Handicap: L’école inclusive en panne ?

Le Maroc a adopté une nouvelle approche pour la scolarisation des enfants en situation de handicap. Lancé en 2019, le Programme national de l’éducation inclusive vise à leur assurer le droit à une éducation de qualité. Malgré ce plan ambitieux, nombreux sont encore ces enfants aux besoins spécifiques hors des bancs de l’école…

Des cris ponctués d’éclats de rire résonnent dans l’un des quartiers d’Ain El-Aouda, une petite ville située à environ 30 km de Rabat. C’est l’heure de la récréation à l’école publique Saad Bnou Abi Wakkass. Dans la cour, parmi les bambins, Rania, 14 ans, porteuse de trisomie 21. Elle est en cinquième année de l’enseignement primaire (CE5) et évolue dans une classe “ordinaire”. De 08h à 13h, elle y écoute l’instituteur et progresse à son rythme, avant de rejoindre l’association Mourouj pour un suivi ou accompagnement paramédical (orthophonie, psychologique, psychomotricien,…) et des activités parascolaires. “Ma fille qui, auparavant, ne parlait presque pas, articule davantage et a enrichi son vocabulaire”, se réjouit sa mère. “Vous ne pouvez pas imaginer à quel point je suis heureuse de la voir échanger et jouer avec ses petits camarades de classe. Les enseignants ont également appris à la connaître et à la comprendre. Ils l’apprécient énormément.” D’après les statistiques du ministère de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports, plus de 90.000 enfants en situation de handicap ont été scolarisés dans une classe “ordinaire” en 2021. Selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP), ils étaient 69.300 en 2014 sur les 231.000 en âge d’être scolarisés (4-15 ans). Une progression poussée par le Programme national de l’éducation inclusive lancé en 2019 qui s’inscrit dans la continuité des actions menées par le ministère de tutelle et des engagements pris par le pays notamment à travers la ratification de la Convention internationale relative aux droits des personnes en situation de handicap (CRDPH) en avril 2009.

le Maroc s’est doté en 2019 d’un programme national de l’éducation inclusive.

Une volonté, des décisions…
Avoir accès à l’école est un droit universel et fondamental. Avant 2019, les enfants en situation de handicap pouvaient être scolarisés dans une classe “ordinaire” ou dans une classe d’intégration scolaire (CLIS) regroupant uniquement des enfants ayant le même type de handicap (700 CLIS au primaire comptabilisés sur le territoire en 2017) ou encore dans un centre spécialisé, géré le plus souvent par des associations ou le privé. Malgré cette offre scolaire, la scolarisation de ces enfants est en grande difficulté. Les raisons sont multiples à l’instar des problèmes d’inadaptation pédagogique, de l’hostilité envers ces enfants (que ce soit de la part des camarades de classe, des parents d’élèves, des enseignants ou des gestionnaires de l’établissement) et des problèmes d’accessibilité, de santé et financiers, comme l’énumère le ministère de la Solidarité, de la Femme de la Famille et du Développement Social, dans la deuxième Enquête nationale sur le Handicap en 2014. La solution ? L’éducation inclusive, une approche qui a fait son chemin au Maroc à coup de plaidoyers de la société civile et des ONG. Elle permet de repenser l’école en “une éducation fondée sur le droit de tous à une éducation de qualité répondant aux besoins éducatifs fondamentaux, enrichissant la présence des apprenant.e.s et centrée sur les groupes vulnérables”, tel que le définit l’UNESCO. En effet, “l’enfant en situation de handicap est enfin au centre du projet pédagogique monté par le professeur référent et le chef d’établissement”, appuie Fouzia Azzouzi, vice-présidente de l’Union nationale des associations œuvrant dans le Handicap mental (UNAHM) et présidente de l’association Mourouj. Concrètement, les enfants en situation de handicap sont dans une classe “ordinaires” et bénéficient d’un temps dans des salles de ressources, les anciennes CLIS, animées par une équipe multidisciplinaire. Cette dernière propose un soutien sur-mesure (pédagogique, médical et paramédical, psychologique et psychosociologique). Un accompagnement optimal afin que l’enfant puisse apprendre et développer ses capacités sociales. Mais l’accès à cette école inclusive dépend du type de handicap – six ont été retenus : troubles de l’autisme, handicap mental, infirmité motrice cérébrale, handicap auditif, visuel et troubles de l’apprentissage- et du niveau de déficience –légère à modérée-. “Ce programme s’adresse autant aux établissements publics que privés”, précise Mohammed Filali Maher, chef de projet “éducation inclusive” à l’ONG Handicap international au Maroc.

