En plus du mariage des mineures, de la filiation par ADN, les restrictions à la polygamie introduites en 2004 sont jugées également facilement contournées. Cette pratique n’a toutefois représenté que 0,3 % des actes de mariages en 2022, selon le Haut-commissariat au plan (HCP). “Les juges et les adouls bénéficient d’une marge de manœuvre considérable, ce qui permet à certains de contourner les normes établies par le Code de la famille”, déplore Bouchra Abdou, militante féministe. Elle ajoute : “Combien de maris obtiennent une autorisation de polygamie dans une autre ville, loin du regard de leur première épouse, avec la complicité de l’appareil judiciaire ?” Selon les dispositions légales en vigueur, la polygamie ne peut être autorisée que si la première épouse est informée et qu’elle ait exprimée son consentement dûment consigné par procès-verbal. Toutefois, si l’épouse actuelle refuse la polygamie, le juge est tenu de l’informer qu’une procédure de divorce sera automatiquement engagée. “Si l’épouse opte pour le divorce, le mari doit verser une compensation fixée par le juge dans un délai de sept jours. À défaut, la dissolution du mariage devient irrévocable”, explique Rachid Sebti, avocat et président de l’association régionale des jeunes avocats de Fès. Il poursuit : “Si le divorce n’est pas prononcé, l’époux peut alors légalement contracter un second mariage.”
Plaidoyer pour la refonte du Code de la famille
Face à ces mécanismes, Ghizlane Mamouni plaide pour une refonte des dispositions encadrant la polygamie, estimant qu’elles portent gravement atteinte à la dignité des femmes. “La menace du divorce place les femmes dans une position de vulnérabilité, les forçant souvent à accepter la polygamie sous peine de précarité économique”, insiste-t-elle. La militante appelle à l’abolition pure et simple de la polygamie, affirmant que l’égalité au sein du couple est un pilier fondamental pour la stabilité familiale et la cohésion sociale.
Toujours dans le sillage des défis complexes associés aux relations matrimoniales, la question du divorce s’impose comme un élément central exigeant une analyse approfondie. Bien que la Moudawana ait progressé dans certains aspects du mariage, le domaine du divorce reste une sphère où des réflexions approfondies et des ajustements pourraient s’avérer nécessaires. Ce dernier soulève inévitablement la question de la pension alimentaire, surtout en présence d’enfants. “Si nous avons pu établir des pourcentages pour les assurances en fonction des salaires et des biens, pourquoi ne pas adopter la même logique pour la pension alimentaire ?”, s’interroge Bouchra Abdou. Elle préconise que les tribunaux puissent avoir un accès direct aux comptes bancaires des époux, à l’instar de la DGI dans le cadre du contrôle fiscal des entreprises, afin de fixer des montants justes et assurer le bien-être des enfants loin des résistances et des fausses déclarations des parents.
La pension alimentaire n’est pas la seule indemnité laissée à la libre appréciation du juge. La Mout’â ou don de consolation que doit le mari à son épouse après avoir initié le divorce, est une sorte d’indemnité compensatoire de prestation, elle aussi évaluée par le juge. Ce dernier prend en considération la durée du mariage, la situation financière de l’époux, ainsi que les motifs du divorce pour déterminer son montant. En ce qui concerne la Mout’â, la sphère militante ne s’attarde pas sur la méthode de définition de la valeur de cette indemnité, mais plutôt à sa nature même. “L’appellation même de la Mout’â (NDLR : traduite littéralement par jouissance) est une discrimination envers les femmes qui ne sont pas les objets des hommes. L’indemnité doit plutôt concerner des dommages collatéraux que subit la femme après le divorce, surtout si elle se retrouve sans logement ni travail”, nuance Zahia Amoummou. Elle plaide également en faveur de l’adoption d’un barème pour cette indemnité, soulignant que “toute appréciation subjective du juge devient une discrimination envers les femmes qui ont été des épouses, des partenaires dans un ménage et non pas des objets”.
Un autre grand espoir dans cette nouvelle réforme concerne la garde des enfants, problématique brûlante dans les procédures de divorce. Les femmes divorcées avec enfants se heurtent à des obstacles qui compromettent leur capacité à reconstruire leur vie. Zahia Amoummou souligne : “Un père remarié n’aura pas de problème à conserver la garde de ses enfants. En revanche, si c’est la mère qui se remarie, le père peut en revendiquer la garde, l’empêchant ainsi de refaire sa vie.” Pour elle, cette disposition est indiscutablement discriminatoire et doit être abolie pour garantir l’égalité des droits entre hommes et femmes dans le cadre du droit de la famille.
Les enjeux soulevés par la Moudawana ne se limitent pas à des questions de légalité, mais touchent également aux principes fondamentaux de dignité et d’égalité. Pour bâtir un avenir où chaque individu, homme ou femme, peut s’épanouir sans crainte des inégalités institutionnalisées, une réforme audacieuse et bien pensée est non seulement souhaitable, mais essentielle. Le temps est venu de transformer ces aspirations en actions concrètes, en dépassant les résistances et en œuvrant pour un système qui reconnaisse véritablement la valeur de chaque partenaire dans le mariage.