L’héritage, le débat tabou

Au Maroc, les femmes héritent la moitié de ce qu’héritent les hommes. Entre le ta’sib et la qiwâmah, le système successoral au Royaume est plus que jamais pointé du doigt par les défenseurs des droits de la femme. Détails.

Au Maroc, les femmes héritent la moitié de ce qu’héritent les hommes. Entre le ta’sib et la qiwâmah, le système successoral au Royaume est plus que jamais pointé du doigt par les défenseurs des droits de la femme. Détails.

Le droit marocain est un droit hybride. Il est à la fois du ressort de l’homme, de la religion ainsi que de l’ijtihad (effort de compréhension et d’interprétation) que le législateur a adaptés et circonscrits. Et l’héritage, en tant que système successoral de la propriété, est régi par des lois qui s’inspirent du rite malékite. Ces dernières sont codifiées dans le cadre du droit musulman qui précise les parts qui reviennent aux héritiers. “Les parts obligatoires selon le texte coranique sont au nombre de six : la moitié, le quart, le huitième, le tiers, le sixième et les deux tiers”, détaille Driss Trali, président de l’Ordre régional des Adouls à Béni Mellal. Concrètement, cela signifie que quinze hommes sont susceptibles d’hériter contre dix femmes seulement.

Le ta’sib, le hic

En effet, l’héritage au Maroc se fait par agnation “ta’sib”. Il s’agit d’une règle qui dispose que les orphelines ou les ayants droits de sexe féminin qui n’ont pas de frère doivent partager leur héritage avec les parents masculins les plus proches du défunt. Ce parent mâle doit par conséquent et en contrepartie de sa quote-part, s’occuper de sa mère, son épouse, ses sœurs, nièces, etc. Ce type d’héritage exclut les femmes, alors que les hommes les plus proches écartent les plus éloignés. “Le droit successoral ne prévoit aucune inégalité de traitement. L’homme hérite deux fois plus que la femme parce qu’il doit la prendre en charge, d’où le principe de la qiwâmah (Ndlr : la capacité et l’aptitude à la prise en charge). Elle, par contre, n’est responsable de personne”, explique Abdellah El Mansouri, théologien. Selon lui, ce dogme organisationnel des relations homme-femme au sein de la famille et de la société avec un présupposé hiérarchique et économique est un principe intouchable, au point que son simple questionnement, relève du blasphème. Ahmed El plus pertinente et que le principe de la qiwâmah est caduc”. Cette juriste insiste sur la nécessité de réviser le Code de la famille de 2004 pour que ce dernier “soit en phase avec la Constitution de 2011, ainsi qu’avec les conventions internationales que le Maroc a ratifiées”. Mais si la qiwâmah est la justification au ta’sib, pourquoi est-elle une obligation morale alors que les règles de l’héritage lui, sont d’ordre juridique ?

Aucun fondement coranique

Si un certain ijtihad a été fait concernant les condamnations par lapidation, main coupée ou peine de mort, une question qui reste en suspens : pourquoi le volet de l’égalité des parts entre les genres bloque-t-il donc toujours ? “Parce que le verset est on ne peut plus clair. On ne peut pas autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce qu’il a autorisé”, explique Abdellah El Mansouri. Pourtant, et d’après plusieurs militants pour les droits de la femme dont Khouloud Milani, titulaire d’un doctorat sur l’héritage entre la norme religieuse et la pratique sociale, le ta’sib ne pose pas seulement un problème d’inégalité, il n’aurait pas de fondement coranique. Car il n’y aurait aucun verset dans le Coran qui prescrit qu’un oncle ou qu’un parent mâle vienne se servir des biens d’une famille qui n’a pas de fils. “Cette règle organisant à son tour les successions au Maroc peut, à mon sens, être revue dans la mesure où elle ne trouve pas son origine dans le texte coranique. Ce qu’ignorent beaucoup de gens, c’est qu’elle trouve son origine dans un hadith”, assure la chercheuse.

Une réforme pour parer à l’injustice

Ainsi, le droit successoral est une équation complexe, où l’aspiration légitime de certains à maintenir des règles d’antan s’entrechoque avec l’espoir d’autres d’une société plus moderne, plus évoluée, plus juste et plus équitable. “Pourquoi ne pas modifier le ta’sib en appliquant, comme pour le cas de la Tunisie, la technique du “radd”. Ceci peut représenter une grande avancée pour le Maroc”, avance Khouloud Milani. Le principe du radd est utilisé, lorsqu’un homme ou une femme meurt sans laisser d’héritiers directs mâles. L’héritage est dans ce cas partagé entre leurs filles, sans que la ” parenté collatérale agnatique soit appelée à partager l’héritage. Toujours selon la chercheuse, cela permettra de limiter les divers contournements de cette norme. Se référant à une enquête qu’elle a récemment menée avec une équipe de chercheurs, celle-ci révèle que 70,5% des donations sont faites au profit des femmes contre 29,5% seulement faites au profit des hommes. “Des chiffres très révélateurs du malaise social et qui confirment que la société contourne la loi pour protéger les femmes”, affirme l’experte en genre.

Le deuxième élément souligné par Khouloud Milani est l’annulation des frais d’enregistrement des donations faites pour rétablir l’égalité successorale entre fille et garçon ou pour protéger les filles et les épouses. “Cela représente un frein pour les acteurs voulant contourner la norme religieuse de l’héritage notamment ceux appartenant à la catégorie moyenne”, soutient la chercheuse pour qui, la sensibilisation à cette égalité est plus que jamais primordiale. “Il faut une réelle volonté politique, pour secouer toute une société, et ce n’est pas chose facile, cela demande du temps surtout une réelle volonté et un travail de longue haleine”, insiste-t-elle. Youssef Chehbi, avocat et militant pour les droits de la femme, est du même avis que l’experte en genre. Mais pour lui, rien ne peut changer sans volonté politique. “Au Maroc, personne n’ose officiellement débattre du sujet de l’héritage. Or, c’est un débat de fond qui peut déterminer l’avenir de la société. Il nous faut une classe politique courageuse qui fait des lois, les vote, et change les choses”, clame-t-il. Pour cet avocat, si l’égalité en matière d’héritage tarde à se concrétiser, c’est que “la volonté politique n’y est pas”.

Il existe par ailleurs une tendance sociétale à rejeter cette inégalité et qui se manifeste par des pratiques visant à contourner la loi en vigueur. “Des possibilités juridiques comme la vente fictive, la donation et le testament permettent une certaine modulation de la règle de l’inégalité des parts”, souligne Me Chehbi. Le legs testamentaire ne pouvant cependant aller au-delà de 30%, c’est la vente fictive et la donation qui tendent à constituer, en pratique, les moyens de contournement les plus utilisés pour favoriser les femmes. La question qui se pose aujourd’hui est celle de savoir quelle réforme de l’héritage pourrait sortir de cette configuration idéologique ?

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