Comment parler des drogues avec son enfant ?

Les drogues… Un mot angoissant, effrayant, mais surtout renvoyant à une terrible réalité. Le Dr Imane Kendili, psychiatre, addictologue et sexologue y consacre un livre didactique afin d’aider les parents à mieux protéger leurs enfants.

lle a le mérite d’oser. Le Dr Imane Kendili, psychiatre, addictologue et sexologue publie le livre “Les drogues expliquées à mes enfants”, un sujet sensible mais tabou au Maroc, alors que les drogues font quotidiennement des ravages. La preuve avec les quelques chiffres rendus publics. Dans sa synthèse de 2014 sur la situation dans le royaume, l’Observatoire marocain des drogues et des addictions (OMDA) estimait le nombre de consommateurs de drogue à 800 000, 95 % fumant du cannabis dont 1 lycéen sur 10 ! Pour le Dr Kendili, “il est question d’un grave problème de santé publique même s’il existe aujourd’hui 14 centres d’addictologie opérationnels dans tout le pays, initiés par la Fondation Mohammed V pour la Solidarité.” “Depuis plusieurs années, l’usage de la drogue a explosé puisque nous sommes devenus une société de consommation et de plaisirs immédiats, déplore l’auteure qui est également présidente de l’association marocaine de Médecine addictive et pathologies associées (MAPA). Nous sommes une société post-moderne immature qui engendre de l’angoisse, de la pression et de la culpabilité chez les parents accouchant d’enfants dépendants affectivement et en manque d’autonomie.” Tout est dit. Et sans détour.

Les drogues, toute une histoire

Le déclic de l’écriture du livre ne date pas d’aujourd’hui. Il remonte à 2009 lorsque le Dr Kendili était enceinte de son premier enfant. Un soir de garde à Casablanca, la rencontre avec la mère d’un adolescent toxicomane en crise va la bouleverser. Elle mettra dix ans à écrire cet ouvrage qu’elle adresse aux enfants – dans un premier temps, les siens – mais aussi aux parents, aux professionnels de la santé, voire aux politiques. “Je voulais rédiger un livre informatif afin qu’il incite à la discussion. Car dans notre société, on occulte ce dont on a peur par manque de connaissance, pointe-t-elle du doigt. J’ai ainsi voulu tirer un trait sur les idées reçues et donner des définitions claires et scientifiques. Car que peuvent répondre les parents, sans aller dans la remontrance et la moralisation, lorsque leur enfant leur dit que tout le monde fume des joints ?” Résultat : après avoir rappelé succinctement la législation en vigueur dans le pays, le Dr Kendili décortique dans un bref chapitre les fausses croyances autour des drogues. “C’est ainsi que (s’adressant à son fils) tu entendras probablement dire qu’on se voit pousser une plume de philosophe en fumant du cannabis durant tes années de scolarité, mais ceci est faux, écrit-elle. Car le cannabis est surtout impliqué dans des troubles cognitifs, des troubles de la mémoire, des problèmes de la concentration”.

Le top 4 des substances au Maroc

“Aujourd’hui, les jeunes sont dans la poly-consommation, et non plus dans la drogue de prédilection comme il y a 20 ans”, assure la spécialiste qui a fait un classement des quatre drogues qui ont le plus la cote au Maroc. Ce sont le cannabis, l’alcool, la cocaïne et les psychotropes comme le Rivotril. Pour mieux informer, et, par conséquent, prémunir les jeunes contre leur usage, la spécialiste décrit dans son livre, les effets produits par ces substances sur le cerveau. Ainsi, le cannabis, plus connu sous le nom de haschich, marijuana ou encore chanvre, peut rendre calme, euphorique ou anxieux. “Les effets sont imprévisibles et varient d’une personne à une autre”, assure-t-elle. À long terme, le cannabis a une incidence sur la motivation et la concentration, et son usage excessif “peut provoquer l’apparition d’une psychose, de la schizophrénie chez les personnes ayant une prédisposition familiale.” Et de signaler que “la dose de cannabinoïde appelée THC, qu’on trouve dans le cannabis, est bien plus importante que dans les années 80”. En d’autres termes, la drogue est aujourd’hui plus forte et addictive ! La consommation d’alcool est aussi préoccupante au Maroc, comme elle le fait remarquer. Un phénomène est notamment alarmant chez les jeunes : le “Binge Drinking”. C’est cette pratique qui consiste à boire, en peu de temps, une quantité excessive d’alcool, conduisant ainsi à une perte de contrôle ou à des comportements violents, voire impulsifs… Concernant la cocaïne, elle est devenue plus accessible, puisque son prix a chuté. Ses effets à court terme ? Une hypersexualité et une confiance en soi dans un premier temps, mais aussi des pensées paranoïdes, une disparition temporaire de la fatigue ainsi que de l’appétit. “La descente aux enfers est horrible”, enchaîne-t-elle, avant d’énumérer les séquelles à long terme : “Tensions artérielles et arythmie cardiaque, impuissance, troubles du sommeil, désintéressement pour la nourriture, sans parler des conséquences sociales désastreuses.” Quant au Rivotril, “c’est un médicament vendu dans la rue au Maroc”, comme le révèle clairement le docteur, “qui est utilisé pour son effet tranquillisant afin de faciliter la descente après usage de stimulant.” Sa consommation est reconnaissable par les marques de scarification…

