Rim Battal Le corps souverain

Rim Battal est une jeune artiste pleine de promesses. Deux expositions montrent actuellement son oeuvre photographique naissante à Rabat et à Marrakech. Touche-à-tout, elle vient aussi de publier son premier recueil de poésie.

FDM : Parlons d’abord de votre actualité, “Vingt poèmes et des poussières”, qui sort chez LansKine. Comment décririez-vous cette œuvre ?

Rim Battal : Pour reprendre les mots de mon éditrice, “Vingt poèmes et des poussières” est une “comptine pour se réveiller et regarder le monde, se battre et aimer.” C’est un recueil que l’on s’approprie, que l’on effeuille au lieu de feuilleter. On en prendra des passages qu’on recopiera sur un mur ou qu’on regardera pendant un moment. Car les poèmes qui y figurent sont très visuels. La plupart sont plutôt composés pour être regardés, presque touchés ; lus dans l’intimité plutôt que récités, déclamés. En tout cas, c’est ainsi que le recueil a été conçu. On y trouvera aussi quelques photos tirées de ma série “Mes baigneuses”.

Vous choisissez un genre littéraire peu valorisé de nos jours. À quoi cela est-il dû, selon vous ?

Je crois que les gens s’intéressent de moins en moins à la littérature de manière générale et lui préfèrent la lecture de l’actualité, les blogs et autres jeux en réseau. Certes, le roman est plus prisé, certainement parce que la poésie est plus difficile d’accès et demande beaucoup d’imagination et de présence au lecteur s’il souhaite voyager en en lisant. Le roman explicite les pensées des personnages et celles de l’écrivain qui se dessinent en filigrane. Mais la poésie a sa place et l’aura à jamais parce qu’il y aura toujours des gens pour la réinventer. Par exemple, l’Américain Kenneth Goldsmith qui, après avoir composé des poèmes à partir de suites de statuts Facebook, donne aujourd’hui un cours de poésie intitulé “Wasting time on the Internet” à l’Université de Pennsylvanie où les étudiants doivent surfer sur le Web trois heures par semaine et en sortir avec du matériel littéraire, de la poésie. Dans un registre plus performatif, le slam est aussi une des formes contemporaines de la poésie. Ces deux exemples montrent comment on peut détourner du matériel de divertissement pour le mettre au service de la poésie ou de la littérature en général. La poésie finit toujours par trouver son public.

“La poésie faisait mal ; fit mal ; savait faire mal. Pourrait le faire encore ?”, s’interroge Michel Deguy. Qu’est-ce que la poésie, pour vous ? À quoi sert-elle, d’après vous ? Doit-elle servir à quelque chose ? Faire mal ? Émouvoir ? Interpeller ? Réveiller ? Faire agir ?

Si on regarde les choses d’un point de vue strictement utilitaire, on arrête tout et on ferme boutique. À quoi servent la philosophie, l’architecture, la mode, le sport, la politesse ? Et pour pousser à l’extrême, à quoi servent la politique, l’économie, la science… puisqu’on va tous mourir ? La poésie n’est pas uniquement un ensemble de mots assemblés d’une certaine manière par une certaine personne. Elle peut être aussi un regard posé sur les choses, une façon de négocier avec la vie, de se mouvoir dans un contexte donné, dans le temps… quelque chose qui s’approcherait de la grâce. Après, chaque poète y incorpore sa pensée selon ses inclinaisons, et cela peut faire mal, émouvoir, interpeller, réveiller, faire agir, voire même endormir, faire rêver… peut-être tout ça à la fois. Et ce, à travers les mots ou l’image car la poésie n’est plus l’apanage des gens de lettres. Les artistes visuels s’en emparent aussi. La poésie est nécessaire. C’est pour ça que, comme je le disais, je ne m’inquiète pas pour son avenir.

Racontez-moi vos premières incursions dans le champ poétique, littéraire…

J’écrivais de la poésie, essentiellement en fus’ha quand j’étais petite, puis je suis peu à peu passée au français. Sans raison évidente. Peut-être pour épater mes professeurs de théâtre et de français au collège. Deux femmes admirables qui me fascinaient et que j’ai perdu de vue depuis.

J’écrivais d’abord pour raconter des histoires et des contes que j’imaginais. A l’adolescence, j’exorcisais à travers la poésie des désirs et des amours impossibles et un journal “intime” me servait de support pour ma prose… C’est dur, les hormones qui envahissent sans crier gare dans une société et des familles où les choses du corps et de l’amour sont totalement taboues. J’ai même été punie pour certains de ces écrits qui avaient, à l’époque, complètement tétanisé mes parents. Il y a eu des moments ensuite où je me suis contentée de lire en pensant qu’il y avait plus d’écrivains que de lecteurs. D’autres où le style journalistique, lorsque j’exerçais dans des rédactions casablancaises, a pris le dessus et annihilé toute ma créativité. C’est pour ça que fin 2012, j’ai décidé d’arrêter complètement le journalisme pour me consacrer à une carrière d’auteur et d’artiste de l’image.

Il y a aussi la photographie d’art. On découvre votre travail à travers des séries exposées au Musée Mohammed VI ou encore à la Voice Gallery de Marrakech. Décrivez-nous votre travail photographique.

