Said Taghmaoui, itinéraire d’un homme accompli…

L'acteur franco-marocain le plus adulé du moment était au Maroc pour présenter en avant-première le film où il campe, pour la première fois dans l'histoire du cinéma, le rôle d'un GI JO arabe, un héros des temps modernes dont le teint hâlé et le sourire charmeur font la fierté de toute une génération. Rencontre avec un grand acteur dont l'hyper sensibilité nourrit le talent plutôt qu'elle ne l'affecte.

FDM : A l’heure où votre dernier film est numéro 1 partout dans le monde, vous revenez de Dakhla après une semaine de détente. Volonté de vous isoler ou simple envie de farniente ?

Said Taghmaoui : Dakhla, c’est la curiosité pure qui m’y a mené. Je fais aussi des repérages pour de prochains films. Je suis également un amoureux des sports de glisse et, cette ville comme d’autres au Maroc, offre de belles possibilités dans ce sens. Mais il faut dire aussi que je voulais me retrouver dans un endroit où on ne risque pas de me reconnaître, où il est possible de se ressourcer, de s’éloigner de la folie humaine, de ces gens qui croient que je peux changer leur vie, alors que je n’ai pas forcément les réponses aux questions qu’ils me posent. En fait, c’est moi qui ramène les gens sur terre contrairement à ce qu’on pourrait penser. J’ai toujours été pragmatique. J’adore le rêve mais j’essaie de me donner les moyens de rêver plutôt que de rêver.

 

Vous êtes un peu le symbole d’une génération, d’abord en France, puis de plus en plus, ici au Maroc, dans votre pays d’origine. On ne cesse de faire appel à vous pour des campagnes civiques et autres, et Facebook pullule de vos groupes de fans. Qu’est-ce que cela vous fait ?

Le symbole d’une génération… Je ne sais pas si j’en suis un ! Mais ce qui me rend le plus fier, c’est que quand j’étais petit, je jouais aux GI JO et il n’y en avait pas un seul qui me ressemblait ! Aujourd’hui, jouer le rôle d’un arabe et de surcroît, un Marocain, dans un film de super héros et être même représenté en jouet, si cela peut influer culturellement sur les gens et changer un peu la donne… Oui, j’en suis fier, pour ce sentiment d’appartenance et d’identification que mon personnage crée chez les nouvelles générations. C’est une étape qui a été franchie. Aujourd’hui, on peut dire : Yes, we can ! Mais de là à tenir un de ces discours démagogiques un peu bon enfant du genre : “Tous derrière moi !” Non, cela ne m’intéresse pas. Je n’ai pas fait ce métier pour être le symbole de qui que ce soit à part le symbole de ma propre vie, et pour pouvoir trouver mon chemin. Je fais un métier d’exposition, certes. Mon image m’échappe effectivement. Je suis tellement touché qu’on voie en moi le porte-drapeau d’une génération, mais en même temps, ce n’est pas la mission principale de ma vie. Je suis un artiste et je compte le rester pleinement.

 


Vous avez tenu à présenter GI JO en avant-première mondiale au Maroc. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Quel autre pays que le Maroc, mon pays d’origine, aurait mieux convenu pour présenter le premier super héros arabe de l’histoire du cinéma ? C’est la réflexion que j’ai faite dès la fin du tournage. J’ai trouvé qu’il était plus intéressant de le présenter ici qu’à New York. J’ai donc bataillé dans ce sens.

 

On vous connaît acteur, mais vous êtes également investi dans la mise en scène. Pourriez-vous nous parler de vos réalisations ?

J’aspire à mettre en scène des films. J’ai déjà réalisé des clips pour des amis rappeurs comme “La Fouine” par exemple. En fait, j’écris beaucoup. La mise en scène va certainement arriver plus tard car il s’agit de tout un métier. Mais ce que je peux vous confier d’ores et déjà c’est que je me lance dans la production. Je commencerai par un film marocain ; le prochain de Nour-Eddine Lakhmari. Je tiens à préserver les vrais talents du Maroc et j’aimerais essayer de leur faire passer la frontière. En regardant un peu ce qui se passe aujourd’hui au Maroc dans le monde du cinéma, j’ai trouvé que le film le plus abouti de cette année était “CasaNegra”. Et comme je travaille avec les grandes pontes du cinéma international, je souhaiterais pouvoir œuvrer, à mon niveau, à faire rayonner la culture marocaine à travers le monde.

 

57 films à votre actif avec de surcroît une filmographie très éclectique, sachant que rien ne vous prédestinait à une telle carrière. Cela ne fait-il pas un long parcours pour un jeune homme d’à peine 34 ans ?

