Cette masterclass était-elle une première pour vous ?
Je remercie infiniment Femmes du Maroc pour cette belle opportunité. C’est en effet la première fois que je me présente sur un podium dans le cadre d’une masterclass. J’espère que cela a été inspirant. Si mon parcours peut toucher ne serait-ce qu’une personne, alors j’en suis profondément heureuse.
Lors de vos interventions, vous avez abordé la notion de “nakhwa” marocaine qui caractérise notre art de vivre. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Pour moi, l’idée de “nakhwa” va bien au-delà de la création. Elle est ancrée dans un art de vivre à la marocaine. On le retrouve dans notre gastronomie, par exemple : un plat ne se pose jamais au hasard, il est présenté avec abondance, avec une certaine noblesse. Il en va de même pour le vêtement : il n’est jamais timide ou minimaliste, il est généreux, élégant, il reflète le don de soi. La nakhwa, c’est cela : une générosité dans la manière de créer, de transmettre, de partager. Cette abondance, cette volonté de donner le meilleur avec grâce, c’est, à mes yeux, ce qui caractérise profondément le Maroc. C’est l’ADN de notre identité culturelle, ce que j’appelle “la marque Maroc”.
L’héritage marocain est justement très présent dans vos créations, notamment à travers la broderie. Comment travaillez-vous avec vos artisans ?
Ma relation à l’artisanat est libre, fluide. Nous avons une équipe de brodeuses exclusivement féminine. Pour moi, il est essentiel d’utiliser l’artisanat comme une source d’idées, un réservoir créatif à partir duquel nous recomposons. Je m’appuie sur le patrimoine, mais je souhaite en déconstruire certains codes pour mieux les réinventer ensemble.
Ces femmes, que j’ai rencontrées au fil du temps, sont ingénieuses. Elles n’ont pas toujours appris de manière académique, ce qui leur permet une plus grande liberté. Là où une formation trop rigide peut enfermer, elles se montrent ouvertes, prêtes à expérimenter. Cette liberté est précieuse.
Comment avez-vous rencontré ces femmes ?
Ce sont des rencontres de vie. Certaines sont venues à moi, d’autres m’ont été présentées par des amies, des proches. Chaque femme a son histoire. Ce qui les réunit, c’est leur malléabilité, leur capacité à apprendre mais aussi leur respect du savoir-faire traditionnel. Elles comprennent qu’on peut préserver le passé tout en créant du nouveau. Et c’est aussi vrai pour les hommes de mon équipe. Ce que je cherche, c’est cette créativité en mouvement, cette intelligence collective.
Vous avez évoqué la mode et l’artisanat marocains comme forme de “soft power”. Comment le Maroc s’en empare-t-il aujourd’hui ?
Nos princesses font déjà un travail remarquable en portant l’habit traditionnel avec élégance et fierté. Cela a une grande portée symbolique. Mais je pense que le Maroc pourrait aller encore plus loin. Il nous faut des institutions plus investies, des fédérations de créateurs, une stratégie claire pour rayonner à l’international.
Chaque fois qu’une personnalité porte du Made in Morocco, c’est une victoire. Quand une chanteuse marocaine mentionne le créateur sur ses réseaux, quand une star internationale est habillée par l’un d’entre nous, c’est une avancée.
Mais cela ne repose pas que sur les créateurs. Il faut une synergie : les institutions, les médias, les clients. Il faut aussi une critique de mode, des lectures intelligentes des œuvres, pas seulement des événements festifs. Une création ne peut exister sans terreau fertile.
Vous parliez aussi, en contraste, de “vêtements de bazar”, qu’un créateur devrait, selon vous, éviter. Qu’entendez-vous par là ?
Ce sont ces objets qui cherchent à résumer un pays à une image d’Épinal, souvent de mauvaise qualité, produits à l’autre bout du monde. Ils flattent l’imaginaire du touriste sans offrir la réalité. Or, la vraie création est sincère, elle ne cherche pas à séduire avec des clichés. Elle raconte une histoire authentique.
Oui, il existe une tentation de l’exotisme, c’est facile, c’est vendeur. Mais quand il ne reste plus que cela, c’est dangereux… La création, la vraie, est libre, inattendue. Elle est là où on ne vous attend pas. Quand vous vous contentez de répondre à une attente prévisible, vous cessez de créer. Vous exécutez. Et quand on est créateur, on a une responsabilité.
Quel est votre rapport personnel aux vêtements ?
J’aime m’habiller, bien sûr. Mais depuis que j’habille tant de femmes, cela prend moins de place dans ma propre vie. Adolescente, j’étais très exubérante : je me prenais pour Esmeralda avec mes tresses, mes colliers, mes couleurs. Aujourd’hui, mon style est plus épuré, mais les colliers sont restés. Je pense que j’ai moins besoin de me montrer, car les autres sont devenus mon terrain de jeu. J’ai eu la chance d’habiller des femmes magnifiques, et c’est très gratifiant de les rendre encore plus belles.
Et la femme marocaine, quel rapport entretient-elle avec la mode, selon vous ?
C’est un poème. La femme marocaine est exigeante, habituée à être choyée, écoutée… Elle a un goût sûr, même lorsqu’il est un peu kitsch. C’est une femme vivante, exubérante, unique. Moi, je suis portée chaque jour par les femmes marocaines. Je pense à nos mères, nos tantes, nos grands-mères, à ces moments de sororité où l’on s’habille ensemble avant un mariage. Pour moi, ce sont les plus beaux souvenirs. La société marocaine est portée par ses femmes.
La Fashion Week de Paris était un rêve pour vous. C’est désormais une réalité. Avez-vous d’autres rêves à réaliser ?
Mon rêve, c’est de vivre dignement de ce métier que j’aime, de porter la voix des artisans, de représenter l’excellence marocaine à travers le monde. De construire un projet commercial, culturel, humain… une véritable marque. Une marque qui existe au-delà de ma propre vie.
Ce que j’aimerais, si un jour on écrivait mon épitaphe, c’est que l’ensemble des vêtements que j’ai créés forme une œuvre cohérente, une œuvre complète. Une vision d’ensemble. Parce que dans la frénésie du quotidien, on peut parfois se perdre. Mais garder cette vision globale, c’est mon rêve ultime. Créer un joyau, une quintessence, un ADN de marque qui me survive.