Des campagnes, des chiffres livrés de temps en temps à l’opinion publique pour sensibiliser à l’étendue du fléau, des enquêtes nationales pour dresser un état des lieux, des émissions de débat pour en discuter encore et encore. Est-ce que cela est suffisant pour en finir avec la violence faite aux filles et aux femmes ? Non. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant.
Au Maroc, le taux de prévalence de ce phénomène endémique frôle les 55%, selon la dernière enquête nationale. En dépit d’une forte mobilisation de la société civile qui dénonce, sensibilise, interpelle et revendique et malgré l’engagement politique qui se traduit par l’adoption de la loi 103-13, même si celle-ci reste perfectible, les chiffres ne reculent pas. Il y a lieu de se poser des questions : qu’est ce qu’il faut faire encore pour venir à bout des violences basées sur le genre ?
Lors d’une journée d’études organisée à la fin du mois de septembre à l’Institut Royal de Police de Kénitra, l’accent a été mis sur la nécessité de renforcer la coordination intersectorielle pour améliorer la prise en charge des femmes et des filles victimes de violence au Maroc. À cette occasion, ont été présentées les 132 cellules d’écoute opérant au niveau de la Police Judiciaire et pour la première fois 437 autres dans les arrondissements. Et selon les dispositions contenues dans la loi 103-13, ces cellules devront assurer l’accueil l’accompagnement, le soutien, l’écoute et l’orientation des femmes et des filles ayant subi des violences que ce soit dans la sphère privée ou dans l’espace public. Ces mesures indiquent clairement que le Maroc s’engage dans la mise en œuvre de la loi sur la violence faite aux femmes. Mais le combat, de l’avis des associations féminines et des Droits de l’Homme, est loin d’être fini.
Mais que se passe-t-il dans d’autres pays ? En Nouvelle-Zélande, aux Etats-Unis ou encore en Espagne pays considéré comme pionnier en matière de lutte contre la violence basée sur le genre, l’Etat, la société civile ou quelquefois des particuliers s’inscrivent dans cette lutte et apportent des solutions qui apparaissent à première vue élémentaires, mais qui ont un impact certain sur la vie et le quotidien des femmes victimes de violence.
Loin des yeux, loin des poings
Dans la petite ville de San Luis Obispo en Californie aux Etats-Unis, en 1997, deux jeunes frères, alors étudiants, créent une entreprise de déménagement. Celle-ci s’est développée beaucoup plus vite qu’ils ne le pensaient et a commencé à faire des bénéfices importants. Aaron et Evan se sentant privilégiés, ils décident de redonner à la communauté et ont commencé à proposer des services de déménagement gratuits aux femmes victimes de violence domestique, qui souhaitent quitter le foyer conjugal. Lorsqu’une victime appelle “Meathead movers”, un camion est dépêché et une équipe se charge d’emballer et de transporter les meubles vers une nouvelle adresse, mettant ainsi à l’abri, en l’éloignant, la femme accompagnée parfois de ses enfants. Une façon d’ôter le pouvoir au conjoint violent, explique-t-on du côté des associations dans un reportage diffusé dans les médias américains. Souvent, les femmes victimes de violence subissent dans la douleur et le silence, faute de moyens. En les aidant à déménager sans frais, “Meathead movers”, sauve des vies. L’entreprise très sensible à cette cause, a même lancé une campagne “Move to End DV” pour encourager d’autres entreprises à les rejoindre et alléger le fardeau de ces femmes. Les salariés de cette entreprise citoyenne sont tous des étudiants athlètes.
Un congé qui sauve des vies
En Nouvelle-Zélande, depuis le 1er avril 2019, les femmes victimes de violence ont droit à un congé payé pour entamer les démarches nécessaires et se protéger contre les abus dont elles font l’objet. Sur un site web institutionnel qui relève du ministère du Commerce, de l’Innovation et de l’Emploi néo-zélandais, il est clairement mentionné toutes les mesures qui ont été prises dans la loi. Il s’agit d’un congé payé d’au moins 10 jours, en dehors des congés annuels ou des arrêts maladie que l’employeur est tenu d’accorder. Ce dernier a toutefois le droit d’exiger une preuve de l’existence de violence familiale. Il est question également d’aménagement des horaires de travail, une souplesse qui peut s’étendre à deux mois. Les employées à qui l’on opposerait un refus peuvent avoir recours à une Commission des Droits de l’Homme, de même que les employeurs peuvent être sanctionnés s’ils ne respectent pas ces dispositions. Et c’est ainsi que les femmes victimes de violence sont plus disponibles pour lancer les procédures judiciaires qui sont souvent longues ; elles savent qu’elles ne perdront pas leur emploi à cause d’absences répétées. La loi est de leur côté.
Aux grands mots, les grands remèdes
En Espagne, un conjoint n’a pas intérêt à violenter sa partenaire, car il risque de le payer très cher. Une loi parue en 2004 condamne avec fermeté tous les actes de “violence machiste” et des tribunaux spéciaux ont été créés pour traiter les dossiers liés aux violences domestiques. Quand bien même une femme ne dépose pas plainte contre son conjoint ou son ex-conjoint, l’Etat peut juger que celle-ci est en danger et se saisir de l’affaire sur simple signalement des voisins ou intervention de la police dans l’espace public. Grâce à ces structures judiciaires dédiées, les dossiers sont instruits en 72 heures tout au plus et le procès a lieu dans les 15 jours. Un conjoint violent risque une peine d’emprisonnement ou l’obligation de porter un bracelet électronique, une mesure d’éloignement qui protège la victime et dont les résultats ont l’air d’être probants, puisque la France a décidé en juillet dernier d’adopter DEPAR (Dispositif Electronique de Protection Anti Rapprochement). Il faut retenir cependant que l’Espagne a consacré des budgets conséquents pour mettre en place sa politique de lutte contre la violence faite aux femmes : 200 millions d’euros mobilisés depuis 2017, date de création d’un pacte national. Oui, en Espagne, la lutte contre la violence machiste est une priorité nationale.
La campagne de lutte contre la violence faite aux femmes va être lancée, comme tous les ans le 25 novembre, durant laquelle la société civile se mobilise pour informer, sensibiliser et réclamer plus de moyens et plus de dispositions légales et de mesures efficaces pour faire obstacle à toutes les formes de violence. La volonté de protéger et de prendre en charge les femmes victimes de violence est évidente, mais il en faut un peu plus pour obtenir des résultats probants. Prenons l’article 496 du code pénal qui punit de l’emprisonnement de 2 à 5 ans et d’une amende quiconque “sciemment cache ou soustrait aux recherches une femme mariée qui se dérobe à l’autorité à laquelle elle est légalement soumise”. Comment une ONG peut envisager d’accueillir une femme ayant quitté le domicile conjugal pour cause de violences en sachant qu’elle enfreint la loi ? Une question parmi d’autres qui méritent de faire l’objet non pas d’une conférence ou d’une campagne de sensibilisation, mais un débat national, un Grenelle qui réunirait tous les acteurs pour marquer un engagement réel en faveur des filles et des femmes dont la vie est menacée. Il ne s’agit pas d’une question de droits des femmes, il s’agit d’une cause nationale.