Ce sont les mille et une vies de Saïd Taghmaoui ! (Rires). Je suis un autodidacte, mais comme tous les cancres – parce que j’en étais un à l’école – lorsqu’on commence à travailler, c’est sans répit parce qu’on réalise ses immenses lacunes, et donc, il y a cette espèce de boulimie frénétique du travail qui commence à prendre le dessus sur tout. Je me suis fabriqué un peu tout seul. J’ai vécu cela comme une liberté, mais en même temps peut être, comme une certaine schizophrénie parce qu’il y a plusieurs Saïd en Saïd. (Rires !). L’important, c’est de savoir d’où l’on vient pour ne pas se perdre en chemin. Quant au fait que je sois devenu un acteur, ce n’était nullement un choix, mais plutôt ce que je définirais comme étant “une multitude de hasard”. Ce genre de circonstances qui fait que du fait d’être né à tel endroit, à tel moment, avec tel genre de sensibilité, vous pourriez être serial killer ou artiste, ou autre chose… Moi, vous savez, je voulais devenir champion de boxe. Très vite, je suis arrivé à un niveau international dans ce domaine. Plus tard, le sport dans toute sa rigueur et sa discipline, m’a aidé dans le cinéma. Le hasard a voulu qu’un jour, un réalisateur me remarque pour mon corps. Il cherchait un acteur pour un rôle de boxeur pour son court-métrage. Je me suis dit alors qu’il y avait peut-être des billets à prendre dans ce job. Pour le mec de la banlieue que j’étais, rude et raciste envers les blancs, le cinéma était un truc complètement inégal, pas du tout fair-play. Il n’y avait pas de héros qui me ressemblait. Les types comme moi avaient toujours des rôles de voyous… En grandissant, cela m’a affecté. Je suis donc allé chercher des héros qui me ressemblaient dans le cinéma américain, dans des Al Pacino par exemple. J’ai toujours été victime de ma sensibilité et en même temps de ma lucidité tout en restant très fougueux. J’ai grandi dans un univers extrêmement complexe, très rude, où l’extra-sensibilité n’est pas permise, à moins d’avoir un gilet pare-balles, ce qui est très lourd à porter ! Vous savez, avoir le cul entre deux chaises, c’est pratique pour aller aux toilettes ! (Rires). En termes de repères identitaires, c’est une catastrophe ! Lorsqu’on commence à conjuguer tout cela, cela vous prend beaucoup de temps. Mais très vite dans le cinéma, je me suis imposé une ligne de conduite. Je savais plus ou moins ce que j’avais envie de faire. Par contre, est-ce que j’avais les moyens de le faire ? C’est ce que j’allais découvrir en chemin. J’ai utilisé mon instinct et j’ai privilégié les rencontres.

 

Quel regard portez-vous sur la femme marocaine ?

Je ne la connais pas très bien, à part ma maman, qui elle, est une berbère de l’ancienne génération avec des valeurs qui malheureusement, ne correspondraient pas à celles de la Marocaine d’aujourd’hui. C’est une femme très âgée. Elle s’est mariée à 14 ans et a eu son premier enfant à 16 ans. Nous sommes une fratrie de 9 enfants dont il en reste 7, et je suis le dernier avec un écart d’âge énorme avec mes frères et sœurs. Quand j’étais môme, dans mon esprit, mes grandes sœurs étaient mes mamans, et ma maman était ma grand-mère. Pour quelqu’un de super sensible comme moi, c’était un triple choc culturel ! J’ai visité le Maroc pour la première fois à l’âge de 16 ans. Je ne parlais alors que le berbère et le français. Je ne connais pas très bien la femme marocaine mais je sais qu’elle est le pilier de la famille. Ma mère est venue de Bled Chlouh en France. Vous qui êtes née au Maroc, vous êtes 10 fois plus moderne qu’elle qui a passé plus de 40 ans en France ! Elle a des valeurs religieuses très fortes. Elle est rigoureuse et très stricte. Vous seriez surprise de la différence culturelle entre ma mère et vous. Elle a élevé ses filles de la même façon dont elle a été élevée. Elle correspondrait plutôt à une certaine idée de femmes qui ne voudraient jamais prendre le pouvoir, pour lesquelles c’est le mari qui doit travailler par exemple. Je ne sais pas si on peut les appeler “des valeurs à l’ancienne”, mais en tous cas, elle s’accroche à ces valeurs qui ont fait que l’humanité en soit arrivée là aujourd’hui. Ma mère, c’est ma princesse. C’est la femme la plus importante dans ma vie. Elle n’a pas toujours été d’accord avec tout ce que je faisais. Le cinéma, par exemple, il m’a fallu du temps pour le lui faire accepter.

 

Quels sont vos projets ?

Finir mon Coca. (Rires). Continuer à travailler, me marier et avoir des enfants. Après une vie bien remplie, je me sens aujourd’hui prêt à partager ma vie pour de vrai. Parce que l’amour, ce n’est pas pour les jeunes mais plutôt pour les gens qui ont vécu. L’amour, cela peut vous couronner comme cela peut vous crucifier. C’est très dangereux. Il faut tellement de disponibilité. La plus grande preuve d’amour, c’est le temps qu’on accorde aux personnes qu’on aime. Le reste n’est que littérature. Quand on aime, on fait ce qu’on dit. L’amour n’est que partage même lorsqu’on n’a rien à partager. Pour cela, il faut être prêt et se connaître un peu soi-même.

 

Dernier mot pour nos lectrices ?

Je cherche une femme. Bourgeoises s’abstenir ! Je veux une fille du peuple… (Rires). Je voudrais leur dire que derrière chaque grand homme, il y a une grande femme !

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