La série “Mariage(s)”, exposée au Musée Mohammed VI, est composée de photographies et d’installations qui décortiquent le rituel de la célébration du mariage au Maroc et en soulignent les paradoxes. Elle est complétée par une nouvelle qui sera bientôt publiée dans le magazine “Rukh”. La Voice Gallery présente ma première exposition solo, où on peut découvrir des installations photographiques de la série “No man’s land” ainsi que quelques pièces (photographies et installation) qui font partie de la série “Mariage(s)”. C’est jusqu’au 2 mai, pressez-vous d’y aller (rires) !

Comme dans vos poèmes, la femme est omniprésente dans vos séries photos. Êtes-vous féministe ?

Je l’attendais celui-là, ce vilain mot qui fait trembler des hommes et balbutier des femmes ! Oui, je suis féministe. Inconditionnelle, cela va sans dire. Je ne comprends pas pourquoi le féminisme a si mauvaise presse mais… je comprends en fait. Logiquement, toutes les femmes, sans distinction d’âge, de classe, d’ethnie, ou de croyances devraient être féministes : c’est simplement soutenir que la femme est l’égale de l’homme et que les critères de différenciation entre eux doivent être les mêmes, à savoir les compétences, la complexion de chacun, le Q.I., etc. D’un autre côté, je comprends qu’une femme qui n’a même pas le droit d’aller boire le thé chez sa sœur sans l’accord de son mari se sente déconnectée, voire en désaccord complet avec des femmes qui exigent une réforme de la loi sur l’héritage ou manifestent topless pour arracher des droits. Si des femmes considèrent que certains droits relèvent du luxe ou même de l’inutile, elles peuvent ne pas en user une fois acquis, mais elles seront bien contentes d’avoir le choix et des lois qui leur garantissent le droit de choisir.

Parmi vos œuvres, une photo montre la peau d’une femme sur laquelle sont inscrits des noms, comme si elle appartenait à tout le monde sauf à elle-même. Est-ce votre vision de la femme marocaine ? 

Tout à fait. À des degrés différents. Quand on est une femme, chacun a son mot à dire sur ce qu’on fait de notre corps, à qui on doit le rendre accessible ou pas, comment l’habiller, à quel âge y concevoir des enfants… On se retrouve avec une enveloppe que l’on nourrit, que l’on entretient, lave, préserve mais qui ne nous appartient presque plus. Quand on parle de terres spoliées, de colonisation, tout le monde s’indigne, et certains renversent même des voitures lors de manifestations. L’attachement à la terre est intelligible pour tous. Mais quand il s’agit du corps d’une femme, le bien physique le plus élémentaire, personne ne semble l’envisager de la même façon. L’empathie s’estompe très vite. C’est pour cette raison que dans “No man’s land”, j’ai dessiné ces frontières qui découpent chacun des corps photographiés et que j’ai rempli ensuite des noms des personnes, partis politiques, personnages influents, collègues de travail que ces femmes m’ont présentés comme leurs bourreaux au quotidien.

Une opinion sur le débat autour de l’avortement qui fait rage en ce moment au Maroc ?

Je suis ravie de voir que pour la première fois, un débat public s’ouvre sur un sujet à la fois sensible et de premier ordre. La question de l’avortement est essentiellement morale. Et comme la religion fait la pluie et le beau temps au Maroc, c’est normal que le débat fasse rage. Pénaliser l’avortement est encore une oppression de la femme car c’est sur sa tête que tombe le ciel en cas de grossesse non désirée ou problématique. L’homme ne prend absolument aucun risque. Tous ceux qui sont contre l’avortement n’ont aucune empathie. Une femme devrait avoir le dernier mot sur son corps, encore plus lorsqu’il s’agit d’une grossesse ! L’avortement n’a jamais été une partie de plaisir et celles qui y recourent l’envisagent toujours en dernier recours. De plus, c’est tout de même mieux pour un enfant de naître et s’épanouir dans les bras d’une mère qui l’a désiré.

Malgré ces entraves, comment une femme pourrait-elle se réaliser, être pleinement elle-même, d’après vous ?

Et bien, il faut continuer de mener ces petites batailles du quotidien pour vivre comme on l’entend, investir les lieux publics, la politique. Il faut continuer de s’exprimer, lire, écrire, faire du journalisme audacieux et de qualité… Je me souviens que, adolescente, j’adorais accompagner ma mère chez le coiffeur ou chez le médecin parce qu’il y avait des exemplaires de “Femmes du Maroc”. Je les dévorais en entier, les pages “C’est mon histoire” et la double page noire, “Et si on en parlait ?”. Je trouvais ça merveilleux que des femmes, du Maroc de surcroît, donc auxquelles je pouvais m’identifier, puissent ainsi parler de leur vie intime, leur sexualité, sans tabous. J’étais fascinée par ces témoignages, ces portraits de femmes fortes, chefs d’entreprise, artistes, médecins, femmes de pouvoir… J’ai l’air de vous flatter parce que vous m’interviewez mais je vous jure que c’est vrai (rires) ! 
 

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