Branchés sur Internet en permanence, nos ados se familiarisent de plus en plus avec des pratiques sexuelles que nous, parents, jugeons dégradantes. Comment leur apprendre à dire non à des comportements incompatibles avec leur sensibilité ?
“J’ai été alertée par ma sœur, elle-même avertie par sa fille : ma gamine de 13 ans avait posté sur Facebook une série de photos très suggestives, dans des postures lascives qui m’ont laissée sans voix. J’ai soudain réalisé que mon bébé aux joues rondes était devenue femme. Une femme qui se mettait en scène dans des positions en totale inadéquation avec ce qu’elle est : une enfant qui câline encore sa poupée préférée quand elle se sent mal”, explique Nadia, une maman inquiète qui ajoute : “Je me suis armée de courage et j’ai regardé sur le net ce que les jeunes peuvent mater dans leur chambre, à l’abri du monde extérieur. Et j’en ai été malade : tant de barbarie sexuelle, tant de bestialité m’ont donné la nausée des journées durant, incapable que j’étais de chasser ces images de ma tête, moi la quadra féministe bien dans sa peau qui pilote ma sexualité depuis plus de deux décennies en brisant les tabous…”
De plus en plus d’ados testent des pratiques sexuelles que l’on peut juger dégradantes, même en mettant la morale au fond de la poche avec un mouchoir par-dessus. “Les fellations, c’est devenu banal, raconte Yosra du haut de ses 17 ans. Faut pas rester coincée ! On est à l’ère de la 5G, faut que les parents se réveillent !”
Assouvir son besoin d’Amour
Coup de massue sur la tête des parents qui n’auront jamais la dextérité numérique de leurs rejetons mais qui s’arqueboutent sur leurs idéaux : “Tout le monde a droit à une sexualité épanouissante. Mais pas cette bestialité. Je ne veux pas m’immiscer dans la vie sexuelle de mes ados mais je veux les protéger. Par où commencer ?”, s’inquiète Nadia.
Docteur Batoul El Harti, psychiatre, donne une piste : “Reprenons le témoignage que vous avez cité, celui de la maman choquée par les photos postées par sa fille sur Facebook. Ces photos sont publiques. à partir du moment où elles le sont, les parents ont le droit de s’immiscer dans la vie privée de cette jeune fille puisque, justement, elle ne l’est plus. Par ailleurs, les parents ont le devoir de protéger leurs enfants.”
Elle invite les éducateurs à réviser leurs fondamentaux. La sexualité des ados n’est pas celle des adultes, même si Internet brouille les frontières. L’adolescence, c’est l’entrée dans la puberté. Cette maturité physique devance la maturité affective et psychologique. Elle constitue la porte d’entrée par laquelle s’installeront les multiples changements que vivra l’adulte en devenir. L’adolescence est l’époque où l’individu cherche à créer de nouvelles relations à l’extérieur de la famille, époque où naissent des sentiments nouveaux, où l’on est invité à définir son identité propre.
“Définir son identité, c’est d’abord reconnaître les composantes qui orientent nos choix”, rappelle le psychiatre. Ces composantes sont en lien direct avec notre besoin d’amour. Et elles dictent notre comportement en matière de sexualité.
“Tout individu doit répondre à la question suivante, consciemment ou inconsciemment : comment assouvir mon besoin d’amour ?”, explique le médecin. Ce qui nous amène à définir les valeurs essentielles. “Les parents doivent encourager leurs enfants à se poser certaines questions quand ils ressentent une attirance sexuelle pour une autre personne : comment mon corps réagit-il ? Ai-je vraiment envie émotionnellement et physiquement d’embrasser cette personne ? Si oui, cette action est-elle conforme à mes valeurs ? Cette possibilité induit-elle un bien-être ou plutôt un malaise ?”
Le sexe à l’ère du 2.0
Ces questionnements révèlent les influences intérieures à même d’orienter nos comportements en matière de sexualité. Dans la mesure où les réponses concordent et rejoignent nos valeurs, la réponse devient évidente : “Oui, je ressens une attirance physique et émotionnelle pour cette personne. Globalement, l’idée d’avoir une relation intime avec elle me procure un bien-être. Je peux répondre à ma pulsion sexuelle car elle est en accord avec mon besoin d’amour.”
évidemment, il existe des influences extérieures qui exercent avec force une certaine pression sur les ados : les amis, les modes, la culture, les médias, les revues, les émissions de téléréalité et surtout Internet, qui, pour les adultes, renvoie à un monde virtuel mais que les ados ont tendance à confondre avec le monde réel. Les images peuvent sembler irréelles aux parents mais elles alimentent l’essentiel de l’imaginaire des ados, les amenant à confondre érotisme et pornographie et donc à accepter toute demande de la part de leur partenaire. “La médiatisation de certaines pratiques sexuelles hard sur Internet leur donnent un certain crédit, comme la génération précédente a pu être influencée par des comportements vus à la télé ou dans les publicités”, explique le docteur El Harti, qui ajoute : “Pour les parents et les grands-parents des adolescents d’aujourd’hui, la sexualité était une expérience, une promesse de fête ou un motif de revendication sociale, mais pas un moment d’assouvissement de pulsions. La jouissance venait après une longue période de séduction, où l’on courcircuitait des interdits et où l’on brisait des tabous. On avait le temps de voir si l’autre nous correspondait, si on voulait vraiment traduire l’attrait en acte. Aujourd’hui, les jeunes sont biberonnés à “l’ici et maintenant” et au gain immédiat. L’autre devient un objet déshumanisé, prêt à être consommé par le dominateur, qui, souvent, est un mâle en puissance.”
Nos enfants vivent dans un monde régi par l’immédiateté. Tentation, impulsion, décharge défoulatoire, parfois au vu du monde entier via la toile. Ils sont en recherche d’amour, d’acceptation, d’appréciation. Nombre d’entre eux sont encore fragiles, démunis face aux pairs. S’ils disent non, ils ont peur du rejet. Quand ils sont amoureux, leur self control se lézarde vite à grands coups de si : “S’il cessait de m’aimer, s’il tombait amoureux d’un autre ?”
Aux ados qui n’osent pas dire non à certaines pratiques sexuelles par crainte d’être rejetés, expliquer que succomber, c’est donner beaucoup d’importance aux circonstances extérieures et trop peu à ses propres ressources, est un devoir parental. Il faut expliquer à ses enfants, bien avant la puberté, qu’être différent, ne pas tout accepter, c’est être unique, être soi-même, en accord avec ses valeurs personnelles, ses besoins réels et non avec la toile et les désirs d’autrui.