Le Tarz ntaâ marocain, le Kenté ghanéen, le Faso dan fani burkinabé, ou encore le Ndop bamiléké camerounais… Les broderies sophistiquées et les étoffes travaillées ne manquent pas en Afrique. Elles sont multiples. Leur particularité ? Une beauté singulière qui a subjugué de nombreux créateurs comme John Galliano qui a réalisé pour Dior la collection Masai, inspiré de ces femmes du Kenya qui portent de larges et impressionnants colliers. C’est le cas aussi du styliste de renom Yves Saint Laurent qui a apporté des touches marocaines dans ses collections, “avec le manteau de type djellaba, les motifs traditionnels, le chapeau de style chéchia, les petites vestes brodées, les pantalons façon sarouel ou encore les robes ornées de bougainvilliers, fleurs qu’il aimait observer dans ses jardins de Marrakech”, comme l’avait fait remarquer Florence Müller, historienne de la mode et professeure associée à l’Institut français de la mode à Jeune Afrique.
Mais si la mode ne cesse de se réinventer, les savoir-faire traditionnels perdurent et gardent à jamais leur charme éternel. Et en Afrique, ils fascinent. Ce qui plaît, ce sont les détails étudiés et brodés avec finesse et précision, sans oublier les teintes vives qui symbolisent la culture africaine.
Une maîtrise parfaite qui fait partie intégrante de l’identité culturelle, voire spirituelle de peuples éparpillés sur tout le continent. “Il est non seulement important mais urgent de préserver les savoir-faire liés aux tissages et à la broderie comme tous ceux traditionnels transmis de génération en génération, souligne le Pr Ahmed Skounti de l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine de Rabat qui est également président de l’Organe d’évaluation du Comité de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO en 2015 et 2017. Ils sont porteurs de compétences et de savoirs élaborés par des générations d’artisans, de groupes et de communautés sur des centaines, voire des milliers d’années. Il serait regrettable de les voir disparaître car cela appauvrirait davantage notre humanité plus qu’elle ne l’est déjà.”
Un art, une histoire, une richesse naturelle
En Afrique, ce qui interpelle, c’est le processus de production élaboré de A à Z par les artisans, notamment ces femmes ingénieuses qui se sont servies de la terre et de la nature environnante pour concevoir et créer.
Ainsi naissent des textiles singuliers comme le Bogolan, signifiant littéralement “fait avec la terre”, un tissu teint selon une technique bien particulière. En effet, la toile en fibre de coton baigne dans un mélange de terre travaillée, mélangée, enrichie de décoctions de plantes. Une préparation naturelle concoctée par les femmes des villages qui, d’un geste souple et lent, dessinent ensuite à l’argile un graphisme où les lignes, verticales et horizontales, s’entrecroisent. Le plus courant est sans aucun doute le crocodile, symbole de cohésion et de paix dans le village. La connaissance de ces signes est donc essentielle pour les anciennes du village qui transmettent oralement ce savoir-faire ancestral.
L’importance de la nature est également au cœur de nombreuses cultures comme celle amazighe. “La majorité des symboles berbères a un lien direct avec le système solaire, notamment la terre et les éléments de la nature qui la composent”, note Loubna Triki dans sa thèse “L’artisanat berbère : permanence des matériaux, symbolisme des formes. Étude historique et anthropologique, de l’Antiquité à nos jours.” Il existe des milliers de motifs qu’on retrouve dans de nombreux bijoux et autres tissages, représentés, là-aussi, par des traits, losanges, zigzags, triangles ou autres formes géométriques.
L’habit traditionnel : le reflet d’une vie
Dans certaines cultures africaines, la tenue vestimentaire et les bijoux tribaux indiquent une situation familiale. Par exemple, les femmes Ndébélé d’Afrique du Sud connues pour leurs habits très colorés aux motifs géométriques mettent, dès qu’elles se marient, de nombreux colliers en laiton appelés Idzila. Un bijou imposant qui symbolise leur attachement à leur époux et qu’elles n’ôteront qu’après le décès de ce dernier. Plus au nord, certains habits traditionnels ne sont, au contraire, portés que lors de célébrations exceptionnelles. Pour preuve, le caftan est enrichi de passementerie aux fils d’or et d’argent à l’occasion de grandes fêtes. Les robes vêtues par les mariées sont tout autant splendides comme la Keswa Kebira, la grande robe des femmes juives marocaines qui est un ensemble de velours, de soie et d’or, se composant généralement de trois pièces, à savoir une jupe (Zeltita), un plastron (Ktef) et un corselet (Gombaz). Des tenues somptueuses conçues par de “petites mains”. Mais qu’apprend-on à travers ces savoir-faire ? “On en connait davantage sur les cultures africaines, leur histoire, leur diversité, et les matières premières utilisées, répond le Pr Ahmed Skounti. On peut ainsi savoir si elles sont menacées par une exploitation excessive et donc prendre les mesures appropriées pour en assurer la durabilité… On peut aussi avoir une idée sur les registres esthétiques que les artisans/artistes empruntent lorsqu’ils fabriquent des costumes ou brodent des tissus. Et on peut, enfin, procéder à des études comparatives entre les différentes régions du continent pour appréhender les ressemblances et les dissemblances, situer les influences et circonscrire les spécificités.” Car cette richesse est illimitée.