Pourquoi avez-vous voulu faire de la web-série “Bissara Overdose” un film ?
J’ai réalisé plusieurs webséries qui ont été, à chaque fois, des portraits sociologiques sur le Maroc. Le personnage féminin de “Bissara Overdose” a notamment fait le buzz parce que c’est une femme forte, sincère et surtout énervée par la réalité sociétale qui défile sous ses yeux. Lorsqu’il y a deux ans, j’ai écrit son scénario, je me suis vite rendu compte que j’avais là beaucoup de matières. Ce personnage m’a littéralement échappé, au point qu’il était devenu évident d’en faire un film. Pour vous dire, jusqu’à ce que je tourne, je n’arrivais pas à fermer l’œil.
Comment évolue le personnage principal dans le film ?
“Bissara Overdose” a un double discours, à savoir “ce qu’on dit n’est pas ce qu’on est”. Il faut toujours lire entre les lignes. Ce personnage est au cœur d’un certain nombre de dilemmes qui sont à la fois moraux, traditionnels et sociétaux. C’est un personnage qui est, tout en étant sûr de lui, écrasé par le poids de la famille. Il est tout bonnement passionnant et en perpétuel mouvement. Pour être plus précis, je raconte dans le film une journée à Casablanca qui s’apparente à un cauchemar pour la jeune femme incarnée par la comédienne Fadwa Taleb. Elle se fait, entre autres, renvoyer après être arrivée en retard à son travail à l’institut de beauté et elle se fait, par ricochet, chasser de la maison par sa propre mère puisqu’elle ne ramène plus d’argent. Au lieu de traiter le sujet de manière dramatique, j’ai choisi de réaliser un film “doux amer” en complet décalage, comme j’aime le qualifier. “Bissara Overdose” est une réflexion sociologique pertinente.
“Bissara Overdose” est votre 7ème long-métrage, et, étonnant, le premier avec une femme comme personnage central…
C’est vrai. Néanmoins, il y a toujours eu des personnages féminins forts dans mes longs-métrages. Je crois que c’était juste une question de légitimité pour moi. Lorsqu’on est un homme réalisateur, ce n’est pas simple d’écrire un personnage féminin. Au contraire. Je me méfie beaucoup de mes automatismes d’homme. C’est pour cela qu’en général, j’écris d’emblée des personnages masculins qui sont ensuite “édulcorés” par des rôles de femmes. Toutefois, j’ai monté plusieurs projets créatifs autour des femmes comme des courts-métrages tels que “Caca-Mind”. Mais je crois que ce travail m’a aidé à renforcer le personnage de “Bissara Overdose”.
“Bissara Overdose” est-il donc un film féministe ?
Je n’aime pas ce terme car de nos jours, on l’utilise à tout-va, effilochant sa force, son sens, son idéologie. Il n’a plus la même connotation qu’à l’époque de Fatéma Mernissi. Pour moi, “Bissara Overdose” est tout simplement un projet centré sur la femme jouée par une comédienne épatante qui a su faire vivre son personnage.
Mais votre intention est bel et bien d’éveiller les consciences, n’est-ce pas ?
Cette affirmation me dérange parce que cela signifierait que je me range dans la case de l’activisme, alors que ce n’est pas le cas. Je ne souhaite pas m’enfermer. Je réalise des films qui me semblent les plus justes possible, qui touchent et fassent réfléchir les spectateurs, et ce, dans une logique d’élévation sociale. Aujourd’hui, l’activisme est à mon sens un peu trop frontal. Je n’aime pas l’idée de devoir couper la population en deux et d’être obligé de choisir un côté. Je considère plutôt mon travail comme humaniste. C’est une valeur qui, malheureusement, se perd alors qu’elle est si importante pour avancer ensemble.