Dès les premiers jours, la tension est palpable. Le manque se fait sentir : irritabilité, fatigue, nervosité… Une réaction naturelle du corps face à l’absence soudaine de nicotine, de sucre ou d’alcool. “Ramadan impose une abstinence forcée qui, bien encadrée, peu- être une opportunité de réinitialiser certaines habitudes”, explique Dr. Imane Kendili, psychiatre et spécialiste en addictologie. Mais tout dépend de la façon dont cette privation est vécue.
Face à l’abstinence
Sans accès immédiat aux substances addictives, l’organisme subit un véritable sevrage. Certains le vivent comme une contrainte, attendant impatiemment la rupture du jeûne pour compenser leurs frustrations. “Beaucoup augmentent leur consommation nocturne, multipliant les cigarettes ou les excès sucrés pour compenser la privation de la journée”, observe Meriem El Yazaji, psychiatre et chef du service d’addictologie au CHU Ibn Rochd à Casablanca.
D’autres, en revanche, saisissent cette pause imposée pour amorcer un changement plus profond. ”Le corps, déjà en adaptation, devient plus réceptif à une réduction progressive des dépendances”, poursuit l’addictologue. Selon elle, la clé réside dans l’anticipation. “Ceux qui réduisent progressivement leur consommation avant Ramadan supportent mieux le manque et augmentent leurs chances de succès. En revanche, un arrêt brutal peut générer un stress supplémentaire qui fragilise la volonté.”
En effet, lorsqu’une addiction est stoppée brutalement, il n’est pas rare qu’elle soit remplacée par une autre. De nombreux jeûneurs compensent l’arrêt du tabac ou de l’alcool par une consommation excessive de sucre, de café ou par une hyperconnexion aux écrans. “Le cerveau cherche un substitut à la dopamine perdue”, explique Imane Kendili. Cette forme de compensation, bien que perçue comme anodine, peut avoir des conséquences néfastes sur la santé et le bien-être psychologique. Pour éviter ces dérives, les spécialistes recommandent d’adopter des stratégies alternatives : une alimentation équilibrée, la pratique d’une activité physique après la rupture du jeûne et l’intégration de moments de détente pour mieux gérer les pulsions.
Et après Ramadan ?
Ramadan peut-il donc être le tremplin d’un véritable sevrage? Tout dépend de l’approche adoptée. “Ceux qui préparent mentalement leur mois sacré, qui anticipent leurs réactions et qui instaurent de nouveaux rituels ont plus de chances de maintenir leurs bonnes résolutions après l’Aïd”, assure l’addictologue. Maintenir un mode de vie sain après Ramadan exige de la discipline : éviter les rechutes en douceur, poursuivre les alternatives mises en place et, si nécessaire, chercher un accompagnement professionnel. Meriem El Yazaji insiste sur l’importance d’une démarche progressive : “L’idéal est de commencer à réduire la consommation dix à quinze jours avant le mois sacré afin d’atténuer les symptômes de sevrage tels que l’irritabilité, l’anxiété et les troubles du sommeil. Pour ceux qui sont déterminés à arrêter définitivement, ce mois sacré peut être un excellent levier de consolidation.”
L’accompagnement post-Ramadan est également crucial. Une grande partie des personnes qui réussissent à arrêter pendant le mois sacré rechutent par la suite. “Un suivi médical et psychologique peut jouer un rôle déterminant dans le maintien des acquis”, affirme la psychiatre. Selon les deux addictologues, prolonger l’effort au-delà du Ramadan nécessite un plan structuré. Ceux qui réussissent ne sont pas seulement ceux qui anticipent l’arrêt, mais surtout ceux qui se préparent pour la suite, en consolidant leur démarche au-delà de la période de jeûne. “Ramadan doit être vu comme un premier pas, pas comme une solution en soi”, insiste Imane Kendili. “Ce mois peut amorcer une prise de conscience, mais un véritable sevrage exige un engagement sur le long terme.”
Ainsi, même si Ramadan ne constitue pas une solution miracle pour en finir avec ses addictions, il ouvre la voie à une réévaluation de ses habitudes et offre une réelle opportunité de transformation durable…
“L’addiction est une pathologie souvent mal comprise par l’entourage”
L’addiction est une pathologie complexe, souvent mal comprise par l’entourage. Une fois installée, elle entraîne une perte de contrôle, rendant le sevrage extrêmement difficile sans un accompagnement adapté. Pendant le Ramadan, certains patients peuvent présenter des signes de manque sévères : nervosité, irritabilité, troubles du sommeil, voire une somnolence excessive due à la fatigue liée au sevrage.
La famille joue un rôle clé en apportant du soutien plutôt qu’en culpabilisant. Comprendre que la dépendance est une maladie et non un simple manque de volonté est essentiel pour faciliter le processus de réhabilitation. Les proches doivent s’informer, éviter de pointer du doigt les comportements du patient et l’aider à traverser cette période difficile sans jugement.
La spiritualité peut également être un allié précieux : les prières et le cadre collectif des mosquées offrent un environnement apaisant, aidant certains patients à structurer leurs journées et à détourner leur attention des compulsions. Mais pour que Ramadan soit un tremplin durable, il faut initier un travail en profondeur, bien en amont et au-delà de cette période.