Depuis plus d’un an, “Volubilis” est présenté dans des festivals et a décroché une multitude de prix. Comment expliquez-vous ce succès ?
Pour moi, le succès a toujours été inexplicable, à l’inverse de l’échec qui est, quant à lui, davantage constructif puisqu’il pousse au questionnement. Mes films ont eu de nombreux succès, mais je ne me suis heureusement jamais laissé emporter par les sirènes de la reconnaissance.
Êtes-vous un réalisateur qui doute souvent de lui ?
Je carbure au doute. Rien n’est acquis. Depuis toujours, mon travail est rempli de sincérité. Si l’émotion qui m’a poussé à faire le film touche le public, cela me réconforte. C’est ma récompense. En revanche, si cela n’arrive pas, je suis triste mais non pas dévasté parce que je ne triche jamais avec mes sentiments.
“Volubilis” est une belle histoire d’amour entre deux jeunes gens issus de la classe populaire, un amour qui va perdre peu à peu en intensité, absorbé par l’engrenage de la violence. Vivons-nous dans un système capitaliste qui détruit tout sur son passage ?
Effectivement, le capitalisme sauvage basé sur le profit détruit non seulement la planète -puisqu’il est incompatible avec l’approche écologique- mais creuse aussi davantage les inégalités sociales comme le montre mon film. Il détruit même l’intime allant jusqu’à déshumaniser. C’est réel. Rappelez-vous de cette vidéo récente postée sur le net dans laquelle on voit des touristes filmer un migrant en train de se noyer. Ils captent l’horreur au lieu de le secourir…
Leila Slimani dit justement de votre film qu’il raconte “surtout la disparition d’un monde ancien et l’émergence d’un nouveau où l’individu est broyé.” N’y aurait-il donc pas d’issue ?
Le signal est alarmant. De la même manière qu’il est urgent de sauver la planète, il est urgent de revoir le rapport des hommes à l’intérieur de ce système commercial et économique. Il faut tout simplement revenir à une idée de partage. Autrement, le vivre-ensemble ne sera plus possible. Je ne suis pas défaitiste. L’issue est là et l’humanité a toujours rebondi dans son histoire.
Vos héros subissent les contrecoups d’un environnement économique hostile…
Cette histoire d’amour qui se déroule à Meknès subit aussi un autre empêchement qui n’est pas de l’ordre économique, mais social. Ce couple marié n’a pas les moyens de subvenir à son besoin premier qui est d’avoir un chez soi. Et pour ne rien arranger, les traditions et le conservatisme font qu’aujourd’hui, plus qu’hier, se tenir la main dans la rue ou montrer des signes d’affection dans l’espace public est compliqué. Du coup, au Maroc, les pressions sont beaucoup plus importantes.
Dans ce long-métrage, la femme a une place cruciale…
Je suis convaincu que ce sont les femmes qui sauveront le monde notamment le monde arabe. Leur sensibilité, leur esprit et leur intelligence sont incroyables. Les femmes sont bien plus combatives que les hommes, car depuis toutes petites, elles se battent pour gagner chaque millimètre de leur liberté, de leur épanouissement ou encore de leurs droits. Dès qu’elles accèdent à un poste à responsabilité, elles sont extraordinaires ! Nous devons leur faire confiance. Les mentalités doivent évoluer par le biais de l’éducation et de la culture, mettant ainsi en lumière le rôle central de la femme.
L’héroïne de “Volubilis” est Nadia Kounda. Un rôle que vous vouliez absolument lui donner. Qu’avez-vous vu en elle ?
Nadia Kounda était une évidence. Lorsque je l’avais croisée dans un festival quatre ans plus tôt, j’avais pensé à elle. À ce moment-là, j’étais en train d’écrire ce film. Mais lorsque j’ai commencé les auditions, son nom m’avait échappé comme oublié. Au final, j’avais sélectionné deux comédiennes. Mais trois semaines avant le début du tournage, j’hésitais encore entre elles, et ce n’était pas normal. J’ai alors convoqué mon équipe pour faire une réunion en urgence et le nom Nadia Kounda a été évoqué. Son visage m’est revenu à l’esprit et elle a passé une audition. Dès son premier essai, elle a incarné le rôle à la perfection.
On dit de vous que vous êtes un réalisateur sensible. Avez-vous plus d’affinités avec les actrices qu’avec les comédiens sur le tournage ?
Pour moi, il est impensable de mal filmer une actrice. Ainsi, peut-être que je suis un peu plus proche d’elle. Il y a une telle beauté à saisir. Les réalisateurs tels que Jean-Luc Godard, François Truffaut ou encore Alfred Hitchcock l’ont bien compris et l’ont montré dans leurs films à travers leur regard capturant le visage de leur actrice. Le cinéma a cette capacité de révéler les âmes. Même si je suis en faveur du mouvement #Metoo, j’espère qu’il n’y aura pas de répercussions sur la relation réalisateur-comédienne. Car comme on dit, “on n’aime pas les choses parce qu’elles sont belles, elles sont belles parce qu’on les aime.” En effet, c’est à partir du moment qu’on aime filmer les actrices qu’elles sont magnifiques.
À qui dédiriez-vous “Volubilis” ?
À ma sœur mais je n’en dirai pas plus.
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Faouzi Bensaïdi et les femmes
Quelle femme a le plus compté pour vous ?
Les actrices. Pour moi, le cinéma est associé à une figure féminine. Si je mentionne le terme “cinéma”, c’est l’image d’une actrice qui me vient à chaque fois à l’esprit. D’ailleurs, j’ai toujours aimé dans la langue arabe le mot “cinéma” parce qu’il est féminin à l’inverse du français.
Que représentent les femmes dans vos films ?
La lumière.
Avez-vous une comédienne fétiche ?
Ma femme, Nezha Rahil.
Quelle artiste vous fascine depuis toujours ?
Camille Claudel en raison de son rapport avec l’art : elle s’y donne totalement jusqu’à s’y perdre.
Et quelle réalisatrice ?
Jane Campion.
Avec quelle comédienne étrangère aimeriez-vous tourner ?
Cate Blanchett. Je la trouve formidable et sublime notamment dans le film “Blue Jasmine” de Woody Allen.
Petit, quelle héroïne admiriez-vous ?
Souad Hosni ! Je crois que je suis même tombé amoureux d’elle en la regardant à la télé.
Quelle est la particularité des comédiennes marocaines ?
Leur courage.
Et la force des Marocaines ?
L’humour et l’ouverture.
Si vous aviez des filles, quel(s) conseil(s) leur donneriez-vous ?
Il est vrai que je n’ai que des garçons, mais si j’avais des filles, je leur dirai de faire à la fois ce qu’elles aiment et ce qui les enchante.