L’expatriation au féminin : les raisons d’un choix…

Après avoir poursuivi ses études à l’étranger, une partie de la jeunesse féminine marocaine ne souhaite pas rentrer au Maroc. La raison ? Des questionnements sur les restrictions sociales et le changement de mentalités qui tarde à se faire limitant encore la liberté des femmes…

Rester au pays de ses études ou revenir au Royaume ? Telle est la question qui tourmente un bon nombre d’étudiantes marocaines à l’étranger.  Après avoir achevé leurs parcours universitaires, leur cœur balance. Elles aiment leur pays. C’est indéniable. Mais leur choix est cornélien. Dans la balance ? Un environnement où hommes et femmes sont égaux sans  risque pour ces dernières de subir le poids de la tutelle et le jugement . “Ici, je suis épanouie,“ lâche Zineb, 25 ans, travaillant à Londres. “Même si c’est dur de vivre loin de ma famille, je ne regrette pas. Je ne suis non pas sous-estimée mais respectée ! Je suis l’égale de l’homme !” Un ressenti partagé par Aïcha, 25 ans, installée à Berlin. “Je me sens à l’aise en tant que femme en Allemagne”, se réjouit-elle. “Je peux sortir à n’importe quelle heure, sans me questionner sur ma tenue vestimentaire.”  Et de pester : “Au Maroc, dans la rue, nous sommes des proies…”. Sifflements, regards insistants, interpellations, remarques salaces, insultes, traques, etc. le harcèlement est un véritable fléau. D’après l’enquête IMAGES sur “les masculinités et l’égalité des sexes” menée en 2016 dans la région Rabat-Salé-Kénitra* et publiée en 2018 par l’ONU Femmes pour les pays arabes en partenariat avec Promundo, pas moins de 63% des femmes interrogées confient en avoir été victimes.  En outre, 53% des hommes reconnaissent avoir déjà harcelé une femme ou une fille, dont 35% au cours des trois derniers mois …. Et ce, sans scrupule pour près de 60% d’entre eux puisqu’ils avouent l’avoir fait, dans un espace public, pour s’amuser ou le plaisir. Pire encore, pour plus de 60% des hommes sondés, la tenue jugée par eux “provocatrice” et la présence d’une femme dans un lieu public la nuit sont des “raisons légitimes” justifiant leur comportement… 

Des corps broyés

Les violences sont nombreuses. Selon un rapport du Haut-Commissariat au Plan (HCP) datant de 2019, plus de 7,6 millions de femmes, soit 57,1%, ont subi au moins un acte de violence, tous contextes et formes confondus… La violence psychologique reste la plus répandue avec un taux de prévalence de près de 47,5%, soit 6,4 millions de femmes qui en souffrent. Les autres? 1,9 million de femmes ont été victime de violence économique (taux de prévalence de 14,3%), 1,8 million de violence sexuelle (13,6%) et 1,7 million de violence physique (12,9%). Quant à la cyberviolence, elle touche près de 1,5 million de femmes (13,8%). “Alors que des lois ont été instaurées pour les combattre, la violence domestique et les agressions psychologiques, voire physiques persistent”, déplore Batoul, 30 ans, vivant à Amsterdam. En effet, depuis plusieurs années, les engagements en faveur d’une meilleure protection des femmes se multiplient comme l’abrogation de l’article 475 du Code pénal qui permettait à un violeur d’échapper aux poursuites en épousant sa victime ou l’entrée en vigueur en 2018 de la loi n°103-13 relative à la lutte contre les violences faites aux femmes qui n’est malheureusement pas à la hauteur pour les militantes des associations de défenses des droits des femmes, dénonçant un ensemble de lacunes comme l’absence de la définition du viol conjugal. “Lorsqu’elles signalent ces violences, les victimes se heurtent à de trop nombreux obstacles, en raison de la stigmatisation, la pression familiale et le manque de services de soutien adéquats”, développe Batoul, avant de lâcher : “Le corps des femmes demeure un sujet de controverse inlassable…”

Une attention permanente !

À l’étranger, les jeunes femmes marocaines assurent se réapproprier leur corps, sans contrainte et sans pression. “J’ai le sentiment qu’au Maroc, les femmes doivent toujours faire attention à leur apparence”, se désole Khaoula, 25 ans, vivant actuellement en France. “C’est bête à dire mais c’est fatiguant. À Paris où je travaille, personne ne fait attention à moi si j’arrive au travail en jogging ou sans make-up… Je peux tout simplement être moi, avec mes émotions et mes envies du jour !” Pour elle et tant de jeunes femmes marocaines installées désormais à l’étranger, les injonctions sociétales pèsent. La gent féminine en a assez. “Pourquoi avons-nous autant de contraintes et de charges sur le dos ?”, interpelle Aicha. “Au Maroc, j’avais l’impression de vivre dans un environnement moderne, mais où en réalité la diversité était à peine tolérée, sous condition de se conformer strictement: se retenir, s’habiller correctement, ne pas fumer dans la rue, et ainsi de suite”, regrette, à son tour, Batoul. “Tout ceci est enraciné dans l’éducation. La société est également complice, alimentant cette réalité par ses discours et sa mentalité du compromis.” 

