Depuis la signature d’une convention cadre le 17 mars 2023 officialisant la feuille de route 2023-2026, on ne pense plus le produit touristique marocain en termes de destinations mais en termes d’expériences clients: océaniques, montagnardes, urbaines, désertiques, professionnelles, culturelles, etc. Ces dernières sont réparties en neuf filières thématiques : Ocean Waves (sports nautiques et de glisse) , nature Trekking and Hiking (tourisme vert et randonnées), City Break (courts séjours urbains), Beach & Sun (renforcement de l’offre balnéaire), Desert & Oasis Advendure (escapades dans le désert), tourisme d’affaires, (événements professionnels et MICE) et Circuits culturels (expériences immersives dans les villes historiques. Deux filières sont spécifiquement consacrées au tourisme interne: bord de mer (tourisme estival domestique, notamment au nord du Maroc et Nature & découverte (expériences adaptées à la demande locale).
Cette classification permet d’avoir un aperçu pratique de la diversité de l’offre tout en mettant en avant le potentiel naturel et les spécificités du Royaume. On dénombre parallèlement cinq filières transverses : gastronomie et produits du terroir, festivals et moussems, développement durable, artisanat et savoir-faire local, et hébergement alternatif (responsable et authentique).
Quel est l’intérêt de ce changement de perspective ? “Il était incontournable de pouvoir identifier chaque région par rapport à ses atouts”, répond Rkia Alaoui, présidente du Conseil régional du tourisme (CRT) de Tanger-Tétouan-Al Hoceima. “Après avoir diagnostiqué les spécificités de chaque ville, on peut définir les priorités de développement pour chaque région. Les filières ne peuvent qu’aider et accélérer l’atteinte des objectifs”, assure-t-elle.
Quelques mois après la signature de la convention cadre de mars 2023, dix laboratoires d’impulsion éphémères ont été créés, constitués chacun d’une équipe pluridisciplinaire issue des secteurs public et privé. Leur but : définir les besoins en matière d’offres touristiques et les projets à développer par filière et par région. Citons par exemple les sports de glisse à Dakhla: les experts se sont interrogés sur les besoins de cette région pour développer la filière “Ocean Waves”. Pour le tourisme interne, le laboratoire d’impulsion dédié a notamment travaillé sur l’adaptation de l’offre à la demande et au pouvoir d’achat des nationaux.
De façon générale, les laboratoires d’impulsion ont été mandatés pour quatre missions principale : articuler les prérequis transverses nécessaires à l’émergence des filières (infrastructures, financement public, réglementation), concevoir un plan de lancement des projets locomotives à initier pour les filières (investissements et effets), préparer des conventions publiques et privées pour les lancer, et enfin leur attribuer un plan d’actions spécifique.
Aujourd’hui dissous, ces laboratoires d’impulsion ont eu trois mois pour élaborer leurs plans et aboutir à des contrats d’application régionaux reprenant les projets à développer d’ici 2026. Sur les 12 prévus, huit ont déjà été signés par le ministère du Tourisme, les wilayas et CRT respectifs, ainsi que la Société Marocaine d’Ingénierie Touristique (SMIT). Il s’agit des régions de Rabat-Salé-Kénitra, Tanger-Tétouan-Al Hoceima, Draa Tafilalet, l’Oriental, Souss-Massa, Dakhla-Oued Eddahab, Béni Mellal-Khénifra et Fès-Meknès. Chaque région enregistre des spécificités qui vont se retrouver principalement au niveau d’une, deux ou trois filières.
À Tanger-Tétouan-Al Hoceima, 21 projets majeurs sont prévus pour renforcer l’offre touristique autour des filières City Break (700.000 touristes visés) ainsi que Nature & découverte et Bord de mer pour le tourisme interne. Quant à Draa Tafilalet, 15 projets sont axés sur la filière Desert & Oasis Adventure. De son côté, Rabat-Salé-Kénitra se positionne sur quatre filières thématiques importantes destinées aux touristes marocains comme étrangers : tourisme d’affaires, circuits culturels, tourisme interne : bord de mer et nature et découverte. Les projets à Dakhla se concentrent naturellement dans la filière Ocean Waves. Pour la région Béni-Mellal Khénifra, l’objectif consiste à devenir une référence pour les deux filières nature de la feuille de route: Nature & découverte pour les touristes marocains et Nature, Trekking & Hiking pour les touristes étrangers.
Premier contrat d’application signé le 30 janvier dernier, la région de Fès-Meknès ambitionne l’accueil de 800.000 touristes d’ici 2026. Elle se démarque particulièrement dans la filière transverse de l’artisanat et savoir-faire local grâce à des accomplissements comme l’inauguration de l’Institut Spécialisé des Arts Traditionnels (ISAT) de Fès, le lancement de la formation en faveur de jeunes présentant un trouble du spectre de l’autisme dans le domaine de la poterie et de la céramique, ainsi que la réhabilitation du Complexe de l’artisanat / Palais des Congrès de Fès où deux accords ont été signés avec l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah portant sur la collaboration dans la recherche, la formation technique et la formation en langues étrangères des artisans.
Encore en cours d’élaboration, on cite les contrats d’application des régions Casablanca-Settat et Marrakech-Safi. Pour cette dernière, on mentionne le réaménagement de la station de ski Oukaimeden (300 MDH), la mise en place d’une zone intégrée de vols en montgolfières à Agafay, ou encore la création d’un parc à thèmes dans la ville ocre sur 200 hectares, disponible à l’horizon 2030.
