Architecte* et docteur en anthropologie sociale**, Salima Naji a fait de la restauration de monuments historiques une éthique. N’hésitant pas à troquer la plume, qu’elle manie fort bien, pour la truelle, cette jeune femme bardée de diplômes et de prix passe le plus clair de son temps à sillonner les routes du grand Sud marocain, à la recherche de bâtiments historiques à sauver de l’indifférence générale et des griffes d’une modernisation tous azimuts. Quand elle évoque son engagement et les raisons qui l’ont poussée à se mobiliser, elle répond : “Cela s’est fait tout seul, par nécessité personnelle. Par besoin de rendre ce que j’avais reçu. Parce qu’humainement, les gens des montagnes sont magnifiques de courage et de dignité.”
L’appel du Sud
C’est dans le cadre de ses recherches universitaires que Salima Naji se lance à l’assaut du grand Sud dès 1992, avec les kasbahs pour principal centre d’intérêt. Quelques années plus tard, elle consacre sa thèse aux greniers fortifiés de l’Atlas qui n’ont alors plus de secrets pour elle. Et lorsqu’un pan de mur du grenier d’Aguellouy, dans l’Anti-Atlas occidental, s’effondre suite à des pluies torrentielles, c’est tout naturellement qu’elle propose de prendre en charge sa restauration. Depuis, Salima Naji s’est fait un devoir de s’investir dans le sauvetage du patrimoine bâti du Sud du Maroc, et plus particulièrement dans les régions du Souss Massa Drâa et de Guelmim Es-Smara où elle restaure, entre autres, plusieurs architectures majeures (kasbahs, greniers collectifs de l’Anti- Atlas, mosquées rurales), quitte à financer elle-même certaines opérations. Mais elle peut toutefois compter sur l’appui de quelques sponsors… Ainsi, après avoir mené la réhabilitation du Ksar d’Assa grâce au soutien inconditionnel de l’Agence du Sud, elle restaure actuellement des greniers collectifs grâce aux fonds des ambassadeurs américains pour la préservation (AFCP), et bénéficie également de l’appui du ministère de la Culture et de fondations privées.
Le règne du béton
En fervente protectrice des traditions, elle réactualise les procédés historiques de construction. “On voudrait faire croire que ces techniques, qui ont fait leurs preuves pendant au moins un millénaire, seraient soudainement devenues obsolètes !”, s’insurge-telle. Pour elle, le temps n’est pas responsable de la disparition de ces architectures. “Parce qu’il y a soudain eu des effondrements funestes d’espaces mal entretenus, parce que certains responsables ont laissé à l’abandon des lieux sacrés, on crie au loup et on remplace les vénérables bâtiments qui ont défié les siècles par quelques pans de ciment qui ne franchiront pas la décennie…”, explique cette amoureuse du pisé et de la pierre. Pour elle, il est essentiel de puiser dans notre culture et de ne pas s’empresser de copier des schémas techniques européens qui, certes, fonctionnent très bien pour l’ingénierie ; car dans notre pays, il serait bien dommage de se priver de Tadelakt ou de stuc sculpté. A ses yeux, les qualités des procédés traditionnels ne sont plus à prouver, à commencer par leur côté écologique. “Aujourd’hui, on prône le durable sans le faire. On prétend respecter l’environnement et on le détruit”, affirme la jeune femme.
Modernistes versus traditionalistes
Pour elle, être moderne, c’est vivre avec son héritage et dans son époque sans pour autant oublier l’apport fécond du passé. Très inspirée par la pensée du célèbre architecte humaniste Hassan Fathy, Salima Naji se bat contre les constructions voraces qui nourrissent une économie basée sur la corruption, un monde où le ciment est roi. Et quand elle nous parle de certains architectes casablancais qui qualifient de “misérabilistes” les splendides constructions des régions où elle oeuvre chaque jour, elle sort ses griffes : “Mais qu’est-ce que c’est que cette vision néocoloniale de cerveaux traumatisés par une illusion du progrès par les matériaux ? Des cerveaux acculturés qui ne connaissent pas leur propre pays ?” A ceux qui veulent reproduire des architectures des années 90 toutes issues d’un modèle européen, elle rétorque qu’il faut, “dans un vieux pays comme le nôtre, savoir intelligemment investir son héritage sans le refuser ni le grimer”.