Un beau matin sur la corniche casablancaise, où tout semble tranquille, se déclenche, à la surprise générale, une incroyable course-poursuite, digne d’un film américain. Une véritable chasse à l’homme – ou plutôt une chasse au chauffeur – s’est engagée entre taxis rouges et une voiture prise au piège. Paniqué, le chauffeur finit, encerclé, par emboutir sa voiture contre un réverbère. Et les taxis rouges de terminer leur chasse par des insultes, des coups et autres ricanements. Quel crime avait donc commis cet homme pour déchaîner une telle colère ? Uber. À ce seul mot, il était devenu leur ennemi juré, le voleur de leur pain sacré. Plus qu’un concurrent, un traître à éliminer sans même passer par les forces de l’ordre. Où sont-elles passées d’ailleurs ?
Pétition contre la mafia des taxis
En réponse à cette question, une jeune femme, témoin de ces scènes récurrentes de chasse à l’homme et régulière utilisatrice d’Uber Maroc, a décidé, exaspérée, de lancer une pétition citoyenne afin d’interpeller le ministère des Transports et la wilaya de Casablanca. Objectif ? Réveiller les autorités sur la réalité de la guerre urbaine qui s’opère sous les yeux des citoyens. Sur Avaaz.org, la pétition a déjà rassemblé 2000 signatures. “Nous, Casablancais, sommes désormais dépossédés de notre droit à circuler et à être transportés librement et en toute sécurité dans le Royaume. Par votre passivité, votre attentisme et votre immobilisme, vous avez laissé la ville à l’abandon, livrée à une anarchie sans précédent. Nous vous implorons d’agir le plus rapidement possible et de manière effective dans un premier temps sur le problème des taxis et de Uber”, énonce la pétition.
La pétition réclame également une clarification sur la législation quant à la société Uber, encore trop floue. “Tous les jours, des chauffeurs de la société Uber sont pris pour cible par les taxis dans les rues de Casablanca, à la vue de tous. Les chauffeurs sont encerclés. Puis dépossédés de leur véhicule. Récemment, des chauffeurs Uber ont été agressés physiquement, là encore à la vue de tous”, témoigne la pétition.
“Le Maroc ne peut faire l’économie de la révolution qui affecte le marché du transport sous l’effet de la multiplication des solutions collaboratives innovantes”, ajoute Meryem Belqziz, directrice générale d’Uber Maroc. “Cette pétition est une excellente initiative, qui montre le soutien croissant des clients pour Uber au Maroc. Et pour cause ! Nous sommes une réponse réelle et économique à une problématique des citadins dans les grandes métropoles comme Casablanca et Rabat : comment commander une course en un seul clic et être transporté dans de bonnes de conditions tout en étant en sécurité ?”
Une législation flottante
Selon Meryem Belqziz, “la société opère légalement sur le marché marocain en tant qu’entreprise depuis deux ans”. Malgré l’aversion des taxis et la léthargie des pouvoirs publics pour l’ouverture du marché du transport vers les solutions collaboratives innovantes, Uber continue de consolider son positionnement sur le marché local. En effet, après Casablanca, Uber débarque à Rabat. L’application, téléchargeable sur mobile, permet d’utiliser deux services, UberX et Uber Select, correspondant à deux types de transport avec chauffeur, avec la possibilité de payer par carte bancaire ou en espèces. “Uber est une entreprise de technologie. Notre application pour smartphones met en relation des chauffeurs indépendants avec des passagers inscrits sur la plateforme, dans un unique but : commander une course en un seul clic.” L’application mobile référence déjà plus de 22.000 chauffeurs dont 500 actifs par mois.
D’autres applications ont bien sûr imité le concept, tels que Careem, qui fonctionne sur le même mode. Comment est-il alors possible qu’une horde de taxis se donne la légitimité de faire sa justice sous prétexte d’une illégalité d’Uber au Maroc ? Sans que la wilaya ne souffle mot…
Illégal or not illégal ?