Pour mener à bien le développement de ces filières, la feuille de route agit au niveau de six leviers de compétitivité indispensables : le renforcement de la capacité aérienne et la multiplication des liaisons domestiques et internationales, le développement de partenariats stratégiques avec les plus grands voyagistes mondiaux, la stimulation de l’investissement dans l’animation, la mise à niveau du parc hôtelier existant tout en créant de nouvelles capacités, la consolidation du capital humain pour améliorer la qualité de service et augmenter le taux de retours des touristes, et l’amélioration de l’Observatoire du tourisme en tant qu’outil de pilotage efficient.
“Le programme Go Siyaha est à saluer”
“La région du Nord accuse une véritable saisonnalité. Nous travaillons pratiquement deux à trois mois dans l’année, donc pour optimiser le reste du temps, nous devons développer l’arrière-pays, l’écotourisme, tout l’aspect patrimoine et culturel, ainsi que des projets d’animation qui attireront les étrangers en répondant à leurs attentes, de même au niveau national.
Au niveau de la région, nous travaillons déjà à renforcer la connectivité mais il ne suffit pas d’ajouter des lignes aériennes, autant faut-il disposer d’une offre à proposer aux clients sur place. Nous avons diagnostiqué une certaine faiblesse notamment en termes d’animation. Je salue à ce titre le programme Go Siyaha, lancé il y a quelques semaines par le ministère du Tourisme et déployé par l’Agence Maroc PME, qui subventionne les porteurs de projets focalisés sur l’offre d’animation innovante et tout ce qui peut créer un plus pour la région.
Cela va nous permettre de compléter notre offre touristique. Côté projets, les médinas ont bénéficié d’une remise à niveau et sont prêtes, nous travaillons sur plusieurs axes au niveau patrimoine, nous développons certaines régions au potentiel naturel comme Aïn Zarqa, endroit magnifique mais qui aujourd’hui manque d’infrastructures … Toutes ces actions vont faciliter le drainage d’une nouvelle niche. Le Nord ne peut pas non plus se développer sans atteindre un marché de MICE. Dans ce sens, nous avons demandé la création d’un Palais des Congrès. Quant au tourisme interne, nous travaillons sur les mêmes axes avec l’accent porté sur l’offre produits plébiscitée par les nationaux qui devraient pouvoir découvrir différemment leur pays. Un total de 21 projets est prévu pour la région d’ici 2026 et nous sommes très ambitieux. À travers les statistiques, on remarque une véritable reprise depuis la fin du Covid-19 et un élan de tous les acteurs pour pouvoir atteindre, voire dépasser nos objectifs. C’est quelque chose qu’on ne ressentait pas dix années en arrière.”
“Parmi les points faibles, l’animation”
“Le secteur ne peut pas prospérer sans le développement des ressources humaines. C’est pour cette raison que dans la feuille de route, on a aussi fait le repositionnement des filières de formation pour répondre à ses besoins. Concernant les projets choisis pour la région, un grand nombre de professionnels et moi-même pensons que certains ne correspondent pas à la réalité du terrain et du marché, comme celui de créer un golf à Merzouga. Cela représente un très gros budget qui ne va pas aider à développer la région car quand on analyse le marché, on réalise que nous n’avons pas ce type de clientèle.
En revanche, il y a un projet intéressant de musée géologique à Erfoud qui peut enrichir l’offre touristique mais son très petit budget de 3MDH ne permettra pas de faire grand-chose. Idem pour le renforcement du musée du cinéma à Ouarzazate. Au niveau du CRT, nous avons collecté des idées de projets pour la région. Par exemple, à Rissani, ville connue historiquement dans la province d’Errachidia, on pourrait restaurer des sites comme le mausolée de Moulay Ali Cherif, Ksar Al-Fida, Ksar Oulad Abdelhalim, etc. À Ouarzazate aussi, pourquoi ne pas travailler sur le côté animation de la ville? Aujourd’hui, si on analyse la situation touristique de la région, le taux d’occupation ne dépasse pas les 25%, en particulier à Ouarzazate, par manque d’animation. Il y a des projets intéressants comme la création de Jemaa Al Fan (qui s’inspire du modèle de la place Jemaa Al Fna de Marrakech), la valorisation des Gorges de Toudgha et celles de Dadès où il faudrait proposer de l’animation.
La région souffre également d’un gros problème d’accessibilité. Si on veut développer le tourisme interne, il faut travailler sur l’infrastructure, notamment les routes. On cherche aussi à améliorer le marché aérien national. En avril dernier, Ryanair a inauguré la ligne Marrakech-Errachidia. À l’international, d’autres liaisons ont aussi été lancées comme Paris-Errachidia, Marseille-Ouarzazate, Londres-Ouarzazate. La première chose sur laquelle il faut travailler est l’infrastructure d’hébergement touristique essentiel pour accueillir cette clientèle. Dans toute la région, on compte un ensemble d’établissements délabrés qu’on doit restaurer, rénover, afin de proposer une infrastructure dans les normes et attirer, fidéliser une clientèle qui enrichira les sites touristiques de la région. C’est le facteur le plus important à mon avis, sans cela, on ne peut rien développer”.