’est d’abord un textile avec une histoire. D’ailleurs, en tant que styliste, Artsi déconstruit des pièces anciennes pour fabriquer une nouvelle histoire. Dans un monde sensé, chaque personne devrait avoir son propre style qui véhiculerait son histoire, son état d’esprit ou son humeur. Aujourd’hui, on porte tous le même t-shirt. C’est un peu triste, mais on le fait avec beaucoup d’entrain. Inverser cette tendance est simplement impossible, vu les moyens mis en œuvre par les marques sur le plan marketing pour nous normaliser. Mais c’est déjà bien de le savoir.
Comment se passe la collaboration avec Artsi ?
Ce travail s’est créé entre nous au fil des années. Nous avons produit beaucoup d’images ensemble. Aujourd’hui, nous continuons, mais a un rythme moins intense, parce qu’à côté, je développe mes projets personnels qui me prennent aussi du temps. Travailler avec Artsi est assez prenant. Ce sont à chaque fois de longues discussions. C’est une personne extrêmement créative, qui a mille idées à la minute. Et pour ma part, j’ai besoin de creuser, de laisser murir et surtout de temps et d’espace.
Vous avez fondé “Le 18” à Marrakech en 2013, un espace de réflexion et de rencontre autour des pratiques artistiques contemporaines. Ce genre de structure manquait-elle dans le paysage marocain ?
“Le 18” est devenu un endroit incontournable sur la scène marrakchie et qui a su s’imposer au niveau national. Nous sommes très contents de constater qu’il a un potentiel inépuisable sur le plan de la création comme de la collaboration ou des différents formats que nous pouvons proposer. Avant que n’existe “Le 18”, les gens se portaient très bien. Aujourd’hui, notre public ne peut pas imaginer Marrakech sans lui ! C’est justement la force de la culture. Quand on commence à la consommer, on ne peut plus s’en passer.
Quelles sont les difficultés rencontrées par les photographes au Maroc ?
La seule grande difficulté est de ne pouvoir en vivre. Souvent dans “difficultés”, on entend aussi “autocensure”. Selon moi, cette problématique est propre à chacun. Avec le temps, je me suis rendu compte que chaque photographe a sa propre limite qu’il cherche à repousser et qui rend sa pratique plus ou moins délicate. C’est dans cette négociation entre soi-même, le sujet et le public que la démarche devient intéressante. On se heurte à des refus et c’est normal. On peut se perdre dans des sujets bateau ou des photos faciles mais ce faisant, on touche parfois des choses essentielles et c’est à ce moment-là qu’on commence à creuser. Il y a autant de manière de photographier que de photographes.