D’où vous est venue l’idée de l’initiative #Ila_dsser_seffri ? ?
Nous nous sommes imprégnés d’expériences qui ont eu lieu dans d’autres pays comme au Mexique où plus de 15 000 sifflets ont été distribués par la mairie de la capitale pour permettre aux femmes de dénoncer les agresseurs, notamment dans les métros durant les heures de pointe. En Inde, plus de 60 bus ont été équipés de sifflets installés sur les sièges pour permettre aux femmes de siffler et d’avertir les autorités en cas d’abus et de harcèlement. La différence entre ces pays-là et le Maroc, c’est que dans le cas du Mexique, l’initiative a été mise en œuvre par la mairie, en Inde, par la police, tandis qu’au Maroc, elle sera directement menée par des citoyens et citoyennes marocain.e.s.
Avec cette nouvelle action, avez-vous décidé de changer de stratégie pour faire bouger les lignes ?
Il est vrai que Masaktach est un mouvement qui repose en majeure partie sur l’implication des réseaux sociaux pour le lancement de ses actions et la création de débats publics. Cela dit, la finalité en soi de toutes ces actions vise l’adoption de nouvelles pratiques de dénonciation des violences envers les femmes dans la vie de tous les jours, et cela a lieu dans les foyers, au travail, dans les lieux publics, et pas seulement sur les réseaux sociaux. L’action #ila_dsser_seffri suit donc la même logique, étant la mobilisation à travers les réseaux sociaux pour un changement de pratiques dans la rue, notamment la dénonciation du harcèlement sexuel avec des coups de sifflets.
Concrètement, que cherchez-vous à travers l’action #Ila_dsser_seffri ?
Cette action vise tout d’abord l’appropriation de la rue par les femmes à travers l’adoption d’une nouvelle attitude. En tant que femmes au Maroc, nous avons l’habitude de marcher la tête basse, d’essayer d’émettre le minimum de bruit possible pour ne pas attirer l’attention. Si nous sommes harcelées dans la rue, chose qui arrive dans la majeure partie des cas, nous nous recroquevillons encore plus sur nous-mêmes, et plus les propos sont sales, plus un sentiment de honte nous envahit. Aussi, en nous faisant aussi discrètes, nous pouvons remarquer qu’il y a un manque de sensibilisation très prononcé sur l’ampleur du phénomène. A travers l’action #ila_dsser_seffri, en tant que femmes, nous ferons du bruit en étant harcelées pour sensibiliser sur la fréquence de ces pratiques dans les lieux publics, nous rappellerons l’existence de la loi punissant le harcèlement sexuel, et nous dénoncerons haut et fort les actes nauséabonds de nos harceleurs, en rappelant que la rue nous appartient aussi.
Pensez-vous réellement qu’une femme qui siffle, effrayera ses agresseurs ou sera secourue, alors que la plupart du temps, personne ne bouge pas quand elle demande de l’aide en criant ?
Les cris des femmes dans la rue ne sont plus entendus. Ils commencent à faire partie de la mélodie habituelle de la rue à laquelle les oreilles sont déjà habituées. Ces cris sont inconsciemment associés à des idées préconçues qui responsabilisent les femmes sur leur abus : « c’est vrai qu’elle porte des habits moulants », « elle est sortie très tard toute seule », « c’est sûrement son mari ». Le son des sifflets est nouveau. Il réveillera de nouvelles sensations, de nouveaux questionnements, et, espérons, de nouvelles réactions. C’est un signal d’alarme auquel personne ne sera indifférent. Il dérangera les oreilles des gens autant que le harcèlement dérange les femmes.
Mais n’avez-vous pas peur d’effrayer tous les hommes ?
En principe, cette action veut que les hommes qui ne dérangent pas les femmes dans la rue n’aient pas à être effrayés. Les femmes qui utiliseront le sifflet le feront pour se libérer d’un poids qu’elles ont traîné depuis trop longtemps, et les hommes qui comprennent cela ne pourront qu’encourager cette action. L’idée que le transfert du pouvoir vers les femmes mènera nécessairement à un abus de la part des femmes n’est pas seulement fallacieuse, mais elle est aussi dangereuse. Cela est, en effet, une preuve que le patriarcat demeure dominant dans l’inconscient social parce qu’on essaie toujours de faire culpabiliser les femmes d’oser prendre la parole, d’oser dénoncer les agresseurs, d’oser se défendre, en mettant en avant les impacts non-voulus que cela pourrait avoir sur les hommes. Depuis des siècles, les hommes ont eu le pouvoir absolu dans la rue,et personne ne se demandait ce qu’étaient les impacts sur les femmes. Il est temps que la culpabilité change de camp.