Un espace public accessible… sous conditions

Il ne suffit pas que la société marocaine adresse des signaux encourageants en direction de la mixité sociale et de la libre circulation des femmes dans l’espace public. Car... la théorie n’est pas la pratique, la petite ville n’est pas la grande métropole, et le schéma de la femme “objet sexuel” et proie potentielle reste activé dans les esprits. Bricolage et compromis sont toujours d’actualité !

Chaque fait divers répertorié (agressions de jeunes femmes dans la rue ou les transports en commun) et largement relayé par les réseaux sociaux nous ramène à une triste réalité : aborder l’espace public marocain n’est pas une sinécure pour la moitié de la population qui porte jupons. Des notions basiques comme la sécurité, la tranquillité, le respect de l’individualité, la liberté d’accoutrement et de se mouvoir sont loin d’être garanties

Procureurs de rue, quelle est la nature du crime commis ? Eh bien, sur une jupe jugée trop courte, un habillement considéré comme aguichant, un maillot échancré réveillant la testostérone qui déborde, la meute peut se déchaîner et déraper de manière gravissime. Pire : le seul critère d’appartenance au sexe féminin peut faire d’une simple promeneuse une friandise convoitée par des jeunes gens qui lui chuchotent des insanités et/ou la harcèlent, lui collant au train. Et que l’on soit enceinte jusqu’aux dents, handicapée, veuve éplorée ou d’un âge certain n’y change rien, on peut subir de la même façon le feu roulé des quolibets flatteurs ou des insultes. Ailleurs, dans des lieux dédiés au festif et à la détente, des regards masculins lourds vous soupèsent s’il vous arrive de griller une cigarette en terrasse ou d’aller faire de manière décomplexée la bamboula avec les copines…

Nos propres gènes d’autocensure

En réalité, nous sommes déjà conditionnées depuis notre plus jeune âge par l’éducation parentale. Toutes ces fameuses phrases à destination exclusive des jeunes filles : “attention aux mauvaises rencontres ; si on te parle, passe ton chemin ; ne sors pas la nuit toute seule, c’est trop dangereux, etc.”, entretiennent notre paranoïa et nous apprennent que nous sommes une espèce tout juste tolérée en extérieur. Décryptage express : dès qu’il s’agit d’aller y traîner nos courbes séduisantes, la rue est anxiogène pour une femme. Et l’homme serait un loup qui pratique la drague lourde, soit le sport national le plus prisé après le foot !

Maintenant, aux anciennes appréhensions de nos parents se rajoutent les nôtres dans un contexte où la montée du conservatisme religieux se le dispute à la poussée sauvage du net ayant érigé la pornographie en référent.

“J’ai bien intégré que même par 40°de température, il est préférable de ranger mon petit top dénudé au placard pour aller chez mon marchand de dvd situé dans un quartier populaire”, indique Najoua. Sa jeune femme de ménage n’est pas en reste non plus, elle n’oublie pas de recouvrir ses cheveux d’un voile de circonstance dès lors qu’elle quitte les beaux quartiers où elle officie.

“En tant que femme seule, lorsque je sors, je cible en priorité les cafés des quartiers aisés ou  les endroits de loisirs ou culturels, là où je sais que je vais rencontrer à priori des gens civilisés et respectueux”, témoigne Nadia. La trentenaire indépendante avoue être avantagée par le fait d’habiter une grande ville et de posséder une voiture pour circuler le soir sans problèmes. Elle et ses amies préfèrent également fréquenter en été des plages privées pour ne pas se retrouver avec une faune masculine locale qui décrierait leur bronzette en tenue de bain. Ghettos, vous avez dit ghettos de riches ?

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Que dit la nouvelle loi ?

La récente loi adoptée au parlement, contre les violences faites aux femmes a inclus de nouvelles dispositions : toute personne impliquée dans le harcèlement au sein de l’espace public (agression, gestes déplacés, remarques à connotation sexuelle, insinuations, sifflements…) encourt d’un à six mois d’emprisonnement et une amende de deux mille à dix mille dirhams.

La forme du harcèlement n’est pas cantonnée à l’oral, puisque des lettres écrites, des sms, des e-mails, des enregistrements vocaux ou des photos peuvent également constituer des éléments à charge. En outre, la peine sera doublée au cas où le mis en cause serait un collègue de travail ou un élément chargé de la sûreté dans les lieux publics. 

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Espace public : nature et culture

Comme le souligne Fouad Benmir, sociologue : “l’espace public a une portée sociologique importante, puisqu’il s’agit du lieu physique où un individu rencontre la société et est en interaction avec ses membres. Sa structuration dépend de la culture de ladite société, de ses normes, us et coutumes, et de la vision du rôle attribué à chaque sexe”. Or, dans notre culture à dominante machiste, par effet de calque, les mêmes comportements nous rattrapent à l’extérieur. “En dépit de l’ouverture observée au cours des deux dernières décennies, le masculin considère toujours “le dehors” comme son territoire de chasse, où la femme, maillon faible de la chaîne est épinglée, stigmatisée en tant qu’objet de désir, de fascination, ou proie potentielle”, explique le spécialiste. Entendez par là : un fantasme sur talons pour les frustrés de tous poils, et une tentatrice pour les barbus surdosés en poils !

