La dépression : une vraie maladie !
L’étude sur “la santé mentale et la toxicomanie”, menée par le Ministère de la Santé indique des résultats surprenants ; au Maroc, une personne sur quatre est touchée par la dépression. Souvent niée par l’entourage qui y voit là une marque de mollesse (voire de faiblesse de caractère) ou une simple réaction passagère à des contrariétés/malheurs, la dépression est pourtant une vraie maladie qu’il s’agit de traiter en déculpabilisant complètement les malades.
La survenue d’un trouble de l’humeur résulte d’interactions entre un terrain souvent fragile (facteurs psychiques liés à une structure de personnalité névrotique, tempérament, expériences traumatisantes ou encore facteurs d’ordre génétique) et des facteurs environnementaux (rythmes de vie, stress, divorce, deuil, maladie invalidante, problèmes d’alcool, de drogue, troubles sexuels…) qui initient le début de la pathologie. A noter aussi que la dépression peut constituer un symptôme d’une affection endocrinienne (hypothyroïdie…), neurologique (maladie de Parkinson, AVC…), inflammatoire (lupus érythémateux, fibromyalgie…) ou être associée à la prise de certains médicaments (anti-hypertenseurs, oestro-progestatifs, corticoïdes, interférons, neuroleptiques…).
A ce jour, le mécanisme biologique de la dépression n’est pas connu avec précision mais on parle d’une perturbation chimique au niveau du cerveau (diminution du taux d’une hormone : la sérotonine), entraînant un dérèglement biologique de l’humeur et des fonctions intellectuelles et physiques. Amélioration, aggravation, amélioration, l’épisode dépressif non traité se caractérise par une récurrence dans le temps qui finit par épuiser et “vider” le sujet. Tous les volets : affectif, cognitif, comportemental, somatique sont touchés et la gêne fonctionnelle qui en découle perturbe vies familiale, sociale, professionnelle… L’individu en dépression, de plus en plus isolé, renfermé sur lui-même, tourne en rond dans des pensées morbides et négatives et s’installe dans un cercle vicieux. A cet égard, le traitement et le suivi lors d’ une consultation spécialisée de psychiatrie s’imposent.
Pour frapper fort les esprits, il convient, en outre, de rappeler que 50% des suicides se produisent dans un contexte dépressif : dans les formes graves du type « dépressions mélancoliques », la dévalorisation de soi, l’absence de sens, la sensation d’avoir raté sa vie et d’être un poids pour ses proches et la société, peut aller jusqu’à faire commettre l’irréparable, seule solution trouvée pour échapper à une souffrance atteignant l’intolérable. De fait, l’appréciation du risque suicidaire (avec recherche des antécédents personnels et familiaux de tentatives de suicides) est un élément crucial, au moment où le diagnostic de dépression est posé. Toutes les raisons donc de ne pas jouer aux apprentis sorciers avec la santé mentale du malade ; en effet, certains généralistes s’aventurent à prescrire des anxiolytiques sans effet sur la dépression ou des traitements anti-dépresseurs inadaptés (pas à la bonne dose et/ou de durée inférieure à celle préconisée pour l’obtention de la guérison). Cette maladie complexe étant caractérisée par des risques de rechutes importants et/ou un passage à la chronicité, il est fondamental qu’elle soit correctement prise en charge !
Comment distinguer la petite déprime de la dépression ?
Tout le monde peut avoir, un jour, un coup de blues qui dure, manquer de punch ou avoir l’humeur assombrie ; convient-il, pour autant de parler de dépression, terme souvent galvaudé et employé à tort et à travers, dès la première baisse de régime ? En fait, une déprime passagère recèle tous les symptômes de la dépression, en version plus light et surtout moins durable. Alors, oui, on végète dans un état morose, ayant perdu tout entrain, en proie à une certaine tristesse, mais lorsque ces symptômes persistent durant des semaines ou des mois et que, de part leur intensité, ils handicapent la vie quotidienne, ils signent alors souvent l’entrée en dépression. Dans cette dernière configuration, le sujet souffre d’un syndrome d’inhibition psycho-motrice, incapable d’aller travailler, de se mouvoir pour faire des choses simples, semblant comme hébété et privé de volonté. Il a, du reste, perdu tout intérêt pour les activités antérieurement investies, avec une incapacité à éprouver du désir ou du plaisir. L’humeur dépressive se caractérise, d’autre part, soit par une labilité émotionnelle (contrôle des émotions perturbé : pleurs sans raison, tristesse, douleur morale), soit par une fixité pathologique (aréactivité aux événements heureux comme aux événements malheureux). Ce tableau clinique, s’accompagne, la plupart du temps, d’une activité instinctuelle également perturbée : troubles du sommeil et du comportement alimentaire ; sexualité tourmentée (baisse de la libido)…
Critères principaux d’un épisode dépressif majeur :
Les dépressions sont toutes caractérisées par un symptôme dépressif majeur, diagnostiqué par les critères du DSM IV, référentiel diagnostique et statistique élaboré par l’association américaine de psychiatrie.