Une remise en question parentale

“Les jeunes ne consomment pas par hasard de la drogue, interpelle le Dr Kendili. Ils recherchent du plaisir. Mais attention, quand le plaisir devient besoin, c’est l’addiction !” La spécialiste compte consacrer tout un prochain livre sur la prévention. Néanmoins dans “Les drogues expliquées à mes enfants”, elle donne déjà quelques débuts de réponses. À ses yeux, deux erreurs principales sont à éviter. La première est le non-dit car, le danger, c’est qu’il peut être “comblé différemment par des discours fantasmatiques ou héroïques” autour des substances. La seconde : l’hyper parentalité qui génère chez l’enfant une intolérance à la frustration, une grande immaturité et une impulsivité. Des caractéristiques qui sont au cœur de la personnalité des addicts, comme l’assure l’auteure qui appelle tout simplement les parents à déculpabiliser et à prendre soin d’eux. “Une personne qui savoure sa vie à travers ses lectures et autres activités enseignera, consciemment ou inconsciemment, à son enfant la valeur de soi”, appuie-t-elle. Une valeur essentielle au bon équilibre. υ

“Les drogues expliquées à mes enfants” aux Editions Orion. 188 pages. 200 DH.

3 questions À Dr Imane Kendili, psychiatre, addictologue et sexologue

À quel âge doit-on parler de la drogue à son enfant ?

Vous pouvez aborder le sujet très tôt avec lui. Ainsi vous pouvez parler du tabac dès l’âge de 6 ans, en employant bien sûr un vocabulaire adapté et en évitant d’aller dans les détails. Pour les drogues plus dures, attendez l’adolescence. À ce moment-là, soyez informatif et non pas dans la remontrance. Cela n’aurait pas l’effet escompté à part apaiser vos angoisses. Ayez toujours en tête qu’il faut préserver le dialogue. C’est essentiel.

L’adolescence est l’âge des premières expériences, mais comment éviter que son enfant ne tombe dans l’addiction ?

Il est important qu’un adolescent s’occupe. Il faut éviter le vide autour de lui. Il a besoin d’activités physiques ou artistiques, c’est-à-dire qu’il s’évade dans sa passion. En plus de la socialisation, le tissu familial est important. Les parents doivent aider leurs adolescents à construire des facteurs de protection pour qu’ils ne sombrent pas dans la drogue s’ils ne sont pas “équipés” pour y faire face. Vous savez, un enfant a besoin de règles pour mûrir et non pas de parents “père Noël” comme on en voit beaucoup trop dans notre société. Parfois même, votre enfant vous réclame des limites. N’oublions pas non plus que tout se joue avant l’âge de 6 ans.

Mais vers qui se tourner pour trouver de l’aide ?

Vous avez les médecins de famille, les pédiatres, les psychologues-addictologues qui peuvent vous aider. Vous pourrez également trouver des débuts de réponses dans des livres sur l’éducation positive. Il est important de garder le lien sans être ni dans la moralisation systématique ni dans la punition excessive. L’hyperprotection ne sert également à rien. La confiance est importante. Le problème au Maroc, c’est qu’on préfère souvent occulter la réalité que de s’y confronter. Pour être concret, si vous savez que votre enfant fume de la drogue dans sa chambre, ne fermez pas la porte pour ne pas le voir en vous disant qu’au moins, il est à la maison… Agissez. Parlez-lui. 

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