Un couple en bout de course peut-il décider de poursuivre le chemin à deux pour épargner à sa progéniture la douleur d’une séparation ? Si la réponse coulait de source jadis, aujourd’hui les avis sont plus partagés. Esprit de parent sacrificiel ou aspiration légitime au bonheur individuel, ça se dispute !
yant fait trois beaux enfants, on n’a jamais pu se résoudre à faire exploser notre foyer. Nos failles de couple étaient pourtant énormes, avec une impossibilité totale à nous comprendre ou à communiquer sereinement”, raconte Nadia, qui vit maintenant une espèce de cohabitation silencieuse avec son conjoint, entrecoupée par les besoins de la logistique domestique.
Elle explique que, pour elle, préserver l’unité de sa famille passe bien avant son bonheur de femme. Un angle de vue que ne partage absolument pas Ilham. Ayant vu ses propres parents se déchirer durant son enfance, elle se serait haïe de rester pour préserver le fruit de leur union : “Quand ça a mal tourné entre mon mari et moi, je n’ai pas transigé longtemps et entériné la rupture. Pour moi qui m’étais construite sur des bases pathologiques, il était hors de question que l’histoire se réécrive avec ma fille”. Deux visions et un éternel conflit interne qui font de l’enfant une carte maîtresse du jeu “à l’insu de son plein gré”…
Un dogme social encore prégnant
Parce qu’on vit dans le plus beau pays du monde et pas ailleurs, la notion de bonheur personnel au sein du couple reste très vague. Ainsi, lorsqu’un duo essuie des intempéries, voire des orages foudroyants, il se trouvera toujours un “gugusse” ou une vieille tante pour asséner la fameuse phrase qui résume bien la mentalité dominante : “Sbar a3la drari” (supporte pour les enfants). Et l’amour qui s’en est allé sur la pointe des pieds justifie encore moins qu’on y sacrifie toute la structure de l’édifice…
à partir de là, sauf en cas de remake du film Apocalypse Now dans votre home hard home, personne dans votre entourage ne cautionnera un divorce qui laisse un gosse sur le carreau. Parce que si dans la pratique, l’image de la famille “tradi” s’est froissée comme un vieux parchemin, on continue de la fantasmer comme la seule vraie clé de l’équilibre des rejetons. Tandis que la notion nouvelle de “troupeau recomposé” est perçue, a contrario, comme une source de problèmes et de tensions à n’en plus finir. Influencé par le contexte, le couple, même très moderne, peut donc débloquer le frein à main et faire machine arrière.
Alors parents avant d’être amoureux et complices ? “Sans doute cela a-t-il joué dans ma décision de pardonner son infidélité à mon mari. Même si j’ai perdu en partie confiance dans ce couple, j’ai essayé de recoller les morceaux pour mon fils”, reconnaît Amal. Ce dernier idéalisant son géniteur, elle n’a pas voulu le voir grandir avec un papa du week-end. Pas plus qu’il ne se fasse pointer du doigt comme un enfant de divorcés…
Une vraie fausse raison facile
Or rester en couple pour ses gosses lorsqu’il n’y a plus aucun territoire commun, c’est faire porter sur leurs frêles épaules le poids d’une union subie. L’enfant jouissant d’un sixième sens très développé, il perce à jour les faux-semblants et les divergences, mêmes tues. Rajoutons à cela qu’un couple malheureux ou déprimé lui transmet une image complètement faussée de la vie à deux, avec un lien tronqué à la base, voire carrément inexistant. En outre, quand l’un des parents lui assène régulièrement la formule assassine : “Si tu n’étais pas là, ça fait longtemps que je me serais barré”, un raz de marée de culpabilité l’envahit…
De toute évidence, il convient de ne pas faire des enfants un paravent derrière lequel on s’abrite parce qu’on n’a pas le courage de larguer les amarres. à travers cette excuse principale peuvent en effet se dissimuler un tas de peurs diffuses : l’appréhension de la solitude, celle de s’assumer en tant qu’individu autonome, le cauchemar du futur parent célibataire livré à lui-même avec une baisse de son niveau de vie matériel, l’incapacité d’affronter le regard de la société…
Quitter et assumer
Rompre l’union parce qu’on ne s’y retrouve plus, refuser de mettre son bonheur entre parenthèses, se fier à son instinct qui nous dicte qu’un divorce serein vaut mieux pour ses enfants qu’un mariage raté, ils sont de plus en plus nombreux à le croire et à déclencher le processus de séparation. Anissa, qui a sauté le pas du divorce avec deux excédents de bagages, introduit tout de même une nuance : “Je pense que les gens qui ont une famille partent moins sur un coup de tête que les autres. C’est souvent après avoir pesé le pour et le contre et épuisé toutes les voies de conciliation.” Un petit temps de réflexion est nécessaire avant de décréter la fin des haricots… Et lorsque la page se tourne définitivement, les regrets ne sont plus de mise, dixit Ilham: “J’ai été soulagée d’avoir mis le mot “fin” et j’ai d’ailleurs constaté que ma fille allait mieux en me voyant plus tranquille.” De fait, en dépit du séisme provisoire enregistré dans son existence, l’enfant supporte bien mieux une configuration “parents solos” apaisée qu’une somme de conflits quotidiens qui l’épuisent. à condition toutefois de ne pas s’écharper en post op’ en reproduisant les mêmes divergences à l’envers.
Y a-t-il un moment idéal pour partir ?
Attentifs aux dégâts collatéraux du divorce, certains se demandent s’il ne vaut pas mieux temporiser avant de reprendre chacun sa liberté. On pense ainsi (à tort ou à raison) qu’un enfant plus âgé souffrira moins qu’un bambin ou qu’un jeune adulte plus mature. Malheureusement, rien n’est vraiment formaté de manière aussi tranchée dans la réalité et de grands enfants, chutant du piédestal de leurs illusions, peuvent en vouloir énormément à leurs parents de les avoir berné durant une si longue période. Parole de psy, les tout-petits ne souffrent pas vraiment de la transition si celle-ci a lieu de manière fluide. C’est davantage à partir de l’âge de neuf ans (début de connaissance de la sexualité) et en phase de préadolescence que le divorce peut impacter négativement leur équilibre et leurs repères lorsqu’il est mal managé.
Rester ou se séparer tôt ou plus tard, l’important est in fine d’être en cohérence avec son ressenti. En s’abstenant de tout esprit sacrificiel aux répercussions nuisibles pour l’entourage proche.