Est-ce la première fois que vous travaillez ensemble ?
Touria :Non, ce n’est pas la première fois. On a déjà travaillé ensemble sur un télé-film, “Le petit bonheur” de Hamid Benna-ni, diffusé sur 2M, qui avait fait un tabac à l’époque. On a également collaboré sur un film d’Abdelkarim Darkaoui, “Trik Essah”. Mais depuis le jour où on s’est rencontrées, et cela remonte à une dizaine d’années, le courant passe très bien, comme si nous étions copines depuis toujours !
Majdouline :Nous avons en effet joué en-semble dans trois téléfilms, dont “Stress”, de Hakim Noury, et “Youm ou Lila”, de Naoufel Berraoui.
Sur le tournage, étiez-vous sur la même longueur d’onde ?
Touria :On est toutes les deux farceuses. On aime rigoler et s’amuser. Sur les tournages, on ne cesse de faire des blagues afin de travailler dans une ambiance bon enfant. On n’hésite pas à exprimer ce qu’on pense réellement, on ne se met pas trop de pression. D’ailleurs, je pense que cette alchimie se ressent à l’écran. J’adore collaborer avec Majdouline car on n’éprouve aucune gêne à demander l’avis de l’une sur la prestation de l’autre, à solliciter des conseils pour certaines scènes… Quand j’évolue avec elle, je veille toujours à ce qu’elle donne le meilleur d’elle-même, pour qu’elle soit parfaite à l’écran.
Majdouline :Je dirais même que l’actrice avec laquelle je m’amuse le plus sur un plateau de tournage est bel et bien Tou-ria. Quand on se retrouve, on met le feu sur le plateau tellement on s’entend bien ! On n’arrête pas de rire, de se taquiner… On échange effectivement beaucoup de conseils. Surtout elle, car elle a plus d’ex-périence que moi. Touria n’hésite jamais à me proposer des idées. C’est toujours un grand plaisir !
Izza, interprétée par Touria Alaoui, est une campagnarde naïve, impulsive et soumise. Alors qu’Aziza, jouée par Majdouline Drissi, est une femme forte et rebelle. Y a-t-il un rapport entre l’interprète et son personnage ?
Touria : Je joue le rôle d’une femme analphabète, simple et naïve. Mais elle est loin d’être faible et soumise, car elle a été amenée à prendre d’importantes décisions pour elle et pour sa famille. Elle s’arrange toujours pour arrondir les angles avec sa belle-famille. C’est quelque part une force. Le point commun entre Izza et moi est incontestablement le fait d’être jusqu’au-boutiste. Dans la vie, je vais toujours au bout de ce que j’entre-prends. Et puis, ce côté innocent que le personnage dégage fait aussi partie de ma personnalité.
Majdouline :Je joue une prostituée. C’est un personnage qui me fascine. Je pense que les filles de joie sont des femmes très inté-ressantes, d’autant plus que c’est un univers qui m’est étranger. D’ailleurs, dès que j’ai la possibilité de rencontrer l’une d’entre elles j’aime discuter, l’observer, sans pour autant la juger. Le point commun entre le person-nage et moi-même est sans doute la force de caractère. La bonté aussi. On me trouve serviable et il est vrai que j’aide souvent ceux qui sont dans le besoin.
Auriez-vous accepté d’échanger vos rôles ?
Touria :J’aurais adoré jouer le rôle destiné à Majdouline. Une prostituée forte, fière, qui ne se laisse jamais marcher sur les pieds. Si le réalisateur me l’avait proposé, j’aurais ac-cepté sans aucune hésitation ! C’est le genre de personnage qui me permet de laisser libre cours à mes pulsions et à mes délires artis-tiques. On me dit souvent que je suis “fofolle” et que j’ai un tempérament bien trempé. Et puis, en tant que comédienne, j’aime relever les défis et entrer dans la peau de protago-nistes de cette puissance. Le rôle de la pros-tituée est très intense et riche. Il nécessite beaucoup d’émotion et de force.
Majdouline :Oui, sans hésitation ! Il est vrai que le rôle d’Izza, la campagnarde, est plus difficile, car il est différent de ce que je fais d’habitude, de mon style d’interprétation. Mais j’avais tout de même envie de tenter l’expérience… ne serait-ce que pour travailler avec Touria ! En plus, en tant qu’actrice, il faut savoir être un véritable caméléon.