La dure réalité du terrain
“Sur le papier, le Programme national de l’éducation inclusive est remarquable. Mais sur le terrain, il piétine alors que la situation est urgente”, fait remarquer un agent associatif préférant garder l’anonymat, selon lui “pour ne pas ralentir l’avancée de certains dossiers en raison de ses propos.” “Prenons l’exemple des formations initiales ou continues des professeurs sur le handicap des enfants. Il est important que des notions soient acquises, que des outils soient proposés, mais cela ne reste que de la théorie! Il leur faut de l’aide au niveau de la pratique car ils ont 40 élèves par classe. Dans ces conditions, comment en gérer un avec un handicap ?” Aux dires de ce militant et de Fouzia Azzouzi, la liste des obstacles reste longue… Parmi eux, le nombre insuffisant de salles de ressources, le manque criant de moyens et de spécialistes de la santé comme les orthophonistes dans certaines enclaves, ou encore d’Auxiliaires de vie scolaire (AVS). “Ces dernières sont à la charge des familles”, pointe du doigt Fouzia Azzouzi. “ Aussi, lorsque ces foyers sont démunis, ils viennent toquer à la porte des associations – souvent en difficultés financières en raison notamment du retard du versement des subventions ou de leur montant peu onéreux-. S’ils n’en trouvent pas, ils n’inscrivent malheureusement pas leurs enfants à l’école…” “Le cas des AVS est une question préoccupante et importante car ces personnes n’ont aujourd’hui aucun statut et cadre légal, sans parler de la formation inexistante”, explique Mohammed Filali Maher. “De plus, les parents, qui en ont les moyens, les prennent souvent comme des nounous spécialisées qui restent avec leurs enfants toute la journée. Or, ce n’est pas leur travail ! J’insiste mais des solutions existent en attendant d’en trouver de meilleures. Aussi, pourquoi ne pas embaucher une AVS pour 4 enfants en situation de handicap comme dans d’autres pays plutôt qu’un ? Surtout qu’ils n’ont pas tous le même type de handicaps, ni les mêmes besoins au même moment”. Pour l’heure, la question semble en suspens… Et d’ajouter : “Un gros travail a été réalisé du côté des inspecteurs d’académie qui, lorsqu’ils sont alertés, se rendent auprès des chefs d’établissement qui refusent l’accès à un enfant en situation de handicap. Ils trouvent ensemble des solutions pour ne pas le laisser sur le bas-côté”. Aux yeux des parents de Rania, malgré l’implication des différents acteurs, la société est impitoyable. “J’ai l’impression que chaque fois qu’on regarde ma fille, on éprouve de la pitié pour elle alors qu’elle n’est pas malade, elle est seulement trisomique”. Pire encore, certains rejettent ces enfants voire les harcèlent notamment dans la cour de récréation, l’adolescence étant une période particulièrement “terrible”. “Je vois les progrès réalisés à l’étranger en faveur des enfants trisomiques”, lâche la mère de Rania. “Certains travaillent, se marient, sont accompagnés ou indépendants. J’espère qu’un jour, le Maroc se hissera au même niveau, car les enfants en situation de handicap sont nos enfants, ceux de notre patrie…”

(*) en concomitance avec le cadre référentiel de l’éducation inclusive.

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