La personne devra présenter, au moins, cinq symptômes sur neuf qui durent depuis plus de deux semaines.
1- Humeur dépressive présente, pratiquement toute la journée, presque tous les jours.
2- Diminution marquée de l’intérêt
ou du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités.
3- Perte ou gain de poids significatif avec augmentation ou diminution de l’appétit.
4- Insomnie ou hypersomnie.
5- Agitation ou ralentissement psychomoteur.
6- Fatigue ou perte d’énergie.
7- Sentiment de culpabilité ou de dévalorisation de soi.
8- Troubles de la concentration.
9- Pensées de mort récurrentes ou de suicide (assorties ou pas d’un plan précis d’exécution).
Les différentes formes de dépression et leur traitement :
Endogènes ou exogènes (réactionnelles, liées à l’environnement ou à des circonstances défavorables), on a longtemps classifié les différents syndromes dépressifs dans l’une ou l’autre de ces catégories, avant d’adopter les critères du DSM IV (voir paragraphe suivant) :
• La dépression mélancolique qui s’intègre souvent dans une psychose maniaco-dépressive unipolaire (dépression isolée) ou bipolaire (alternation d’états maniaques et d’épisodes dépressifs) est de type endogène, c'est-à-dire que le sujet s’installe dans la dépression sans facteur déclenchant. Des caractéristiques psychotiques peuvent être présentes telles que stupeur ou délire, avec risque suicidaire et de récidive.
• Les états dépressifs exogènes névrotiques ou réactionnels se greffent sur un terrain fragile balisé par une névrose quelconque (personnalité hystérique, obsessionnelle, phobique…) et sont précipités par une cause extérieure.
• Les états dépressifs atypiques : chez l’adulte, la dépression masquée peut se dissimuler derrière une série de symptômes somatiques (palpitations, céphalées, problèmes d’estomac…). Chez le sujet âgé qui se sent diminué, elle se matérialise sous la forme d’irritabilité, abord caractériel, plaintes somatiques. Quant à l’adolescent, il peut exprimer une symptomatologie atypique (troubles du comportement, fugue, problèmes scolaires).
• Les états dépressifs au cours de l’évolution d’une psychose chronique (ex : schizophrénie).
• Les états dépressifs dits secondaires : alcoolisme (facteur déclenchant ou, à l’inverse, comportement défensif et outil de désinhibition face à la dépression) ; prise médicamenteuse ; tumeur cérébrale…
• La dépression saisonnière débute principalement entre octobre et janvier et est due à une baisse de luminosité. Signes : asthénie, hypersomnie, hyperphagie avec appétence pour le sucré. Caractéristiques : périodicité fixe de récurrences et rémissions spontanées.
Le traitement de la dépression est, dans la plupart des cas, ambulatoire ; néanmoins, le recours à l’hospitalisation s’impose, lorsque le risque suicidaire est important, face à un tableau clinique sévère (mélancolie délirante, anxieuse, etc) ou quand il est nécessaire d’éloigner le patient de son milieu familial. Il repose sur l’administration d’une (ou plusieurs) classe(s) d’anti-dépresseurs couplée à des séances de psychothérapie. Une thérapie cognitivo-comportementale pourra alors être proposée au patient, visant à corriger les sentiments négatifs et les comportements inappropriés qui potentialisent sa détresse. Après la période aiguë de la maladie, une thérapie analytique peut aussi s’avérer utile pour solder certains conflits persistants. Rappelons que l’entourage et le soutien qu’il apporte font également partie intégrante du processus de guérison.
Femmes et dépression :
Ah, ces hormones qui jouent au yoyo ! Un chambardement qui n’est pas sans impact sur la sphère de la psyché… Le statut hormonal des femmes les expose à certaines formes de dépression et ce, à différents stades de leur vie : en deuxième partie du cycle, avant la survenue des règles (trouble dysphorique prémenstruel) ; après un accouchement (baby blues, dépression post-partum) ; à la ménopause (hormones féminines en chute libre) ; au cours d’un traitement hormonal (dans le cadre d’une procréation médicalement assistée). L’humeur devient alors dysphorique, s’inscrivant dans une tonalité désagréable et cédant la place à la tristesse, l’anxiété, l’irritabilité, la susceptibilité extrême, les crises de larmes et les accès de colère. Le baby blues survient chez environ une parturiente sur deux, vers le 3ème jour après la délivrance, coïncidant avec la montée de lait et se résorbant en quelques heures à quelques jours. La dépression post-partum, de forme beaucoup plus grave, commence, elle, dans les quatre semaines suivant l’accouchement et associe au tableau dépressif, des pensées d’agression de l’enfant, avec, parfois, passage à l’acte.
Nos remerciements au Dr Selwa Kjiri, psychiatre à l’hôpital Errazi de Salé.