Lacunes juridiques

Malgré les avancées, la Moudawana, réformée en 2004, n’accorde pas les mêmes droits aux femmes qu’aux hommes divorcés en matière de tutelle. L’équilibre n’existe pas. En cas de divorce, le père reste le tuteur légal de l’enfant et la mère sa gardienne. Concrètement, même si la mère conserve la garde, elle n’a aucun pouvoir de décision. Elle est tout bonnement tributaire de son ex-époux. Pire encore, l’article 173 du Code de la famille donne la possibilité au père de lui retirer la garde de l’enfant si elle se remarie… “Les Marocaines ont le droit de divorcer, certes, mais à quel prix ?”, s’indigne Hasnaa, 22 ans, en Italie. “Car si nous refaisons notre vie, notre ex-mari a un pouvoir dissuasif sur nous : celui de nous retirer, en toute légalité, notre chair…” Et d’enchaîner : “Je n’arrive pas à comprendre pourquoi un homme, un père, a plus de droit qu’une femme, une mère ? Par exemple, pourquoi peut-il ouvrir et gérer le compte bancaire de ses enfants et pas une mère ? En est-elle incapable ? Pourquoi peut-il choisir l’école où ils vont aller ? N’en a-t-elle pas les facultés mentales ?…” Un cri partagé par la communauté féminine qui attend, impatiemment, la réforme du Code de la famille. Après le discours royal du 10 octobre 2003 et celui de l’annonce de la Constitution de 2011 prônant l’égalité homme-femme, le Roi Mohammed VI a ouvert, en 2022 la voie à cette révision. “Il est temps que l’égalité homme-femme soit effective, légale, entière”, s’emporte Hasnaa, avant d’aborder le sujet délicat de l’avortement: “L’an dernier, le décès de Meriem, 14 ans, m’a hantée. Elle avait été violée. Enceinte, elle a avorté dans des conditions inacceptables car l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est interdite au Maroc même dans des cas de viols… Elle en est morte…” En effet, l’avortement est illégal sauf en cas de danger pour la santé de la mère. Et encore il faudrait trouver le “brave” médecin qui assumerait un tel diagnostic. l’avortement est passible de six mois à deux ans d’emprisonnement pour la femme qui avorte, et jusqu’à 5 ans pour les personnes la pratiquant. En 2015, le Maroc s’était pourtant engagé dans un débat sur l’assouplissement de sa législation. Une commission officielle avait recommandé que l’avortement devienne autorisé dans “quelques cas de force majeure”, notamment en cas de viol ou de graves malformations. Pour l’heure, statut quo. Aucune loi n’est venue entériner ces recommandations, ardemment soutenues par les défenseurs des droits des femmes. 

Accès aux postes à responsabilité

Malgré le constat universel de l’inégalité entre les femmes et les hommes dans le milieu du travail, la jeune génération féminine installée à l’étranger se sent davantage valorisé. C’est le cas de Malak, 25 ans, à Paris. “Je suis quelqu’un d’ambitieux au niveau professionnel”, confie-t-elle. “Même s’il y a aussi des inégalités en France, elles sont moins limitantes qu’au Maroc où il n’est pas encore assez répandu d’avoir des femmes à la tête de grandes entreprises ou dans les comités exécutifs de grands groupes. À titre personnel, j’ai eu la chance d’échanger avec des Directrices générales qui m’ont rassuré sur le fait qu’une femme peut aspirer à diriger un groupe ou une équipe, si petite soit-elle.” 

De son côté, Khaoula vante les mérites du quota positif envers les femmes. “Je travaille dans une multinationale spécialisée dans l’intelligence artificielle qui encourage très fortement la promotion des femmes, leur offrant même des salaires plus élevés que celui des hommes !” Au travail, la femme est choyée… à sa juste valeur ! Enfin ! “Même s’il y’ a eu plusieurs avancées ces vingt dernières années relatives aux droits des femmes, il me paraît essentiel d’accorder une réelle importance à l’égalité des chances et des droits”, appuie Malak. “Dans le domaine du travail, la femme marocaine doit par exemple jouir des mêmes privilèges (salaires, promotion,…) que l’homme. Les lois sur la famille doivent également évoluer pour permettre à la femme de justement concilier entre la vie de famille et la vie professionnelle à l’instar de la protection de la femme lors des congés de maternité”. Pour Batoul, le Maroc est sur la voie de l’égalité. “L’optimisme persistant, la détermination des femmes marocaines et le soutien croissant de la société sont autant de facteurs qui nous guident vers un avenir plus équitable où les droits des femmes seront incontestables”, assure-t-elle. 

Des avancées, conséquentes voire révolutionnaires, qui pourront être un signal fort aux yeux de cette jeunesse qui ne refuse pas l’idée de revenir, mais, “seulement si…”.

“L’expatriation féminine est un nouveau phénomène”

Le fait que des jeunes femmes marocaines veuillent rester à l’étranger après leurs études est un phénomène social nouveau. Il fut un temps où rares étaient les jeunes filles marocaines qui partaient étudier à l’étranger, Celles qui le faisaient, avaient des parents à l’esprit ouvert et qui ont des possibilités financières conséquentes. Aujourd’hui, la situation a changé. Les jeunes filles issues des grandes villes peuvent plus facilement voyager et s’installer à l’étranger pour poursuivre leurs études.Elles vivent dans des États où les conditions des femmes sont également meilleures. Elles en ont conscience. Aussi, aspirent-elles à un meilleur avenir. Elles se démènent dans leurs études et sont attentives dans leur recherche de travail, trouvant le poste qui leur correspond, et dans lequel elles pourront évoluer. À leurs yeux, leur profession est essentielle car elle est un moyen de libération et d’émancipation.
Grâce à leur travail, les femmes arrivent à se prendre en charge et à vivre leur vie. Aujourd’hui, on se préoccupe de ce phénomène car il concerne les femmes. Lorsque les hommes restent à l’étranger, la question n’est même pas soulevée. La société patriarcale souhaite garder un œil sur elles. Aussi, volent-elles de leurs propres ailes loin des carcans.

(*) Enquête IMAGES (International Men and Gender Equality Survey) menée auprès de 1.200 hommes et 1.200 femmes âgés de 18 à 59 ans.

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