Comment prépare-t-on un tel rôle ?
Touria :Mine de rien, mon rôle est difficile à jouer. Il faut constamment faire attention à la manière avec laquelle les gens s’expri-ment. J’ai effectué un certain nombre de voyages dans des petits patelins, surtout chez moi, aux environs de Taroudant. Je n’ai cessé de discuter avec les femmes, d’ob-server leur gestuelle, leur manière de s’ex-primer, leurs habitudes… J’étais fascinée, en particulier par l’une d’entre elles, dotée d’une beauté et d’une intelligence extraor-dinaires. Elle a été une réelle source d’ins-piration. J’ai aussi fait un grand travail sur le langage dialectal arabe, car à la base, mon vocabulaire est très casaoui(rires)
Majdouline :Je pense qu’il faut rencon-trer les gens afin de mieux cerner leur univers, leur vécu et la manière dont ils ré-fléchissent. Il faut aussi être à l’écoute du réalisateur, qui vous explique sa vision du personnage et ce qu’il attend de vous. Par contre, je n’aime pas m’attar-der sur la gestuelle, car j’ai peur d’être superficielle et de manquer de naturel.
Le film fait référence à l’aspect cruel et nocif de Ca-sablanca. Est-il facile pour une femme lambda d’évo-luer dans cette ville monstre ?
Touria :Bien qu’elle soit belle et riche, Casablanca est une ville machiste. Aujourd’hui, il est très difficile pour une femme de circuler dans la rue sans être dérangée par un homme qui se croit tout permis. Tout est sujet à la cri-tique : ta manière de t’habiller, ta façon de te coiffer, ta démarche… C’est une ville virile ! On ne peut pas s’asseoir sur un banc sans être abordée ou draguée. Cela devient intenable au quotidien.
Majdouline :Il est vrai que Casablanca est une ville dan-gereuse, où les agressions se comptent par centaines. Et c’est le cas partout, que ce soit dans un quartier populaire ou huppé. Pour sortir, il faut toujours être accompagnée par un homme pour espérer rentrer indemne.
Justement, que pensez-vous du nouveau projet de loi anti-harcèlement ?
Touria :Vous savez, ce projet de loi est la concrétisa-tion d’un rêve d’enfance. J’ai toujours eu envie que les autorités pensent à cette problématique en proposant une loi qui sanctionnerait le harcèlement sexuel. En outre, celle-ci peut également pousser les hommes à se remettre en question et à réaliser que la drague relève de la vie privée. Parce que chez nous, ils considèrent que c’est leur droit le plus légitime. Et la société marocaine ne cesse de nourrir cette croyance.
Majdouline :J’ai vécu huit ans au Canada où la drague est punie par une amende, même dans les endroits où c’est une pratique plus ou moins tolérée, comme dans les dis-cothèques. Si la cible est gênée, le harceleur est sanctionné. Et pour les gens qui veulent faire des rencontres, il y a jus-tement des bars et restaurants qui organisent des soirées pour répondre à ce besoin. Cette loi peut être une bonne chose, encore faut-il attendre d’en savoir plus et que celle-ci entre en vigueur pour se prononcer sur le sujet.
Et sinon, sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Touria :Je suis en train de rédiger mon premier one-wo-man-show. Pour l’instant, j’ai à peine trouvé l’idée princi-pale, que je développe au fur et à mesure… Je ne peux vous dire quand celui-ci sera prêt, car pour m’assurer qu’il soit abouti, je prends tout mon temps. C’est un spectacle qui fera référence aux stéréotypes marocains, sous la forme de l’autodérision. En parallèle de ce projet qui me tient à cœur, j’étudie quelques propositions.
Majdouline :Je prépare la sortie du nouveau film de Jilali Ferhati, qui sera bientôt dans les salles. En juin der-nier, j’ai terminé un long-métrage avec Tala Hadid : “The Narrow Frame of Midnignt”. Je suis également en plein tournage de celui de Mohammed Mouftakir, qui s’appel-lera “Le silence du père” ou “L’orchestre des aveugles” (le titre n’est pas définitif, N.D.L.R.). C’est d’ailleurs un réalisateur avec lequel j’ai déjà travaillé dans “Pégase”. Enfin, je me prépare pour un départ en France, sur le tournage de “La bâtarde”. â—†