“Nous opérons d’une manière légale en tant que filiale marocaine de la firme américaine Uber. À l’instar de notre retour d’expériences au niveau mondial, l’écosystème traditionnel de transport est toujours farouche au démarrage de nos activités”, commente la directrice générale. Pourtant, un autre son de cloche a retenti du côté du wali de Casablanca, Abdelkbir Zahoud, qui a déclaré : “Notre mission est d’améliorer les prestations au public, mais il faut le faire dans un cadre légal. À ma connaissance, la société Uber n’est pas encore autorisée.”
Ce à quoi rétorque Uber : “En tant que société, Uber Systems Morocco, société de droit marocain, est établie de manière légale et remplit tous ses devoirs légaux.” Quiproquo ? Paradoxe législatif ? Le wali n’a pas souhaité s’étendre sur le sujet, affirmant que la pétition allait être examinée par ses services. Le ministre des Transports, Abdelkader Amara, est demeuré également discret sur le sujet, refusant pour le moment de statuer.
Guerre des taxis : virulence rouge
En attendant que les autorités asseyent enfin la légalité de la société et punissent ceux qui pensent faire leur propre loi, les petits taxis continuent leur chasse aux sorcières et sèment la zizanie. Leurs réclamations ?
“Uber n’a pas lieu d’être au Maroc ! Le transport en taxi est très règlementé et difficile”, commente un chauffeur de taxi impliqué dans cette lutte. “Il est injuste qu’ils gagnent plus que nous pour le même travail, nous volant notre clientèle en toute impunité ! Nous seuls avons le droit de transporter les Marocains en étant payés.” Pourtant, les responsables Uber rétorquent que l’application ne s’adresse pas à la même clientèle ni aux mêmes portefeuilles : une course moyenne coûterait entre 20 et 50 DH avec un chauffeur Uber contre 8 à 30 DH pour un petit taxi. “Le phénomène de résistance du marché traditionnel de transport au démarrage de l’application dans les grandes métropoles du monde a été observé aux États-Unis et en France avec des incidents similaires. C’est une acceptation qui prend parfois du temps mais qui finit par arriver. Au niveau du monde arabe, plusieurs pays ont adapté leur réglementation au transport collaboratif. La preuve, il suffit de consulter les chiffres du succès d’Uber en Egypte, en Jordanie et en Arabie Saoudite. Le Maroc doit saisir les opportunités d’innovation qu’on lui présente”, ajoute la directrice générale de Uber.
Une source d’emplois non négligeable
En outre, selon les prévisions de ces nouvelles méthodes de transport participatif, les sociétés telles que Uber pourraient générer de nombreux emplois : 12.000 à l’horizon 2020 ! Chaque chauffeur peut ainsi gagner, à raison de 15 à 20 courses par jour, un salaire de 12.000 DH par mois.
Mais pour l’instant, difficile de faire accepter à tous ce nouveau mode de transport : selon les statistiques données par l’entreprise, 40% des utilisateurs de la plateforme sont des touristes en provenance de France, des USA et de Chine principalement. La léthargie dans laquelle se sont enfermées les autorités des transports marocains et la wilaya de Casablanca entraîne un sérieux manque à gagner pour le décollage de nouvelles opportunités économiques. L’enjeu est d’abord la création de l’emploi dans un contexte de chômage élevé, surtout chez les jeunes diplômés. Les pays qui ont compris l’opportunité d’intégrer l’économie collaborative à leur dispositif légal et juridique arrivent à booster la dynamique de leur marché de l’emploi et à améliorer la mobilité urbaine de leurs concitoyens. Ce manquement à une législation claire serait-il lié à une décision politique ? Pourquoi une ambivalence qui n’en finit plus de durer ? Il reste seulement à espérer que la décision de statut et l’adaptation de la réglementation marocaine à ces nouvelles solutions de transport arrivent le plus vite possible. À suivre.