Évidemment, nous ne sommes pas à Raqqa et l’incivisme sexiste ne sévit pas partout, en tout temps et lieux, dans le plus beau pays du monde. Mais justement, il est là, le hic : tous les espaces publics ne se valent pas en termes de sécurité et de quiétude. Notre sociologue apporte la bonne nuance : “Tout dépend où l’on se trouve, et de l’environnement afférent. Les lieux, où il y a une grande densité de population (quartiers populaires, souks, etc.), peu sensibilisés sur l’égalité des genres sont propices aux débordements. À noter en outre qu’il y a des différences notables entre les grandes villes plus anonymes et la province/ rurale, où tout le monde se connaît et où il faut faire attention aussi aux fréquentations qu’on affiche”. Khadija, qui habite une petite ville côtière, ne risque pas de le contredire : “pour prendre un pot avec un garçon, je suis obligée de m’expatrier à Mohammedia, la grande ville la plus proche. Dans mon bourg, j’aurai l’impression que des centaines d’yeux me scrutent, que des voisins vont me reconnaître…”. Car, en tant que célibataire, Khadija a très peur pour son image et sa réputation !

L’endroit où on vit, le lieu choisi pour sortir, l’heure et le prétexte pour prendre l’air, le degré de misogynie ambiant, le “déguisement” pour échapper aux radars du tberguig et du jugement, voilà autant de paramètres qui régulent l’approche de l’espace public pour les femmes. Ces dernières, après avoir “checké” toutes ces données, s’adaptent au contexte, en prenant les précautions qui s’imposent ou en se réfugiant parfois dans des stratégies d’évitement.

“Finemchi”, la dernière application en vogue qui fait fureur auprès de ces dames est à cet égard révélatrice du malaise qui entoure la question de l’accessibilité féminine à l’espace public. Safaa El Jazouli, sa créatrice indique qu’il est désormais possible de se renseigner sur un lieu pour savoir s’il est agréable et “safe” pour une femme ou un groupe de copines. On en est là…

Extension virtuelle de l’espace public

De la rue à l’écran… In fine, l’avènement des technologies numériques qui a créé des niches de communication en réseau a aussi importé la violence du harcèlement dans une autre dimension. Et sans foi ni loi, les cyber-harceleurs, pour peu que votre profil facebook, Messenger ou Instagram ne soit pas verrouillé s’en donnent à cœur joie dans la surenchère des compliments, invectives et commentaires salaces, outrages répétés à demoiselles, voire menaces. “Je n’accepte aucune demande d’ajout d’amis, de la part des personnes que je ne connais pas. J’ai trop peur de tomber sur un prédateur ou un salopard qui aurait accès à mes photos et à mes écrits”, martèle Mounia qui a déjà été exposée à cette mésaventure par le  passé. Décidément, les restrictions se suivent et se ressemblent…

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Interview de Fouad Benmir, sociologue à Casablanca

Le statut de la femme influe-t-il dans son abord de l’espace public?

“Dis-moi à quelle catégorie de femmes, tu appartiens, je te dirai qui tu es”, c’est un peu cela, effectivement. Mariée, accrochée au bras de votre compagnon de vie, ou traînant la poussette du petit dernier, vous êtes protégée par votre statut social, à l’inverse d’une femme seule, divorcée ou célibataire. Car dans la tête de beaucoup de gens, la femme dans l’espace public a besoin d’être protégée, accompagnée par son frère, son père ou son mari qui servent de rempart. Elle ne peut jamais y être complètement libre ou faire ce que bon lui semble. Ce qui amène à dire qu’elle n’est pas encore perçue comme un individu à part entière, doté de ses propres choix et de sa latitude d’action. Si dans certains espaces “privilégiés”, les femmes se meuvent à leur guise et jouissent de leur pleine citoyenneté, elles restent malgré tout obligées de composer avec d’autres environnements plus défavorables.

Y’a-t-il des choses permises aux hommes et qui sont interdites aux femmes dans l’espace public ?

Rien ne leur est interdit formellement; mais elles s’exposent à des comportements agressifs ou discourtois de la part, soit de missionnaires idéologues, soit de séducteurs de pacotille lorsqu’elles affichent leur choix de vie sans filtre. Voyager seule, se vêtir à leur guise, se promener dans un quartier populaire, s’attabler dans un café à population exclusivement masculine, se baigner en maillot deviennent de tels chemins de croix, qu’elles y renoncent parfois ; craignant d’être importunées ou violentées par leurs pairs masculins.

La nouvelle loi contre le harcèlement de rue peut-elle changer la donne ?

Il s’agit bien entendu d’une avancée considérable, puisqu’à condition qu’elle soit appliquée, l’impunité ne sera plus de mise. Mais que ce soit la loi ou d’autres solutions évoquées un temps (comme séparer les femmes et les hommes, dans les transports en commun, en instituant des bus roses), cela ne va pas régler le problème sur le fond. Il faut travailler sur des solutions stratégiques, bien en amont, dans les institutions de socialisation, à des âges précoces : famille, école, médias, mosquée. Concernant ces dernières, des prêches du vendredi axés sur le respect du à la femme (qui est la fille, la mère, la sœur) pourraient avoir un fort impact sur les mentalités ! 

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