À Essaouira, le brassage est à la fois musical, humain et intellectuel. Pour la 12e édition du Forum des droits de l’Homme, les organisateurs ont choisi de mettre en lumière les mobilités humaines et les dynamiques culturelles qu’elles engendrent. Un sujet d’une actualité brûlante dans un monde où les flux migratoires ne cessent de s’intensifier.
Dans son mot d’ouverture, Neila Tazi, productrice du Festival Gnaoua et cheville ouvrière de cet espace de réflexion, a rappelé combien il était vital de « réinscrire la culture au cœur du débat migratoire », soulignant que « la migration est aussi un vecteur de création ». Dans son propos, elle alerte sur un paradoxe : alors que les êtres humains circulent de plus en plus, les discours dominants sur la migration sont « appauvris, réduits à des logiques économiques ou sécuritaires », là où ils devraient, selon elle, célébrer la richesse des échanges culturels. « En changeant de lieu de vie, les individus emmènent avec eux leurs traditions, leurs langues, leurs croyances. Ils créent, parfois sans le savoir, des formes artistiques hybrides, des ponts entre les mondes », a-t-elle lancé.
La parole aux diasporas
La leçon inaugurale a été donnée par Driss El Yazami, président du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME), qui a livré un diagnostic sans complaisance sur les politiques migratoires actuelles. Selon lui, la migration, loin d’être une crise, est une réalité structurante de notre époque. « Aujourd’hui, un milliard de personnes sont en mobilité dans le monde, deux tiers des migrants vivent en Europe ou en Asie », a-t-il précisé.
Loin des clichés, il a plaidé pour une lecture renouvelée du phénomène, en soulignant la diversité croissante des profils migratoires : « à côté des travailleurs classiques, on observe la circulation des compétences, des étudiants, des mineurs non accompagnés ». Il a ainsi appelé à des politiques d’accueil capables de s’adapter à cette pluralité : « Cette diversité est une richesse, mais elle suppose une gouvernance adaptée. Il faut revoir la manière dont on pense l’identité, la citoyenneté et le vivre-ensemble. »
La première table ronde, particulièrement riche, a réuni des figures engagées venues de plusieurs continents. L’historien français Pascal Blanchard a montré comment l’histoire coloniale continue de peser sur les représentations des migrants. Kassie Freeman, présidente de l’African Diaspora Consortium, a mis en avant le rôle central de la diaspora africaine dans la transmission des cultures et la transformation des sociétés d’accueil. « Nos récits, nos langues, nos rythmes ont traversé les océans. Les diasporas ne sont pas passives. Elles créent, influencent, et transforment les cultures dominantes », a affirmé Kassie Freeman.
L’écrivaine Véronique Tadjo, quant à elle, a insisté sur la manière dont la migration nourrit l’imaginaire littéraire. « Le déplacement, volontaire ou contraint, est au cœur de mes récits. Il transforme le regard, le langage, les émotions mêmes », a-t-elle confié.
Essaouira, ville-monde
Le choix d’Essaouira n’est pas anodin. Ville de métissage par excellence, elle incarne ce que le Forum défend : un espace où l’identité se construit dans le dialogue, et non dans la fermeture. Comme l’a rappelé le maire de Saint-Ouen, Karim Bouamrane, présent au Forum : « Essaouira est un laboratoire de ce que peut être un vivre-ensemble apaisé, nourri par la musique, la mémoire et le respect. »
Le Forum, qui se prolonge jusqu’à demain, poursuit ses débats avec d’autres tables rondes portant sur les apports des diasporas dans les industries culturelles, la mobilité des artistes, et les nouveaux récits à construire dans un monde en mutation. Des jeunes chercheurs, artistes et militants prendront la parole pour témoigner de leur propre expérience migratoire ou interroger les politiques de fermeture.
Alors que le Festival Gnaoua célèbre la fusion des rythmes et des traditions, le Forum lui offre un espace d’analyse, de pensée et de dialogue. À Essaouira, la culture ne se contente pas de divertir, elle pense le monde.